Pierre-Henri Thomas
Journaliste
Journaliste
20-06-2023, 08:31
Mise à jour le: 20-06-2023, 08:31
Source: Trends-Tendances
À gauche, vous avez la Réserve fédérale. Une banque centrale fédérale qui gère les émissions de dollars, fixe les taux d’intérêt directeurs et régule les banques. À droite, vous avez la Banque centrale européenne. Une banque centrale fédérale qui fixe les taux directeurs, gère les émissions d’euros et régule les banques. Et pourtant, non, la Fed et la BCE ne sont pas des institutions identiques.
Prenons notre loupe et jouons au jeu des sept erreurs.
- Le mandat. Le mandat de la Fed américaine n’est pas le même que celui de la BCE. Les deux banques centrales ont la mission essentielle de protéger la valeur de la monnaie et donc de combattre l’inflation au moyen des taux d’intérêt et des instruments destinés à réguler la masse monétaire. Mais la Fed a une mission plus large, qui est aussi de soutenir l’emploi. La BCE a également pour mission de « soutenir les politiques générales de l’Union européenne », comme l’emploi, mais c’est un mandat secondaire. Elle ne peut s’y attacher qu’après avoir veillé à la stabilité de l’euro.
- La souveraineté. Dans l’histoire, la monnaie a un lien très fort avec le pouvoir politique. Seul le Prince avait droit de battre monnaie. Puis, avec les idées des Lumières, elle a été l’apanage de la Nation. Dans les faits, cela signifie que la monnaie repose sur le budget et au pouvoir fiscal de l’État. Le dollar est ainsi adossé au budget fédéral américain. Si, par exemple, la Californie devait entrer en défaut de paiement, ce n’est pas pour cela qu’elle quitterait la « zone dollar ». On est loin de cette conception avec la BCE qui est une banque centrale fédérale, mais dans une union qui ne l’est pas (fédérale) : il s’est par exemple posé la question d’exclure la Grèce la zone euro. Et ce déséquilibre reste un problème majeur.
- L’indépendance. La BCE est une banque centrale totalement indépendante du pouvoir politique. Cette insistance sur l’indépendance se comprend, pour éviter le risque que la BCE soit inféodée aux objectifs d’un État particulier. La BCE n’est donc soumise à aucun contrôle, ni de la Commission, ni du Conseil, ni même du Parlement européen (les représentants de la BCE parlent devant les députés, mais ces derniers ne votent pas). Le Président et les membres du directoire de la BCE sont nommés pour 8 ans, non renouvelables. Et si jamais on voulait modifier le mandat, les statuts, le processus de nomination, il faudrait modifier le traité, ce qui requerrait l’unanimité des 27 États membres de l’Union.
- Le pouvoir du Congrès. Face à cela, aux États-Unis, la Fed est bien plus intégrée dans l’architecture du pouvoir fédéral et bien plus soumise au contrôle démocratique. Le président de la Fed est nommé pour 4 ans, renouvelables. Il est nommé par le Président des États-Unis, mais c’est le congrès qui fixe le mandat. Pas besoin d’un traité. Le congrès peut également révoquer le président de la Fed.
- La vision économique. Cette indépendance de la BCE a sans doute pris racine dans les théories économiques. On ne peut s’empêcher de penser que la culture économique des deux banques centrales est un peu différente et explique d’ailleurs cette différence de mandat. La Fed est entourée d’un parfum keynésien. Pour l’économiste britannique Keynes, la monnaie n’est pas neutre, mais est un bien, particulier certes, dont la quantité a des effets sur l’économie. Par exemple, en augmentant la quantité de monnaie, on peut avoir un effet sur la consommation. Lors de la naissance de la BCE, ce sont plutôt des fées néo-classiques qui se sont penchées sur son berceau. Pour elles, la monnaie est neutre, et sa gestion n’est donc pas une question politique. Certes, au final, on verra que les deux banques centrales, pour soutenir l’économie, ont toutes deux fait appel au quantitative easing (faire tourner la planche à billets), mais cela a été bien plus difficile à mettre en place pour la BCE que pour la Fed.
- L’indépendance, bis. OK, tout cela est bien beau sur papier. Mais dans les faits, la BCE camoufle une certaine dépendance politique qui, comme un mauvais diable, ressort de sa boîte à chaque crise. Lors de la crise de 2008, la BCE a agi comme prêteur en dernier recours et a supervisé dans les faits les sauvetages bancaires. Puis, lors de la crise de la zone euro, la BCE a été l’acteur ultime à avoir évité l’effondrement, avec le « whatever it takes » de Mario Draghi, qui a averti les marchés qu’il allait tout faire pour éviter l’implosion de l’euro. La BCE a également poussé la Grèce à accepter la cure de cheval qui lui était imposée en menaçant de retirer aux banques grecques ses facilités de financement si Athènes n’acceptait pas les réformes. Puis, lors de la pandémie, la BCE a accru ses achats d’obligations d’État, ce qui fait qu’aujourd’hui, une bonne partie de la dette des États européens est immunisée puisqu’elle se trouve sur les comptes de la banque centrale. Enfin, la BCE a accepté de jouer un rôle dans la décision de geler les avoirs russes.
- La réactivité. Enfin, ce qui frappe, c’est le temps de réaction des deux banques centrales, la Fed paraissant bien plus réactive que la BCE. La Fed donne pratiquement toujours le « la », lorsqu’il faut baisser les taux, lorsqu’il faut les remonter en raison de l’inflation ou, comme aujourd’hui, lorsqu’il faut faire une pause. La Fed a par exemple décidé voici quelques jours, après dix hausses consécutives, de ne pas toucher ce mois-ci à son taux directeur (il reste dans la fourchette de 5-5,25%) mais annonce qu’elle devrait encore procéder à deux hausses d’ici la fin de l’année. Cela alors que mercredi dernier, la BCE, qui n’en était qu’à sa huitième hausse, l’a augmenté de 25 points de base pour arriver à 4%.
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