Comment investir en période de baisse des taux ?

La volatilité extrême du bitcoin peut entraîner des pertes significatives et son manque de réglementation et de protection des investisseurs ajoute un risque.

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche fait peser de nombreuses incertitudes sur l’économie mondiale. À quoi doivent s’attendre les marchés financiers en 2025 ? Comment pouvons-nous, en tant qu’épargnants et investisseurs, tirer parti de cette nouvelle période d’imprévisibilité ? Quelles sont les opportunités ? Quels sont les risques ?

Sur les marchés financiers, la période actuelle ne cesse de bousculer les attentes. Après l’ère des taux négatifs, l’incroyable résilience de l’économie américaine, la remontée historique des taux en 2022 et 2023, l’irruption fulgurante de l’intelligence artificielle, un nouveau chapitre s’ouvre : les banques centrales amorcent une baisse des taux, alors même que l’économie mondiale continue de croître. Aux États-Unis, il faut remonter à la période 1984-1986 pour observer un cycle de baisse des taux hors récession. Cet enchaînement inédit pose une question clé : quelle stratégie d’investissement adopter en 2025 ?

Pour y répondre, nous avons sondé quatre spécialistes :

  • Jérôme van der Bruggen, chief investment officer de Degroof Petercam,
  • Bernard Keppenne, chief economist de CBC,
  • Erik Joly, économiste en chef d’ABN Amro Belgique, et
  • Philippe Gijsels, chief strategist de BNP Paribas Fortis.

Pour les investisseurs, la bonne nouvelle est que la baisse des taux est par essence favorable pour l’ensemble des marchés, comme l’explique Philippe Gijsels : “les taux d’intérêt sont à la finance ce que la gravité est à la physique. Et lorsque la force de la gravité s’atténue, presque tous les actifs parviennent plus facilement à grimper”.

Le principal perdant est l’épargnant. D’une part, “l’inflation reste problématique et érode le pouvoir d’achat des liquidités”. D’autre part, “la baisse des taux des banques centrales aura comme conséquence de réduire les rémunérations des comptes à terme et, dans une moindre mesure, des comptes d’épargne”, avertit Bernard Keppenne. Tactiquement, ce changement d’environnement rebat également les cartes au sein des différentes classes d’actifs.

Les taux d’intérêt sont à la finance ce que la gravité est à la physique. Et lorsque la gravité s’atténue, presque tous les actifs parviennent plus facilement à grimper.
Philippe Gijsels

Philippe Gijsels

BNP Paribas Fortis

L’heure des obligations longues ?

Une baisse des taux d’intérêt, c’est en principe le jackpot pour les obligations à longue durée. Pourquoi ? Parce qu’une diminution des taux provoque mécaniquement une hausse des cours obligataires. Prenons un exemple concret. Si vous détenez une obligation offrant un rendement de 5%. Cette obligation sera plus prisée qu’une nouvelle émission similaire ne proposant que 3%. Plus l’échéance de l’obligation est lointaine, plus l’impact cumulé est important. En effet, la différence de taux s’applique sur un plus grand nombre d’années.

C’était pour la théorie, mais en pratique, les marchés financiers ne sont pas si généreux. “Ils ont déjà anticipé les baisses de taux des banques centrales”, pointe Bernard Keppenne. Résultat, le rendement du Bund allemand à 5 ans est déjà descendu à 2,05%, bien en deçà du taux de dépôt actuel de la Banque centrale européenne (BCE), fixé en décembre à 3%.

Les marchés parient sur cinq baisses de taux supplémentaires de la BCE d’ici 2025, avec un taux de dépôt à 1,75%, explique Jérôme van der Bruggen. “Pour que la BCE soutienne les cours obligataires, il faudrait qu’elle devienne encore plus accommodante en allant soit plus loin, soit plus vite.” Et le même schéma se répète outre-Atlantique. Les marchés tablent sur quatre baisses supplémentaires de la Réserve fédérale américaine.

En résumé, il est trop tard pour miser sur les obligations de longue durée. L’heure serait même plutôt à une certaine prudence face à la menace persistante de l’inflation. Elle a en effet légèrement accéléré en octobre et en novembre aux États-Unis, atteignant 2,7%, un niveau qui demeure supérieur à l’objectif de la Fed.

Or, si les banques centrales ralentissent leurs baisses de taux, les obligations longues seront les plus affectées. Philippe Gijsels préconise ainsi le moyen terme : “notre préférence va en ce moment aux placements en obligations d’une durée de trois à quatre ans”.

Dettes d’entreprises

En termes d’émetteurs, les obligations d’entreprises de qualité (investment grade) en euros se distinguent comme une valeur sûre. “Ce segment offre un rendement attractif d’environ 3 %, combinant le Bund allemand à 2 % avec un spread supplémentaire de 1 %”, explique Jérôme van der Bruggen. De plus, “il est soutenu par les fondamentaux solides des entreprises européennes, des taux de défaut faibles et une forte demande pour ces actifs”. À noter que le taux de défaut correspond à la part d’émetteurs d’obligations d’honorer leurs engagements (paiement des intérêts, remboursement de l’obligation).

Pour les portefeuilles cherchant davantage de rendement, il conseille une diversification vers le haut rendement européen, qui affiche des taux autour de 5,5 %. Bien que plus risqué, ce segment est soutenu par la résilience de l’économie et la baisse des taux, qui réduit la pression sur les entreprises très endettées. “Les taux de défaut devraient rester bas”, précise le responsable des investissements de Degroof Petercam.

Bernard Keppenne partage les mêmes convictions, mais se tourne davantage vers les États-Unis. Il privilégie les obligations d’entreprises américaines (de qualité et à haut rendement) en raison des taux élevés aux États-Unis et des baisses d’impôts promises par Donald Trump. Ces mesures fiscales devraient offrir un coup de pouce significatif aux entreprises outre-Atlantique.

Pour une approche diversifiée et sans casse-tête, vous pouvez vous tourner vers les fonds obligataires pour investir dans ces différents segments.

Les Sept Fantastiques

Du côté des actions, la baisse des taux des banques centrales promet des opportunités intéressantes. Même si Erik Joly tempère quelque peu les attentes. “Les marchés d’actions progresseront à nouveau en 2025, mais on ne parle plus de hausse à deux chiffres (>10%, ndlr). Les marchés sont en effet déjà chèrement valorisés. Historiquement, le S&P 500 américain se négocie à 17 fois les bénéfices. Aujourd’hui, le multiple atteint 27.”

Les marchés d’actions progresseront à nouveau en 2025, mais on ne parle plus de hausse à deux chiffres.
Erik Joly

Erik Joly

ABN Amro

Une flambée tirée par les géants de la tech, les fameux Sept Fantastiques (Apple, Amazon, Alphabet, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla). Ceux-ci affichent un ratio stratosphérique de 50 fois les bénéfices.

Malgré cette prime, le potentiel des leaders technologiques demeure réel. Notamment car ils dominent l’avenir de l’intelligence artificielle, “un secteur d’investissement prometteur en raison de son potentiel de transformation dans des domaines tels que la santé, la finance et la gestion des réseaux”, selon Jérôme van der Bruggen.

Philippe Gijsels renchérit : “les actions de croissance (dont les Sept Fantastiques, ndlr) bénéficieront de la baisse des taux. Les taux d’intérêt agissent comme une machine à remonter le temps, revalorisant les profits futurs des entreprises.” En clair, plus les taux baissent, plus les cash-flows futurs valent cher aujourd’hui.

Approche Barbell

Mais ce ne sont pas les seules à tirer leur épingle du jeu. “La baisse des taux, traditionnellement associée à une reprise économique, est un élément favorable pour les actions cycliques et value (décotées)”, explique le stratégiste de BNP Paribas Fortis.

Degroof Petercam mise ainsi sur une stratégie Barbell, ou “des deux extrêmes”, comme l’explique Jérôme van der Bruggen. “Nous renforçons nos positions dans les grandes valeurs technologiques de croissance, tout en augmentant notre exposition aux petites et moyennes capitalisations domestiques américaines, davantage orientées value.”

Et l’Europe dans tout cela ? Elle risque fort de rester en retrait, victime de “l’exceptionnalisme” américain. Sur la dernière décennie, la croissance bénéficiaire des entreprises y a été 1,7 fois supérieure à celle du Vieux Continent. Et cette dynamique devrait se poursuivre. Entre baisses d’impôts prévues aux États-Unis et nouvelles barrières douanières promises par Donald Trump, les entreprises européennes pourraient avoir du mal à rivaliser.

Financières et électrification

Malgré ces perspectives mitigées pour les marchés européens, certains secteurs pourraient parvenir à se démarquer en 2025. Le secteur des matériaux de base pourrait bénéficier de la baisse des taux d’intérêt. En effet, cette baisse des taux stimulera la demande de matériaux de construction. “Le secteur financier (banques et compagnies d’assurances) devrait profiter des marges d’intérêt qui devraient rester élevées et l’évolution attendue de la courbe des taux renforcera également cet effet dans les mois à venir”, prédit Bernard Keppenne.

Erik Joly et Philippe Gijsels privilégient également les valeurs financières pour 2025. Le premier épinglant la dérégulation envisagée aux États-Unis et le second, l’amélioration des marges d’intérêt. “Les banques utilisent des avoirs d’épargne rémunérés suivant les taux à court terme pour octroyer des prêts à plus long terme”, détaille Philippe Gijsels. Leurs recettes ont ainsi déjà baissé dans le sillage des taux à long terme, alors que leurs charges devraient suivre les taux des banques centrales et donc reculer en 2025.

“Un autre secteur qui profite de la baisse des taux est celui des énergies alternatives”, poursuit le stratégiste de BNP Paribas Fortis. Les financements dans les éoliennes ou panneaux solaires peuvent en effet être obtenus à de meilleures conditions, améliorant d’autant la rentabilité des projets.

Jérôme van der Bruggen mise pour sa part sur l’électrification au sens large. “Ce thème est crucial pour les années à venir, soutenant la transition vers des sources d’énergie plus propres et durables, tout en répondant à la demande croissante de véhicules et d’infrastructures électriques.”

La logistique et le commerce de détail pourraient être deux segments porteurs pour les investisseurs. © Getty Images

Le come-back des immobilières

Un autre secteur très dépendant des taux d’intérêt est l’immobilier coté, notamment au travers des coûts de financement ou de l’attrait du rendement de dividende (comparé aux obligations). Il avait ainsi été fortement sanctionné en 2022, mais n’a pas rebondi depuis. L’indice Stoxx 600 Reits des valeurs immobilières réglementées européennes évolue ainsi au même niveau que fin 2022. En Belgique, des poids lourds comme Cofinimmo, WDP et Aedifica, membres du Bel 20, affichent des pertes de 10% à 30% depuis le début de l’année.

Ces performances décevantes pourraient cacher des opportunités intéressantes. “De nombreuses immobilières belges cotent en dessous de leur valeur intrinsèque (valeur du patrimoine immobilier après déduction des dettes, ndlr) et affichent des rendements de dividende spectaculaires dépassant parfois 6% net”, observe ainsi Erik Joly.

Pour Philippe Gijsels, les perspectives s’améliorent alors que “la baisse des taux d’intérêt devrait soutenir la demande d’immobilier et alléger les coûts de financement des promoteurs”.

Segments porteurs

Mais la sélectivité reste de mise. Le segment autrefois populaire des maisons de repos a perdu de son attrait. Ce dernier a été victime de pressions sur les loyers après le scandale Orpea. Ainsi sur fond de baisse des taux d’occupation, ces actifs peinent à convaincre.

Un sondage réalisé à l’automne par Degroof Petercam auprès d’investisseurs institutionnels met en lumière deux segments porteurs.
La logistique : avec l’essor de l’e-commerce et des chaînes d’approvisionnement toujours plus complexes, les besoins en entrepôts restent élevés.
Le commerce de détail : après avoir été lourdement pénalisé par la crise sanitaire, ce segment amorce un rattrapage. Les loyers et les taux d’occupation, plus résilients qu’attendu, redonnent de l’élan à ce secteur autrefois en difficulté.

Du côté des valeurs belges à privilégier pour des investissements directs afin d’éviter le double précompte frappant les dividendes étrangers, épinglons notamment Montea, WDP ou VGP dans la logistique ainsi que Retail Estates et Ascencio dans le segment commercial.

L’or et le dollar resteront des valeurs refuges de choix pour 2025. © Getty Images

De nouveaux records pour l’or

Parmi les investissements alternatifs, l’or reste une valeur refuge de choix pour 2025. La majorité des experts interrogés continuent ainsi de plébisciter le métal précieux pour différentes raisons.

“L’or est un actif qui bénéficie généralement des baisses des taux d’intérêt”, rappelle Jérôme van der Bruggen. En effet, lorsque les rendements des obligations diminuent, l’or gagne en attrait, devenant une alternative compétitive.

En outre, “la demande d’or pourrait augmenter en raison des achats par les banques centrales”, qui continuent de renforcer leurs réserves en or. Enfin, “le métal jaune se distingue traditionnellement par sa décorrélation des cycles économiques et des performances des entreprises.”

Seul Erik Joly émet un bémol estimant que “de nombreuses bonnes nouvelles (pour le métal jaune) sont déjà intégrées dans le prix de l’or. Il n’est pas dès lors pas exclu que des prises de bénéfices ternissent les performances du métal précieux en 2025.”

Le billet vert plutôt que le bitcoin

Régulièrement présenté comme l’or numérique, le bitcoin ne profite pas du même enthousiasme malgré ses récents records à plus de 100.000 dollars l’unité. “À ce stade, le bitcoin bénéficie plutôt de l’effet Trump que de l’effet taux”, avertit ainsi Bernard Keppenne.

Fondamentalement, le bitcoin demeure un actif spéculatif qui n’a pas encore prouvé sa capacité à servir de valeur refuge selon Jérôme van der Bruggen. “De plus, il est, contrairement à l’or, peu décorrélé et a montré un comportement très volatil. Il monte fortement lorsque le marché monte, mais descend tout aussi fortement lorsque le marché baisse. En outre, le bitcoin présente plusieurs autres inconvénients dans une gestion de portefeuille diversifiée. Sa volatilité extrême peut entraîner des pertes significatives et son manque de réglementation et de protection des investisseurs ajoute un risque supplémentaire.” Pour consolider les portefeuilles, il privilégie ainsi plutôt le dollar américain, considéré comme “la” valeur refuge.

À ce stade, le bitcoin bénéficie plutôt de l’effet Trump que de l’effet taux.
Bernard Keppenne

Bernard Keppenne

CBC

Financer l’économie réelle

Par ailleurs, “le private equity mérite certainement sa place dans un portefeuille bien diversifié”, affirme Erik Joly d’ABN Amro Belgique. Historiquement, ce type d’investissements, consistant à financer des entreprises non cotées, offre un potentiel de rendement supérieur aux marchés boursiers.

En plus d’un potentiel de valorisation attractif, le private equity permet de soutenir des entreprises à taille humaine. Il contribue directement à leur croissance. La baisse des taux pourrait également favoriser ce segment en relançant les opérations transactionnelles, comme les fusions-acquisitions et les introductions en Bourse. Ces dernières constituent autant de portes de sortie pour les investisseurs en private equity.

Cependant, ces opportunités ne sont pas accessibles à tous. Le private equity exige généralement un patrimoine conséquent, en raison de sa faible liquidité et de mises de départ élevées. Pour contourner ces obstacles, la solution est de miser sur les holdings cotées spécialisées en private equity, comme Sofina, Whitestone, GIMV, ou Brederode, toutes disponibles sur Euronext Bruxelles. Ces alternatives permettent de s’exposer au private equity sans sacrifier la liquidité de votre investissement.

Le grand retour des produits structurés


En perte de vitesse durant de longues années en raison de leur mauvaise presse lors de la crise financière et de la baisse continue des taux, le marché des produits structurés connaît une véritable résurrection en Belgique. Les ventes sur le marché primaire (nouveaux produits) ont ainsi quadruplé à 1,3 milliard d’euros au troisième trimestre selon les données de l’association Belispa. Ce retour à l’avant-plan s’explique avant tout par l’attrait des épargnants pour les produits structurés avec protection du capital. Ce qui leur permet d’investir en limitant la prise de risques.
Rappelons toutefois qu’un produit structuré est en fait un montage financier. Après déduction des frais, le montant investi est partagé entre une obligation zéro coupon dont le remboursement final assure la protection totale ou partielle du capital et un produit dérivé sur un actif sous-jacent (actions, obligations, etc.) qui assure le rendement. Cette conception explique que la protection du capital n’est applicable qu’à l’échéance, rendant les produits structurés très peu liquides.
Même si les produits structurés sont globalement moins complexes qu’auparavant, il convient de rester attentif, la protection du capital ne signifiant pas sans risque. En outre, tenez compte également des frais qui risquent d’absorber le surcroît de rendement espéré, notamment pour les produits structurés indexés que les marchés obligataires.

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