Ce que le gendarme de la concurrence reproche aux banques

Les quatre grandes banques ont tendance à offrir aux consommateurs des produits à des conditions commerciales substantiellement similaires, constate l’Autorité belge de la concurrence. © Getty Images
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

En plein débat sur l’épargne mal rémunérée, et juste avant l’émission de nouveaux bons d’Etat, un avis de l’Autorité de la concurrence pointe les dangers d’une forte concentration du marché entre BNP Paribas Fortis, KBC, Belfius et ING.

Quatre grandes enseignes régnant presque sans partage sur le secteur. Voilà comment on pourrait résumer la situation du marché bancaire dans notre pays, selon un rapport remis voici quelques jours par l’Autorité belge de la concurrence (ABC) au ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne. Ce dernier avait demandé au mois de juin à l’organe indépendant de procéder à une étude sur un éventuel manque de concurrence dans le secteur bancaire. Résultat des courses, l’ABC constate que “le marché de la banque de détail en Belgique (…) présente les caractéristiques d’un oligopole dominé par quatre grands acteurs”. Et de citer BNP Paribas Fortis, KBC (CBC en Wallonie), Belfius et ING, qui détiennent une grande majorité des activités bancaires sur le marché belge, rendant très difficile pour la concurrence la possibilité de s’y faire une place.

Pas assez de concurrence

A la question de savoir pourquoi l’épargne des Belges reste mal rémunérée alors que la Banque centrale européenne (BCE) a significativement relevé ses taux directeurs, l’Autorité de la concurrence répond ainsi que notre marché bancaire est “très concentré” entre ces principaux acteurs, qui totalisent 70% des livrets d’épargne réglementés. “Les quatre grandes banques ont tendance à rouler en peloton et à offrir aux consommateurs des produits à des conditions commerciales substantiellement similaires”, écrit noir sur blanc l’ABC.

Plus précisément, “le marché de la banque de détail présente certaines caractéristiques qui facilitent la coordination entre les principaux acteurs et tendent à réduire la concurrence”, ces derniers étant “susceptibles d’observer facilement le comportement de leurs concurrents et d’adopter une ligne de conduite similaire reflétant leurs intérêts partagés”. Et donc, les faibles taux d’intérêt sur les comptes d’épargne sont un exemple de ce manque de concurrence dans les offres des (grandes) banques. Selon l’ABC, la répercussion du taux de dépôt de la BCE sur les tarifs de l’épargne est particulièrement “lente et incomplète” en Belgique. Elle est même très significativement inférieure à la moyenne de la zone euro et à ce qu’elle est dans des pays frontaliers comme le Luxembourg ou la France.

Bien que sans appel, le constat n’étonne cependant guère Eric Dor. “Dans un marché concentré, les acteurs dominants n’ont effectivement pas intérêt à se faire concurrence de manière acharnée, explique l’économiste qui enseigne à l’IESEG (Lille). Chaque grande banque sait parfaitement bien que si elle procède unilatéralement à une hausse des taux sur ses dépôts d’épargne, les autres suivront automatiquement pour éviter de perdre des clients. Le résultat, c’est que toutes auront perdu des revenus sans avoir gagné des parts de marché. C’est une situation bien modélisée par la théorie des jeux où chaque banque prend sa décision en tenant compte de la réaction attendue des trois autres.”

Barrières à l’entrée

Parmi les éléments à l’origine de cette situation, les autorités de la concurrence pointent notamment les fortes barrières à l’entrée, principalement réglementaires (agrément, coûts de conformité, etc.). De grosses clôtures qui, en clair, protègent les acteurs établis. “L’exigence d’un agrément avant de pouvoir entrer sur le marché peut constituer un frein à la concurrence pour les entrants potentiels en ce que cela correspond à une charge supplémentaire, notamment financière et administrative”, note le rapport.

Cela étant, nuance Eric Dor, “il faut rappeler que ce cadre légal et réglementaire, qui a été renforcé depuis la crise de 2008 pour des impératifs de stabilité financière, pousse les banques à avoir une taille importante afin de pouvoir répartir les coûts sur une base de clientèle plus large et ainsi dégager des économies d’échelle. Et puis ce cadre autorise aussi des banques d’autres pays de la zone euro à venir capter de l’épargne en Belgique en créant une petite structure avec des coûts fixes moins élevés, ce qui leur permet d’offrir de meilleurs taux que les grands établissements locaux”. Par exemple, les petites banques en ligne du style MeDirect… Mais encore faut-il que le client suive. Car le citoyen, que l’on sait chez nous plus écureuil dans l’âme que loup de Wall Street, se méfie. Et changer de banque n’est pas évident. Outre les tracasseries administratives, la majorité des enseignes se livrent à des pratiques qui ont tendance à “cadenasser” leurs clients, comme les ventes groupées en cas de crédit hypothécaire. Ainsi, “votre banquier va vous dire de tout mettre chez lui pour avoir des conditions plus intéressantes, témoigne Grégory Guilmin, expert en placements spécialisé dans l’éducation financière. Et si vous dérogez à une condition durant le prêt, vos avantages sont perdus. On se sent donc contraint et même forcé à ne pas changer de banque.” Voilà qui explique pourquoi les épargnants ont tendance à demeurer particulièrement fidèles à leur banquier et à faire preuve d’une certaine inertie. La faute bien sûr aussi, et surtout, à la prime de fidélité qui, comme on le sait, rend les offres difficiles à comparer et conduit à ce que le taux réellement accordé ne corresponde généralement pas au taux affiché par la banque. “La prime de fidélité est contre-productive pour deux raisons, poursuit Grégory Guilmin. Non seulement elle pousse l’épargnant à laisser son épargne dormir, mais elle le contraint aussi à ne pas changer de banque, par peur de perdre les intérêts qui y sont liés.”

Une série de solutions

Sans pour autant parler de cartel, le rapport ne confirme pas seulement ce dont on se doutait, à savoir que notre paysage bancaire se caractérise par une concurrence plutôt feutrée. Il fournit également une série de solutions pour raviver la compétition, comme supprimer la distinction entre taux de base et prime de fidélité. “Quand les banques commerciales déposent de l’argent auprès de la BCE, insiste Grégory Guilmin, il y a un et un seul taux d’intérêt, et pas de prime de fidélité.” Il est également question d’autoriser la portabilité des numéros IBAN pour favoriser la mobilité bancaire (à l’image de ce qui se fait dans le secteur des télécoms) et d’étendre à tous les produits d’épargne l’avantage fiscal du livret de façon à ce que le choix d’un produit de placement soit neutre fiscalement.

Si la fédération bancaire (Febelfin) dit avoir pris acte du rapport, relevant “qu’aucun accord ou autre pratique limitative de la concurrence entre banques n’ont été constatés”, elle fait également valoir qu’il serait plutôt question de marché concentré, comme dans le reste de l’Europe. Reste que “si nos banques sont tellement peu appréciées par les temps qui courent, c’est bel et bien parce qu’elles tirent profit d’un environnement fiscal et réglementaire qui nuit à la concurrence”, résume Eric Dor.

70%

Part des livrets d’épargne réglementés ouverts chez les quatre principaux acteurs du secteur.

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