“La BCE a créé une machine à billets qui enrichit les banquiers pendant qu’ils dorment”
“La BCE a créé une machine à billets qui enrichit les banquiers pendant qu’ils dorment”, observent dans un article publié sur VoxEU, le portail du think tank CEPR, Paul De Grauwe et Yuemei Li.
Les deux enseignent à la London School of Economics et ils estiment que “cette machine déboursera 92 milliards d’euros en 2023 et probablement beaucoup plus lorsque la BCE portera à 3 % le taux d’intérêt sur ses dépôts. Les banques recevront alors 140 milliards d’euros par an”, soulignent-ils.
Les banques centrales paient en effet des intérêts sur les réserves de liquidités que les banques commerciales mettent en dépôt auprès d’elles. Cette tarification est assez neuve : en Europe elle a été appliquée en 1999, sur pression de la Bundesbank, au début de la Banque centrale européenne (BCE), et aux Etats-Unis en 2008 seulement.
Auparavant, les dépôts effectués par les banques auprès de la banque centrale n’étaient donc par rémunérés. “Et c’était logique, observent Yuemei Li et Paul De Grauwe. Les banques commerciales elles-mêmes ne rémunèrent pas les dépôts à vue détenus par leurs clients. Ces dépôts à vue ont la même fonction que les réserves bancaires auprès de la banque centrale : ils fournissent des liquidités au secteur non bancaire“, notent-ils.
L’instauration d’une rémunération n’a pas posé de problème lorsque les taux étaient nuls, voire négatifs. Mais depuis décembre dernier, la BCE a porté le taux de rémunération de ses dépôts à 2%. Or, les réserves bancaires détenues par les banques auprès de l’Eurosystème (l’ensemble constitué par les banques centrales des pays de la zone euro plus la BCE) s’élevaient, à la fin de l’an dernier, à 4600 milliards d’euros. Cette somme, rémunérée à un taux de 2%, implique donc un versement annuel de 92 milliards par l’Eurosystème aux banques commerciales. Et cela devrait même être davantage, puisque la BCE devrait continuer à augmenter ses taux.
Cette rémunération des dépôts auprès des banques centrales n’est pas neutre : c’est un subside inutile aux banques commerciales, et c’est aussi un manque à gagner pour les banques centrales, qui, au final, va peser sur les finances des Etats puisque les banques centrales leurs versent des dividendes.
Un outil de politique monétaire
Les banques centrales la justifient parce qu’elle serait un outil de politique monétaire. Pour faire simple, quand les liquidités sont abondantes (comme aujourd’hui), il serait très difficile de faire passer une hausse des taux sans rémunérer les dépôts auprès de la BCE. Quand il y a énormément de liquidités dans le marché, les banques commerciales se prêtent entre elles à des taux quasi nuls, et donc les banques centrales ont beau augmenter leur taux directeur, cela n’a pas beaucoup d’impact. Mais si les réserves des banques sont rémunérées, le taux de cette rémunération va dicter les conditions du marché interbancaire : il serait en effet idiot qu’une banque prête ses liquidités excédentaires à une autre à un taux de 0,5% si elle peut avoir 2% en les déposants auprès de la banque centrale.
Toutefois, répondent les deux économistes de la London School of economics, cet outil pourrait être aisément remplacé : “une meilleure politique consisterait à combiner des ventes soutenues d’obligations d’État (des banques centrales aux banques commerciales, qui devraient donc utiliser une partie de leurs liquidités pour acheter ces titres, NDLR) avec une augmentation des réserves obligatoires, disent-ils. Cela éviterait de transférer les bénéfices de la banque centrale aux banques commerciales, ce qui équivaut essentiellement à une subvention versée par la banque centrale. Et “il n’y a aucune bonne raison pour laquelle les banques centrales devraient procéder de la sorte”, soulignent encore Yuemei Li et Paul De Grauwe.
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