Gert Askes (Brink’s Belgium): “Le domaine de l’argent liquide ne peut pas être laissé dans son état actuel”

euros argent
© Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Conserver l’infrastructure actuelle du transport de fonds dans le pays est un défi. Le patron de Brink’s Belgium en appelle à une grande discussion avec les banques, les commerçants et les autorités, sur le modèle néerlandais.

Gert Askes est à la tête de Brink’s Solutions Belgium. Le géant américain Brink’s, spécialisé dans le transport de fonds et la gestion de l’argent liquide, occupe en Belgique environ 600 personnes, réparties sur trois sites (Liège, Courtrai et Grand-Bigard). Mais dans un monde paradoxal où l’argent se digitalise de plus en plus mais où les clients désirent avoir encore et toujours la possibilité de payer en liquide, la situation des transporteurs de fonds est délicate. « Conserver une activité profitable dans le domaine de la gestion du cash n’est pas facile », avoue Gert Askes.

Innovation et effet d’échelle

« L’utilisation de l’argent liquide est en déclin, constate-t-il. De nouveaux modes de paiement apparaissent et le pourcentage de paiements effectués en espèces diminue. La quantité d’argent à transporter n’augmente pas, et les banques et les commerçants doivent traiter différents modes de paiement pour les proposer à leurs clients. Si vous êtes dans un supermarché, vous voulez payer en espèces, vous voulez payer par carte, vous voulez peut-être payer par carte de crédit, peut-être par téléphone, … tous ces modes de paiement nécessitent un investissement. Si le montant du pourcentage des paiements en espèces diminue, et puisque vous devez toujours maintenir la même infrastructure en place, cela devient plus cher pour les banques ou pour les détaillants. La seule chose que vous pouvez faire alors est de compenser cet impact en introduisant de nouvelles technologies et des innovations. C’est ce que nous faisons chez Brink’s ».

Gert Askes

Parmi les nouveautés qui sont présentes sur le marché belge, il y a par exemple Batopin, note Gert Askes. Batopin est la plateforme qui regroupe les quatre grandes banques du pays, dont Brink’s est le fournisseur, et qui doit installer 2.510 distributeurs de billets dans 970 points d’accès répartis dans tout le pays d’ici à la fin 2025. « C’est un bon exemple de solution centralisée et intégrée », souligne Gert Askes. Mais ce n’est pas suffisant.

Un équilibre difficile

Que ce soit en Belgique ou ailleurs, la répartition entre les divers moyens de paiement n’est pas stabilisée. La Suède, qui s’était très fortement digitalisée, est revenue en arrière. Le gouvernement suédois est en effet intervenu en début d’année pour garantir aux ménages la possibilité de payer en espèces des biens essentiels comme les médicaments, la nourriture ou le carburant. Ce qui nécessite donc de nouvelles obligations pour les transporteurs de fonds suédois.

« Chaque pays essaie de trouver le bon équilibre entre l’accessibilité, l’efficacité tout en maintenant le prix du service abordable, constate Gert Askes. Plus vous consolidez et intégrez et centralisez, plus vous pouvez travailler de manière rentable ». Mais, ajoute le patron de Brink’s Belgique, le marché du transport de fonds est très particulier.

« Dans un marché traditionnel, on parle d’une concurrence parfaite, dit-il: il y a beaucoup de concurrents, tout le monde offre un service compétitif ». Mais ce n’est pas le cas pour le marché de transport de fonds qui, en Belgique, est un oligopole, constitué de deux acteurs, Brink’s et Loomis. « Et cette activité est extrêmement intensive en capital. Donc, si vous imaginez ce marché dans quelques années, et si vous savez que le marché est en contraction, vous savez qu’il sera très, très difficile pour deux fournisseurs d’opérer en Belgique de manière rentable, parce que la Belgique est trop petite », constate Gert Askes.

Solution néerlandaise

La solution ? Elle pourrait être néerlandaise, souligne le directeur général de Brink’s Belgique. Chez nos voisins, en effet une nouvelle loi sur l’accès à l’argent liquide est en gestation. Son objectif est que « l’argent liquide reste accessible, disponible et abordable ». Les grandes banques néerlandaises seront obligées de fournir une infrastructure de base pour les paiements en espèces dans le pays. Par ailleurs, comme le transport de fonds est en grande partie assuré par un seul prestataire de services, en l’occurrence Brink’s, la banque centrale néerlandaise se chargera de contrôler ce marché afin d’éviter tout risque d’interruption de services. Les sociétés de transport de fonds devront par exemple rendre compte régulièrement de leur santé financière.

« Il existe aux Pays-Bas un partenariat entre les banques commerciales, le ministère des Finances, la Banque centrale et Brink’s (leader aux Pays-Bas, NDLR) pour dire : nous assurons ensemble la gestion de l’argent liquide et nous devons nous assurer que cette infrastructure critique fonctionne pour les années à venir . Pour Brink’s, cela veut dire que nous passerons sous la supervision de la banque centrale, nous serons totalement transparents, nous obéirons à des règles très strictes. Nous n’allons pas demander des prix stupides, nous agirons en tant qu’acteur clé responsable dans ce domaine de l’argent liquide. Je crois que cela pourrait être quelque chose que la Belgique peut regarder ». Même si, en Belgique, le marché est un peu différent de celui des Pays-Bas, concède Gert Askes. « L’accès à l’argent liquide est un sujet politique sensible, et le marché belge est probablement le marché le plus réglementé dans le transport de fonds, dit-il. Et puis il y a les partenaires sociaux qui ont une opinion sur le fait de s’assurer de maintenir l’emploi… »

Appel à la discussion

Ces particularités ne doivent pas empêcher d’avancer, poursuit Gert Askes. « Tous les intervenants du marché doivent collaborer à un niveau supérieur, afin de construire le système de gestion de l’argent liquide du futur, et pouvoir affronter les changements qui, ces prochaines années, ne manqueront pas d’intervenir. Nous pensons qu’il est bon d’accélérer la discussion avec Febelfin, avec les banques commerciales, avec les grandes chaînes de distribution, pour arriver à une prise de conscience similaire à celle qui a eu lieu aux Pays-Bas », ajoute-t-il.

« Cela prendra du temps. Cela ne se fera pas cette année, ajoute-t-il. Mais il nous semble qu’il est important d’impliquer toutes les parties prenantes à un stade très précoce. Le domaine de l’argent liquide est trop important pour être laissé en l’état ».

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content