Faut-il des géants bancaires pour sauver l’Europe ?

Aucune banque européenne n’est en mesure de rivaliser avec les mastodontes américains. © Getty Images
Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Pour éviter le décrochage avec les banques américaines, des voix s’élèvent dans les milieux bancaires européens pour réclamer des règles du jeu moins strictes et muscler le secteur. À raison ?

Nouveau record pour JP Morgan. La plus grande banque américaine a frappé un grand coup en dépassant pour la première fois les 50 milliards de dollars de bénéfice annuel. Sous la houlette de Jamie Dimon, son emblématique patron, elle a atteint le montant impressionnant de 58,5 milliards de profits engrangés en 2024. Qui dit mieux ? Personne. Même pas Bank of America qui a engrangé la somme rondelette de 27 milliards de dollars ou Wells Fargo qui a atteint 20 milliards. Ni Morgan Stanley, Citigroup ou Goldman Sachs qui se maintiennent autour de 13 milliards chacun.

En face, les banques européennes font plutôt pâle figure. Première banque de la zone euro, BNP Paribas a signé en 2024 un bénéfice record… on serait tenté de dire de seulement 11,7 milliards d’euros. En Belgique, KBC a lui aussi enregistré un bénéfice record mais qui se monte (à peine) à 3,4 milliards. En pleine forme, Belfius a dégagé un (petit) milliard de profit l’an passé. Quant à la filiale belge du groupe bancaire néerlandais ING Belgique, elle a bouclé 2024 sur un résultat net de… 900 millions d’euros.

Dérégulation aux États-Unis

Malgré ces performances honorables, le contraste avec les mastodontes américains est saisissant. Aucun acteur européen ne rivalise avec JP Morgan qui domine largement le secteur bancaire mondial du haut de ses 58 milliards de profits annuels. À tel point que de ce côté de l’Atlantique, on craint de ne plus pouvoir lutter à armes égales. En cause : la dérégulation bancaire aux États-Unis. Déjà reporté sous l’administration Biden, le projet de mise en œuvre des règles de Bâle pourrait, outre-Atlantique, être enterré pour de bon après la démission en janvier de Michael Barr, responsable de la supervision bancaire à la Réserve fédérale (Fed). Si tel est le cas, il deviendrait alors très difficile pour les banques de la zone euro de rivaliser avec des concurrentes qui seraient soumises à des contraintes moins fortes.

En fait, “c’est comme si vous deviez jouer un match de football en respectant la règle du hors-jeu alors que votre adversaire peut s’en affranchir”, situe Éric Dor, économiste et professeur à l’IESEG de Lille, qui ajoute que c’est la raison pour laquelle “tout le monde, banquiers et régulateurs compris, s’inquiète en Europe de ce mouvement de dérégulation en cours aux États-Unis qui s’accélère avec le retour de Trump aux affaires”.

Car qui dit assouplissement des exigences en matière de solvabilité dit fonds propres excédentaires et donc capacité financière supplémentaire pour rémunérer les actionnaires ou accorder davantage de prêts. De quoi booster encore un peu plus les bénéfices des banques américaines. D’où la récente sortie de Michael Anseeuw, CEO de BNP Paribas Fortis et président de la fédération bancaire belge (Febelfin), qui déclarait dernièrement dans le quotidien flamand De Standaard que “les niveaux actuels de fonds propres étaient déjà suffisants” et que donc “un durcissement des règles n’était pas nécessaire”.

Mariages transfrontaliers

En réalité, jamais depuis la crise financière de 2008, le plaidoyer en faveur d’une dérégulation du secteur bancaire européen et d’une plus grande taille critique de ses acteurs n’a été aussi fort. Outre un assouplissement des règles en matière de solvabilité, l’idée de créer de véritables champions bancaires capables de rivaliser avec leurs homologues américains est à nouveau dans l’air. C’est le cas en Allemagne avec l’offensive du groupe italien UniCredit sur Commerzbank. Voire chez nous où circulerait en coulisses le scénario de grandes manœuvres impliquant KBC, Ethias et Belfius.

La faillite de Lehman Brothers n’a-t-elle pourtant mis en lumière les risques d’avoir des banques too big to fail ? Bien sûr, mais cela n’empêche visiblement pas la présidente de la BCE, Christine Lagarde, de se montrer favorable à des rapprochements transfrontaliers entre établissements bancaires qu’elle juge d’ailleurs “souhaitables”.

Surprenant ? Non, estime Éric Dor : “On peut comprendre que dans un contexte où la rentabilité des banques européennes est menacée par une concurrence américaine qui serait presque déloyale, se pose la question d’une consolidation supplémentaire des banques pour réduire les coûts et dégager des synergies, sachant aussi que fusionner avec une autre banque permet de diversifier les risques en ne dépendant plus d’un seul marché domestique.”

Fusionner avec une autre banque permet de diversifier les risques en ne dépendant plus d’un seul marché domestique.
Eric Dor, économiste et professeur à l’IESEG de Lille

Eric Dor, économiste et professeur à l’IESEG de Lille

Les obstacles restent cependant nombreux : disparités nationales, obstacles politiques, etc. Grand patron de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé exprimait dernièrement des réserves quant à un mouvement plus large de fusions entre institutions bancaires de la zone euro. Interrogé par nos confrères du journal Les Échos, il faisait valoir que l’économie de telles opérations, voire de certaines fusions nationales, était rarement avantageuse. Selon lui, “il n’y aura pas ou très peu de rapprochements transfrontaliers en banque de détail en Europe”.

Pourquoi ? Parce que, d’après Jean-Laurent Bonnafé, “il est très difficile de dégager des synergies dans une opération de cette nature, de l’ordre de 15% à 20% au terme de trois années en Europe, de l’ordre de 40% à 50% aux États-Unis au bout de six mois”.

Un seul terrain de jeu

Il est un fait que le marché européen des banques reste fractionné. De nombreuses législations nationales ne rendent pas possible une gamme uniforme de produits d’épargne ou d’investissement. De plus, chaque pays a sa propre culture et ses propres préférences. En Belgique, par exemple, la grande majorité des prêts hypothécaires accordés le sont à taux fixe, tandis que dans des pays comme l’Espagne, c’est le taux d’intérêt variable qui est la norme.

Surtout, notre marché des capitaux est loin de faire le poids avec celui de l’oncle Sam. Et là est sans doute le vrai problème des banques européennes, comme le soulignait dernièrement sur notre site web Sonja Rottiers, présidente du Belgian Finance Center, plateforme visant à promouvoir les métiers de la finance en Belgique : “Avoir un marché unique des capitaux en Europe devient urgent !”, martelait-elle dernièrement lors d’une conférence organisée autour de la thématique du financement des entreprises en Europe.

Il est vrai que le rapport Draghi, qui pointe les gros besoins d’investissement dont l’économie européenne a besoin pour rester compétitive à l’échelle mondiale, insiste lui aussi sur cette nécessité d’une meilleure intégration des systèmes financiers (quelques grandes Bourses, règles communes, etc.). Ce faisant, une banque devrait avoir un accès plus facile aux marchés des autres pays de l’Union. “Ce qui veut dire qu’elle devrait être en mesure de générer davantage de chiffre d’affaires en dehors de ses frontières, sans avoir à fusionner avec un acteur étranger”, conclut Éric Dor. 

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