Family Offices: les gardiens invisibles des grandes fortunes sortent de l’ombre

En Belgique, les family offices veillent sur environ 40 milliards d’euros d’actifs. © Getty Images
Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Discrets mais influents, les family offices gagnent en importance dans l’univers feutré de la gestion patrimoniale en Belgique. Réservés aux grosses fortunes, ils orchestrent transmission, gouvernance et philanthropie. Un métier en pleine expansion, encore peu connu du grand public.

Longtemps réservés aux happy few, les family offices sortent de l’ombre en Belgique. Assez méconnues du grand public, ces structures privées dédiées à la gestion et à l’accompagnement patrimonial des grandes fortunes prennent une place de plus en plus importante dans le paysage financier belge. On estime qu’environ 680 familles belges disposent d’un patrimoine avoisinant les 25 millions d’euros.

Qu’il s’agisse de grandes familles industrielles, d’héritiers, d’entrepreneurs ou de sportifs de haut niveau, un tiers d’entre elles ont recours à un family office. Leur mission ? Mettre en concurrence les différents banquiers afin de trouver ceux qui proposent la meilleure gestion au meilleur prix. Surtout, mettre en place une transition harmonieuse de la fortune familiale et avoir une vue globale du patrimoine, souvent réparti dans plusieurs institutions bancaires, voire sur plusieurs pays.

En plein essor

Le secteur est en plein essor. Selon certaines estimations, les family offices veillent collectivement sur une fortune globale estimée à près de 40 milliards d’euros d’actifs en Belgique. Pourtant, malgré cette montée en puissance, le métier demeure encore largement méconnu du grand public, et surtout, il souffre d’un manque criant d’encadrement réglementaire. C’est pourquoi quatre acteurs de référence viennent de lancer la Belgian Family Office Association (BFOA), une nouvelle association qui entend structurer le secteur et instaurer des standards professionnels. Parmi les quatre membres fondateurs figurent des family offices reconnus et expérimentés, bien établis en Belgique, comme Intuitae, Family Partners, Yours Advisory ainsi que le multi-family office de la banque BNP Paribas Fortis. Ces quatre fondateurs représentent ensemble environ 120 familles.

Dans un monde du family office en Belgique assez jeune, mais surtout en pleine évolution, le but de la création de cette nouvelle association n’est pas de séduire de nouveaux clients très fortunés, mais de fédérer, et pourquoi pas, de recruter d’autres acteurs du secteur. Contrairement au Luxembourg par exemple, la profession de family officer n’est pas encadrée légalement en Belgique.

“L’idée est née il y a environ deux ans, à l’occasion de rencontres informelles entre professionnels expérimentés du métier, explique Thomas Descours, président de la BFOA et directeur du bureau belge d’Intuitae, un family office qui s’occupe de plusieurs familles en même temps. Très vite, nous avons partagé le même constat : le métier de family office en Belgique mérite d’être mieux structuré, mieux représenté et mieux connu, pour mieux servir les familles. La BFOA n’est pas une simple vitrine, ce n’est pas un organe de représentation. En fait, elle a été vraiment pensée comme un lieu de travail, un lieu d’échange et de progression collective pour les acteurs du secteur. Et c’est vraiment là que réside toute sa valeur. Rejoindre l’association, c’est d’abord avoir accès à une plateforme de dialogue qui est structurée, c’est-à-dire un espace où il sera possible de confronter ses pratiques, partager des méthodologies, identifier les solutions et capitaliser sur les expériences des autres. Tout cela dans un cadre confidentiel.”

“Le métier de family office en Belgique mérite d’être mieux structuré, mieux représenté et mieux connu.” – Thomas Descours (intuitae)

Tour de contrôle

Profession en devenir, on peut comparer le family office à une tour de contrôle indépendante, chargée d’orchestrer toutes les dimensions de la vie patrimoniale d’une famille. Cela inclut la consolidation et la supervision des actifs financiers (cotés ou non cotés), la gestion des actifs immobiliers, les aspects juridiques, fiscaux, successoraux, en Belgique et à l’international, les projets philanthropiques, la gouvernance familiale, la formation des nouvelles générations, et parfois une assistance administrative spécifique.

“Il s’agit d’être à la fois un chef d’orchestre, un directeur familial, mais aussi un médecin généraliste, explique Diego de Potter, managing partner chez Family Partners. Mais, insiste-t-il, un family office ne peut pas avoir le moindre intérêt dans une structure, quelle qu’elle soit.”

Ainsi, le rôle du family office peut se résumer en trois mots : protéger, structurer, transmettre. Protéger ce qui a été construit, aujourd’hui comme demain. Structurer les actifs, la gouvernance, les projets, les relations entre générations. Transmettre, non seulement des biens, mais aussi des valeurs, une vision, une continuité. Mais attention : en aucun cas, des placements ne peuvent être conseillés. Tout comme vendre des produits financiers est exclu.

Trop peu encadré

Un conseil indépendant à celui que leur propose leur banquier privé, c’est en effet ce qui explique la croissance continue du nombre de family offices en Belgique depuis la crise de 2008. Une croissance qui témoigne d’une volonté grandissante des familles fortunées d’être accompagnées par des structures plus professionnelles, capables de répondre à des enjeux patrimoniaux de plus en plus complexes et intergénérationnels. Cette tendance est notamment portée par une génération d’entrepreneurs en vue, en particulier en Flandre, qui créent leurs propres structures d’investissement, comme Alychlo pour Marc Coucke ou Baltisse pour la famille Balcaen.

Marc Coucke © BELGAIMAGE

Mais derrière cette dynamique, le secteur reste malgré tout, comme mentionné plus haut, peu encadré et hétérogène. “Tous les family offices ne répondent pas à la définition rigoureuse du métier”, alerte Thomas Descours. Concrètement, on estime qu’en Belgique, seuls 10 à 20 multi-family offices – comme Family Partners, Intuitae, Praxis ou encore Portolani – seraient réellement alignés avec les standards promus par la BFOA.

Le métier a d’ailleurs beaucoup évolué. Historiquement, le rôle d’un family office se résumait souvent à la réduction des coûts. “À l’époque, le client type avait une priorité claire : réduire les frais. C’est ce que j’appelle le family office 1.0, où nous agissions avant tout comme des cost killers. Le message des clients était simple : ‘ Je vous rémunère pour aller négocier avec les banques’. Cette logique, bien qu’économiquement rationnelle, limitait la qualité de service et n’attirait guère la sympathie du secteur financier”, explique Diego de Potter.

Depuis, les mentalités ont profondément changé. Les nouvelles générations de clients – souvent âgées de cinquante ans ou moins – ne recherchent plus uniquement la performance financière. “Le rendement de portefeuille n’est plus au centre des discussions dans un family office moderne”, observe Diego de Potter. À ses yeux, l’essentiel des échanges porte désormais sur des sujets plus globaux et humains : structuration de la gouvernance familiale, transmission intergénérationnelle, impact sociétal, soutien aux jeunes entrepreneurs, projets philanthropiques…

Les bons profils

Reste que ce métier de family officer, pourtant clé pour la gestion des grandes fortunes, n’est, comme on l’a dit, aujourd’hui soumis à aucune législation spécifique. Il échappe notamment à la supervision de la FSMA, le régulateur belge des marchés financiers, car il ne relève ni du conseil en placement ni de la vente de produits financiers. Résultat : le terme family office est parfois utilisé à tort, sans véritable respect des exigences de compétence, de neutralité ou de confidentialité. N’importe quelle société de gestion ou courtier en assurances peut aujourd’hui se présenter comme proposant des services de family office, sans offrir de conseil vraiment indépendant des gestionnaires d’actifs dont ils distribuent les produits.

Encore faut-il, toutefois, disposer des talents nécessaires pour véritablement professionnaliser le métier, comme le souligne Diego de Potter en guise de conclusion : “Il est parfois difficile de recruter les bons candidats, ceux qui deviendront de vrais family officers. Nous accompagnons les familles sur le très long terme, et il n’est tout simplement pas envisageable de changer de collaborateurs tous les six mois. Cela exige une véritable éthique, une réelle passion pour le métier et un engagement profond. Ce sont précisément ces valeurs que nous cherchons à cultiver”, insiste Diego de Potter, parlant d’un défi supplémentaire pour un secteur en quête de crédibilité et de reconnaissance, à la croisée de la finance, du conseil stratégique et des relations humaines.

“Il est parfois difficile de recruter les bons candidats, ceux qui deviendront de vrais ‘family officers’.” – Diego de Potter (family partners)

Un family office n’est pas l’autre
En Belgique, on distingue plusieurs types de family offices. Les “single family offices” se consacrent à une seule famille, tandis que les “multi-family offices” indépendants, non liés à une banque ou à un groupe financier, accompagnent plusieurs familles sans lien entre elles. Certains établissements bancaires, comme BNP Paribas Fortis, proposent également ce service, de façon totalement indépendante de leur activité traditionnelle. Leur rôle n’est pas de vendre des produits financiers ni de prodiguer des conseils en investissement, mais plutôt de coordonner, superviser et structurer le patrimoine familial, tout en assurant une neutralité totale.

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