Européens économes: pourquoi le pot d’épargne de 1000 milliards d’euros de la pandémie reste-t-il intact?
Pendant la pandémie, les ménages de la zone euro ont pu (et dû) épargner 1000 milliards d’euros supplémentaires. Cependant, en raison des taux d’intérêt plus élevés et de la vague d’inflation, l’attendue consommation dite de revanche s’est fait attendre. Les Belges n’ont, eux aussi, pas trop touché à leur épargne covid.
Alors que l’économie américaine est en plein essor, l’économie européenne flirte avec la récession. L’une des principales explications est que les ménages américains dépensent sans compter, tandis que les ménages européens préfèrent garder leur épargne. En 2023, la consommation privée en Europe a pris un retard considérable par rapport à la reprise attendue, ce qui a également maintenu le cycle économique dans les starting-blocks. La Commission européenne ne s’attend pas non plus à une explosion de la consommation cette année, même si les revenus réels augmentent et que les ménages disposent d’une solide épargne.
Pot d’épargne supplémentaire de 1000 milliards d’euros
Ce pot d’épargne a reçu un solide apport en 2020 grâce à la crise du covid. Les confinements et autres mesures covid ont limité la capacité des ménages à dépenser, tandis que les revenus ont été largement protégés par un soutien généreux des pouvoirs publics. Le choc de la crise a également incité les ménages à constituer davantage de réserves d’épargne afin d’être financièrement préparés à faire face aux calamités. Entre 2020 et aujourd’hui, les ménages de la zone euro mettront de côté 19% de leurs revenus, alors que le taux d’épargne n’était que de 13% pour la période 2013-2019.
Il est surprenant de constater que l’essor de l’épargne s’est poursuivi même après la crise du Covid. Le taux d’épargne a baissé, mais est resté plus élevé qu’avant la crise, et ce jusqu’à l’année dernière. Dans ses dernières perspectives, la Commission européenne a calculé que cet effort d’épargne supplémentaire s’élevait à environ 1000 milliards d’euros pour la période 2020-2023. En d’autres termes, depuis la crise, les ménages de la zone euro ont épargné 1000 milliards d’euros qu’ils auraient pu dépenser s’il n’y avait pas eu la pandémie.
Une épargne surprenante
De nombreux économistes et institutions, dont la Commission européenne, s’attendaient à ce que les ménages puisent dans leurs économies pour stimuler la consommation. Ils se doutaient cependant que les familles n’épuisent totalement cet argent soigneusement mis de côté. Ce sont en effet principalement les ménages aisés qui ont renforcé leur épargne, et ces derniers ont tendance à moins toucher à leurs réserves. Il est néanmoins surprenant de voir à quel point les ménages européens laissent intactes leurs économies liées à la pandémie.
La Commission européenne avance plusieurs explications possibles pour comprendre le comportement plutôt frugal des ménages européens. Il est possible que les ménages pratiquent davantage l’épargne dite de précaution. Mais même en 2023, le niveau d’épargne est resté relativement élevé, malgré une amélioration significative de la confiance des consommateurs et un marché du travail solide. Les ménages épargnaient donc encore beaucoup en 2023, même s’ils considéraient que leurs perspectives économiques étaient plus favorables.
Les familles réagissent à la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation
Qu’est-ce qui explique ce boom durable de l’épargne ? La Commission européenne pointe du doigt les taux d’intérêt nettement plus élevés perçus par les ménages sur les comptes d’épargne et autres dépôts. Ceux qui consomment davantage perdent donc plus de revenus d’intérêts potentiels. La hausse des taux d’intérêt a également incité les ménages à se désendetter ou à réduire le montant de leurs emprunts hypothécaires. En tout état de cause, la hausse des prix de l’immobilier et le resserrement des conditions de crédit font qu’il est plus difficile pour les familles d’obtenir un prêt hypothécaire.
Outre cette réaction logique à la hausse des taux d’intérêt, les ménages ont également maintenu leurs efforts d’épargne afin de reconstituer leurs réserves financières qui ont été fortement ébranlées par la vague d’inflation. Un taux d’inflation de 10 % équivaut à un impôt sur la fortune de 10 % sur l’épargne. “En 2021, le patrimoine net des ménages représentait 970 % des dépenses de consommation annuelles. Ce ratio est tombé à 800 % en raison de la vague d’inflation, ce qui correspond à la moyenne historique. L’épargne Covid a donc été utilisée pour faire face à cette baisse”, a indiqué la Commission, ajoutant que pour ces raisons, elle ne s’attend plus à ce que les ménages puisent dans une partie importante de cette épargne pour stimuler leur consommation.
Les ménages belges aussi sont économes
Les ménages belges se sont également constitué une épargne supplémentaire pendant la période covid, et ils ne semblent pas non plus avoir l’intention de s’en servir. La Banque Nationale estime que pour la seule année 2020, les ménages auront épargné 23 milliards d’euros supplémentaires. “Le taux d’épargne des ménages belges a diminué depuis 2020, mais reste supérieur à celui d’avant la période covid. Cela signifie que cette épargne covid n’a pas été convertie en consommation supplémentaire”, explique Geert Langenus, économiste à la Banque Nationale. En fait, en 2023, le taux d’épargne a de nouveau augmenté, passant de 13 à 14 %, et devrait rester à ce niveau relativement élevé en 2024 et 2025 également, selon la Banque Nationale. “La principale raison pour laquelle les ménages épargnent à nouveau un peu plus est également la hausse des taux d’intérêt en Belgique”, explique Geert Langenus.
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