Ce qu’il faut retenir de la tempête bancaire

Le siège de Credit Suisse, sur la Paradeplatz, à Zurich. © Belgaimage
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

En l’espace de quelques jours, trois banques ont fait faillite aux Etats-Unis et un fleuron bancaire s’est effondré en Suisse. Retour sur une folle semaine en 10 points clés.

Tout a commencé le 8 mars avec la fermeture aux Etats-Unis de la Silvergate Bank, spécialisée dans les cryptomonnaies. Le 10 mars, c’est la Silicon Valley Bank (SVB), inconnue du grand public mais tout de même la seizième banque des Etats-Unis, basée en Californie, qui annonce sa faillite. Le 12 mars à New York, la Signature Bank tombe aussi à la suite d’un retrait massif de dépôts. Le 17 mars, les actions de la First Republic, basée à San Francisco, dégringolent en Bourse malgré le soutien de la Réserve fédérale (Fed) et un groupe de 10 grandes banques américaines.

En Europe, le cours de l’action Credit Suisse dévisse, entraînant dans son sillage tout le secteur bancaire européen (-6% pour KBC, -9% pour Deutsche Bank, -10% pour l’action BNP, -10% aussi pour ING). Le 19 mars, la deuxième banque helvétique disparaît du paysage, avalée par sa grande rivale UBS pour 3 milliards d’euros. Une bouchée de pain…

1. Pas un remake de 2008

Quinze ans après, les événements ne sont pas sans rappeler le chaos provoqué en 2008 par les rachats des banques d’affaires Bear Stearns et Merrill Lynch par JP Morgan et Bank of America, suivis de la faillite de Lehman Brothers. Panique, retraits des dépôts, effet domino…

Ce n’est pourtant pas un remake de 2008, affirme le chief investment officer de Lombard Odier. L’origine de la tempête est différente. “La crise de 2008 trouvait ses causes dans le financement de l’immobilier résidentiel avec un effet de levier pour certains emprunteurs et une titrisation qui a généré une propagation géographique et impacté l’ensemble du secteur bancaire, rappelle Bruno du Bus, partner auprès de la société de gestion Fide Capital.

L’origine du problème actuel relève d’abord d’une expansion importante des dépôts chez SVB et d’une mauvaise diversification au niveau des échéances du portefeuille obligataire dans lequel ces dépôts ont été replacés, le tout dans un contexte de hausse des taux.” Quant à Credit Suisse, en proie à une profonde restructuration, ses ennuis ne datent pas d’hier. Empêtré dans les affaires Greensill et Archegos, il était depuis des années sous la loupe des autorités de contrôle.

2. Le premier “bank run” invisible

Une similitude néanmoins avec 2008: un soudain problème de confiance. C’est cela qui a mis au tapis SVB, la banque des entreprises high tech très prisée de personnalités comme Peter Thiel (cofondateur de PayPal) et décapitée par un bank run comme les livres d’histoire en sont remplis. Mais cette fois-ci, la panique des clients ne s’est pas vue. A l’heure du smartphone et de la banque en ligne, ils ne font plus la queue devant les agences comme ce fut le cas en 2007 avec Northern Rock au Royaume-Uni. Il leur suffit d’un clic pour récupérer leur argent et diffuser la panique sur les réseaux sociaux.

Lors de la présentation du plan de liquidation de Credit Suisse le dimanche 19 mars, son président, Axel Lehmann, n’a d’ailleurs pas hésité à accuser Twitter et compagnie d’avoir joué un rôle dans la chute de son groupe. “Une banque est en effet une entreprise un peu particulière, relève Bruno du Bus. Elle peut afficher des gains – SVB a d’ailleurs réalisé un bénéfice de l’ordre de 25 dollars par action en 2022 – mais rapidement rencontrer de graves problèmes en cas de perte de confiance et de retraits massifs au niveau de ses dépôts.”

3. Le choc des taux

La remontée des taux est une bonne chose pour les banques et leurs marges, confrontées depuis des années à des taux négatifs particulièrement pénalisants pour leur résultat. Le problème, c’est qu’elle a été trop brutale. “Cela vise non seulement les banques commerciales mais aussi les banques centrales, embraye Bruno du Bus. Plusieurs d’entre elles ont déjà annoncé des pertes liées à leur portefeuille obligataire, dont la BCE. Leur situation est évidemment totalement différente mais cela illustre la mécanique de l’impact des hausses des taux sur un portefeuille obligataire. Le ‘boomerang’ du quantitative easing (politique monétaire ultra-accommodante, Ndlr) en quelque sorte…”

En commençant à relever leurs taux directeurs l’an passé, les autorités monétaires (Fed et BCE) ont en effet mis fin à une longue période d’argent abondant et quasiment gratuit. L’irruption d’une forte inflation, à l’origine du revirement stratégique des banques centrales, a complètement chamboulé la donne. Le renchérissement rapide du coût du crédit, surtout aux Etats-Unis, commence à déstabiliser les banques les plus fragiles, c’est-à-dire celles qui ont acheté ces dernières années des montagnes d’obligations assorties de taux très bas et qui se retrouvent maintenant avec des portefeuilles affichant de grosses pertes potentielles. Car quand les taux montent, les obligations se déprécient. Et les pertes peuvent tout d’un coup se matérialiser lorsqu’on est obligé de revendre ces titres avant leur terme pour rembourser les déposants qui s’en vont en masse, comme ce fut le cas pour SVB.

4. La revanche des banques européennes

Les régulateurs ne cessent de le répéter: le paysage bancaire a beaucoup évolué depuis 2008. Le contrôle a été considérablement renforcé, les digues de fonds propres exigés fortement relevées, en particulier pour les grandes banques européennes. Le corset réglementaire mis en place après 2008 fonctionne-t-il donc bien?

“Particulièrement au sein de la zone euro, observe Bruno du Bus. Des banques allemandes ou italiennes ont également été mises sous pression il y a peu mais sans conséquence majeure. Mais toute crise, bancaire ou autre, est une crise de trop. Des mesures correctrices devront inévitablement être prises, plus spécifiquement aux Etats-Unis.”

5. Encore l’Oncle Sam!

Quinze ans après les subprimes, ce sont en effet encore les Etats-Unis qui nous contaminent. En cause: la loi Dodd- Frank qui a été révisée sous la présidence de Donald Trump. Le seuil d’application des accords de Bâle III a été relevé à 250 milliards de dollars de total de bilan, contre 50 milliards de dollars auparavant.

C’est cet assouplissement des règles de surveillance qui a permis à SVB de passer au travers des mailles du filet, de commettre des erreurs de gestion (clientèle ultraconcentrée dans un secteur, mauvaise couverture des taux) et qui irrite les autorités de contrôle européennes. Surtout que pour éviter un embrasement des marchés, l’Oncle Sam a garanti tous les dépôts de SVB au-delà du plafond de 250.000 dollars (chez nous, c’est 100.000 euros) assuré automatiquement par le fonds américain de garantie des dépôts.

“C’était probablement le prix à payer afin d’éviter une contagion des problèmes, tout au moins au niveau des banques régionales”, estime Bruno du Bus. Mais les dégâts potentiels sont présents: pour les clients, pour les détenteurs d’obligations de ces banques et pour les actionnaires.

6. Une nouvelle hiérarchie des perdants

Echafaudé en urgence pour aussi faire face à une fuite des dépôts, le plan de sauvetage de Credit Suisse s’accompagne d’une douche froide pour les investisseurs (assureurs, gestionnaires de fonds) qui voient une ardoise de 17 milliards de dollars d’obligations convertibles, dites CoCos (pour contingent convertible) ou AT1 (additionnal tier 1), être purement et simplement annulée.

“Normalement, en cas de faillite d’une banque, ce sont d’abord les déposants qui sont remboursés, puis les obligataires, et enfin seulement les actionnaires s’il reste de l’argent, explique Roland Gillet, professeur de finance (Sorbonne, ULB). Cette règle n’a pas été respectée pour le sauvetage de Credit Suisse pour une classe de détenteurs d’obligations qui peuvent effectivement se montrer frustrés. C’était le prix à payer pour éviter un effet de contagion.”

D’un autre côté, “on n’a pas fait un énorme cadeau aux actionnaires”, ajoute-t-il. “Trois milliards d’euros, ce n’est pas beaucoup pour une banque qui vaut assurément bien plus. Quoi qu’il en soit, cela laissera des traces. Il est clair que les investisseurs risquent d’être refroidis par ce manque de rigueur en matière de bail-in (mécanisme qui permet aux régulateurs de prendre des mesures en vue de prévenir la défaillance des banques, Ndlr) et que les banques auront sans doute plus de mal à se financer via ce canal à l’avenir.”

7. L’image de la Suisse écornée

La décision des autorités suisses de privilégier les actionnaires par rapport aux détenteurs d’obligations à risque porte par ailleurs un coup dur à la réputation de la Suisse comme place financière. La forteresse qui abritait les fortunes du monde entier dans ses coffres-forts n’est désormais plus la même. “C’est une crise des élites zurichoises”, commente l’historien de la finance Tobias Straumann dans Le Temps, pour qui la débâcle de Credit Suisse est révélatrice du déclin de la place financière helvète. Un déclin qui a commencé après la crise financière de 2008 et la fin du secret bancaire.

8. Une banque encore plus systémique

En liant ses deux géants bancaires, la Suisse donne aussi naissance à un monstre bancaire. Au final, le nouvel ensemble affichera un bilan dont la taille s’élèvera à 1.600 milliards de francs suisses, soit deux fois le PIB du pays! Bref, une méga-banque encore plus too big to fail (trop grande pour faire faillite) que ne l’était Credit Suisse avant sa chute. Une banque d’importance systémique mondiale qui est de surcroît le résultat du mariage forcé, sous la houlette de Berne, entre deux banques qui ont souffert de scandales à répétition.

9. Des pompiers pyromanes

Pour Roland Gillet, la récente crise bancaire démontre la forte réactivité des autorités de contrôle des deux côtés de l’Atlantique à circonscrire les risques de contagion. “A la fois dans l’ampleur et dans la manière, elles ont réagi très fortement et très rapidement, aux Etats-Unis comme en Suisse. Janet Yellen, la secrétaire au Trésor, Jerome Powell du côté de la Fed, et même le président Joe Biden, sont montés au créneau.

Pour Credit Suisse, c’est la voie de la continuité des activités qui a été empruntée sans toutefois nationaliser la banque. Seule UBS était en mesure de pouvoir réaliser l’opération en conservant le drapeau suisse, tout en étant soutenue par la banque centrale suisse avec en outre une garantie de 100 milliards de francs.”

Comme toujours en cas de tourmente financière, les seuls acteurs susceptibles de calmer la tempête sont les Etats et les banques centrales, pompiers efficaces quand bien même ils ont un peu joué aux pyromanes au travers d’un quantitative easing certes salvateur pour l’endettement des Etats mais qui a déversé une énorme quantité d’argent sur les marchés depuis plus de 10 ans.

10. Jamais dans le même panier

Selon Bruno du Bus, “les événements illustrent une nouvelle fois l’importance de la diversification qui s’applique non seulement aux investisseurs mais également aux dirigeants d’entreprises”. Jamais bon, en effet, comme l’a fait SVB, d’avoir une grosse partie de sa clientèle concentrée dans un seul secteur. Reste enfin à voir si tous ces malheurs et la défiance généralisée envers elles vont pousser les banques à se montrer plus sélectives dans l’octroi de crédits et accélérer ainsi le ralentissement de la conjoncture.

“C’est effectivement un risque à prendre en compte pour la suite. Mais les banquiers centraux l’ont déjà bien identifié et indiquent d’ores et déjà qu’ils adapteront leurs prochaines décisions en matière de taux en conséquence, à côté de la lutte contre une inflation attendue encore au-delà de leur objectif”, conclut Roland Gillet.

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