Christine Lagarde vit-elle sur Mars?

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Pour être sûre d’étouffer l’inflation, la Banque centrale européenne va encore remonter ses taux. Mais ce tour de vis est-il nécessaire?

“Christine Lagarde vit sur Mars.” Matteo Salvini, patron de la Ligue du Nord et actuel ministre italien de la Mobilité, fait rarement dans la dentelle. Mais il n’est pas le seul à pester contre la dernière hausse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) annoncée par sa présidente. Certains gouverneurs de banques centrales de pays du sud de l’Europe ont également exprimé, en secret, leur désaccord. Le 14 septembre, la BCE a en effet décidé de relever ses taux directeurs de 0,25%. Sur un peu plus d’un an, le taux de référence, celui des opérations principales de refinancement, est donc passé de 0 à 4,5%. Pour retrouver une montée aussi brutale du loyer de l’argent, il faut remonter aux chocs pétroliers de la fin des années 1970. Car la BCE combat l’inflation en tapant sur la croissance. Certes, elle sait bien qu’une grande partie de l’inflation est importée et provient des prix du gaz et du pétrole. Mais elle estime que si l’on ne fait rien, l’inflation va déclencher une spirale générale prix-salaires et contaminer toute l’économie.

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Ice Bucket Challenge

Pour refroidir la mécanique et empêcher cette fièvre dangereuse, la BCE pratique l’Ice Bucket Challenge: elle balance un grand seau d’eau glacée pour geler l’activité. Elle y réussit, d’ailleurs. Le crédit bancaire a déjà fortement diminué. L’Allemagne est en récession, l’économie de la zone euro s’alanguit. Sa croissance ne serait que de 0,7% cette année, 1% l’an prochain et 1,5% en 2025. La BCE est pourtant d’avis que c’est le seul moyen de faire tomber l’inflation à 2,1% en 2025 contre 5,6% cette année.

Mais si les décisions prises lors des mois précédents ont déjà fait de l’effet, pourquoi balancer un nouveau seau d’eau glacée sur l’économie européenne? Essentiellement pour une raison de crédibilité. Le but que s’est fixé la BCE (à savoir ramener l’inflation aux alentours de 2% en 2025) est pour l’instant davantage un souhait qu’une prédiction. Or, la BCE n’a pas été très efficace dans ses actions précédentes. Sa crédibilité avait été entachée lors de la crise de 2008 et lorsqu’elle avait remonté ses taux en 2011, alors que l’on était en pleine crise de la zone euro! Et puis, pendant cinq ans, lorsque l’inflation était trop basse et que la BCE faisait tout pour la faire remonter vers 2%, l’institution s’est systématiquement trompée dans ses prévisions. Elle promettait trimestre après trimestre que les prix allaient se réveiller, mais il n’en a rien été.

Depuis 2013, qui est le moment où la BCE a commencé à rendre publiques ses prévisions d’inflation sous-jacente, “toutes les prévisions se sont avérées systématiquement incorrectes”, avaient souligné en 2018 deux économistes du think tank Bruegel. Aussi, en expliquant en conférence de presse le 14 septembre pourquoi la BCE relevait encore ses taux, sa présidente s’est réjouie de ce que la crédibilité de l’institution “avait emprunté un chemin positif”. Même si, pour cela, elle risque de plonger la zone euro en récession et, surtout, d’écarteler la zone car les plus faibles de la zone euro supporteront beaucoup moins bien ce brusque renchérissement du crédit.

Il y a un an, le président de la Réserve fédérale Jerome Powell a avoué: “Nous avons besoin d’une augmentation du chômage, d’un ralentissement du marché. Il n’y a pas de méthode indolore pour faire baisser l’inflation”. La question est toutefois de voir jusqu’à quel point il est nécessaire de se faire mal.

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