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Il ne sera pas facile de faire disparaître le cash de nos portefeuilles
Alors que la création de l’euro numérique est sur les rails, un rappel : l’existence de l’argent cash est garantie par les traités de l’Union européenne.
La Banque centrale européenne vient d’annoncer le lancement de « la phase préparatoire » de l’euro numérique. Une monnaie digitale émise par la banque centrale qui est vue, par la présidente de la BCE Christine Lagarde, comme « la monnaie du futur ». Cet euro digital pose deux questions. La première : à quoi ça sert ? Notre ancien grand argentier Johan Van Overtveldt a-t-il raison quand il dit que cette monnaie digitale de banque centrale « est une solution à la recherche d’un problème » ? L’autre question est : est-ce que les espèces physiques, les pièces et les billets, vont disparaître ?
Une monnaie hybride
D’abord, pour comprendre le concept d’euro numérique, il faut rappeler que nous utilisons, sans le savoir, deux types de monnaies. La première est la monnaie émise par la banque centrale. Ce sont, aujourd’hui, les pièces et les billets en euros et les avoirs détenus par les banques commerciales au sein de la banque centrale. La seconde est la monnaie scripturale émises par les banques commerciales. C’est celle qui se trouve sur notre compte quand on fait un emprunt ou quand vire de l’argent sur notre livret d’épargne. Une précision : ces deux monnaies coexistent et peuvent passer d’un statut à l’autre. Quand j’emprunte à la banque, que je mets cet argent sur mon compte puis que je retire une partie de cet argent au distributeur, la monnaie scripturale devient du cash. On passe donc d’une monnaie « banque commerciale » à une monnaie « banque centrale ». L’inverse est vrai aussi quand je dépose du cash sur un compte. Ce dépôt peut par exemple être utilisé par la banque pour octroyer des prêts à d’autres clients.
Un contrôle surmultiplié
L’euro numérique serait donc une forme numérique de la monnaie de banque centrale destinée à être utilisée par les citoyens et serait garanti par la Banque centrale européenne. Mais à quoi cela peut-il servir ? A plusieurs choses, très importantes. La première est qu’en émettant des devises digitales, comme le bitcoin, la banque centrale a un contrôle démultiplié sur sa monnaie. Elle peut désormais s’insérer dans le système de paiement électronique, elle peut évidemment contrôler à la seconde la masse de monnaie qu’elle émet, et surtout, elle peut savoir où elle se trouve. Car qui dit monnaie digitale dit blockchain : la blockchain est une base de données partagée auprès de très nombreux acteurs qui vont valider chaque nouveau bloc. Car chaque nouvelle information (par exemple, chaque transaction réalisée avec cet euro digital) vient enrichir la base de données et apporter une nouvelle pierre à l’édifice, un nouveau bloc à la chaîne. Et la validité de cette chaîne de bloc peut être vérifiée par tous, ce qui constitue la robustesse du système. Cela a trois conséquences. Une chaîne de blocs, et donc un euro digital est infalsifiable. Fini les faux monnayeurs. La deuxième est que chaque euro digital portera en lui-même sa chaîne de blocs, donc son histoire. Fini l’anonymat. Et la troisième est que ce type de monnaie va éliminer une série d’acteurs – intermédiaires, dépositaires, … – dans les marchés financiers.
« Cette technologie apporte donc deux aspects intéressants, nous précisait l’an dernier Laurence Arnold, head of innovation management and strategic initiatives d’Axa Investment Managers. Le premier est la décentralisation. Les registres peuvent se mettre à jour instantanément chez tout le monde au même moment. Le second aspect est la programmabilité des paiements. Car un des atouts de la blockchain est aussi de permettre d’élaborer des “ smart contracts ”, des contrats intelligents, qui permettent d’effectuer automatiquement certaines opérations si un ensemble de conditions prédéfinies est rempli. Il est ainsi possible de déclencher automatiquement le paiement des coupons d’une obligation une fois que la date de détachement est atteinte ».
Comme la monnaie est hybride, la naissance d’un euro digital va aussi permettre de généraliser la chaîne de blocs dans le système financier et permettre aux institutions financières d’émettre par exemple des obligations en euro digitaux, des « titres » qui n’auront pas besoin d’être déposés quelque part, ni de subir un traitement administratif pour les détachements de coupons, les remboursements, les ventes. En émettant un euro numérique, la BCE permet au système financier de la zone euro de réellement se digitaliser lui aussi.
La fin des billets ?
Est-ce que cela veut dire que les pièces et billets vont disparaître ? Non. Ou en tout cas, il faudrait changer les traités européens pour arriver à cela.
Lors du lancement de l’idée d’un euro digital, en janvier de cette année, l’Eurogoupe, c’est à dire les ministres des finances de la zone euro, s’est voulu rassurant : « l’euro numérique devrait compléter et non remplacer les espèces, et garantir l’accès à la monnaie de banque centrale pour les utilisateurs de la zone euro à une époque où les paiements sont de plus en plus numérisés ».
Mais même si le politique avait des vues cachées, il serait impossible de faire disparaître les pièces et billets sans changer le droit fondateur de l’Union européenne. Car, comme le souligne l’ancien secrétaire général de la Commission européenne Martin Selmayr, « notre argent est protégé par la Constitution européenne. Les billets et pièces en euros ont « cours légal » en vertu du droit de l’Union (et plus précisément l’article 128, paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l’UE). Nous continuerons donc à pouvoir payer avec des billets et des pièces en euros partout dans la zone euro. »
Cours légal
Avoir cours légal, rappelons-le, cela signifie que n’importe qui, commerçant, citoyen, entreprise, administration… est obligé d’accepter un billet en euro en tant que moyen de paiement. « Pour les pièces en euros, l’obligation d’acceptation limitée (jusqu’à 50 pièces par paiement) est réglementée par un règlement de l’Union européenne, explique encore Martin Selmayr. L’euro numérique devrait lui aussi faire l’objet d’un règlement de l’Union européenne. Le Parlement et les ministres des Finances de l’UE. L’obligation d’accepter les billets en euros est juridiquement la plus stricte, car elle est directement ancrée dans les traités de l’UE », poursuit-il.
Et ces dispositions sont bien connues de tous : en obligeant les commerçants du pays à accepter au moins une forme de paiement électronique depuis l’été dernier, le SPF économie avait ainsi rappelé que cela ne signifiait pas pour autant la fin des pièces et billets. « Les espèces constituent un moyen de paiement ayant cours légal. À ce titre, elles restent valables et ne peuvent être refusées par un commerçant, sauf dans certains cas exceptionnels et temporaires (montant disproportionné, sécurité, soupçon de faux, etc.) », rappelait l’administration.
L’euro digital ne devrait donc pas sceller le sort de l’euro physique.
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