“Blockchain”, l’outil qui va révolutionner le business
Nouvelle manière de stocker et gérer l’information, la “blockchain” est une révolution silencieuse. Elle oblige à repenser les modèles un peu partout: dans la banque, l’administration… et même dans le métro.
On dit de la blockchain qu’elle constitue un changement aussi important que l’apparition de l’ordinateur dans les entreprises il y a 60 ans. A première vue pourtant, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard.
Blockchain, c’est pour le commun des mortels la technologie derrière les crypto-monnaies comme le bitcoin, dont l’envolée commence à ressembler à celle des bulbes de tulipes à Amsterdam en 1636. Mais c’est aussi, un nouvel outil informatique pour gérer l’information et plus précisément stocker des transactions de manière décentralisée. Plus besoin de tout loger dans une unité centrale à laquelle il faut être relié pour accéder aux données et dont le gestionnaire doit aller collecter à gauche et à droite les informations pour rester à jour. Avec ce nouvel outil, l’information est partagée par tous les membres d’un réseau en même temps, et les modifications apparaissent à tous en temps quasi réel. Cerise sur le gâteau, ces données sont infalsifiables car pour modifier l’information, il faudrait ” hacker ” pratiquement une bonne partie des ordinateurs du réseau. Or, ce nouvel outil commence à pénétrer tous les secteurs économiques. Il est en train de changer la vie des entreprises et donc, notre vie.
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… une technologie qui permet de stocker des données numériques pour un coût minime, de manière décentralisée et sécurisée. Il s’agit d’une sorte de registre qui contient la liste de tous les échanges effectués entre utilisateurs. Ce registre est stocké sur les serveurs de ses utilisateurs. Mis à jour en temps réel, il est infalsifiable car il repose sur un système cryptographique de validation par les utilisateurs à chaque transaction.
Ces ensembles de transactions sont inscrits dans le registre par blocs de données et forment ainsi une chaîne de blocs inaltérable : la “blockchain”.
La finance à la pointe
Les nouveautés apparaissent déjà dans les services financiers, à la pointe dans ce domaine. ” Aujourd’hui, les projets se font à petite échelle, observe Olivier Onclin, chief operating officer chez Belfius, mais s’il doit y avoir de grands développements blockchain, ce sera dans notre secteur, ajoute-t-il. Les banques ont déjà créé des réseaux entre elles par le passé et sont toutes en train de regarder cette technologie et de réaliser des tests. La blockchain a une énorme valeur partout où il existe une autorité centrale qui doit certifier une opération ou un changement de propriété. ” ” Nous voyons apparaître les projets les plus aboutis dans l’assurance, le financement des opérations commerciales, la gestion des titres, l’identification des clients et les paiements internationaux “, résume Stephan Janssens, associé chez Roland Berger.
” Les paiements internationaux sont un bon exemple de ce que peut apporter ce nouvel outil “, poursuit-il. Aujourd’hui, plus de 440 milliards de dollars sont versés chaque année par des travailleurs émigrés à leur famille restée au pays. Une partie importante de la population de ces pays en voie de développement n’est cependant pas bancarisée et les tarifs pratiqués par les sociétés spécialisées dans le transfert d’argent sont très chers, environ 7 à 8 % du montant. La solution passe par une application blockchain et un téléphone portable. Via une telle application, un transfert peut être aussi simple et peu coûteux que l’envoi d’un SMS. Des géants financiers comme Santander, BNP Paribas, mais aussi Swift, la grande coopérative bancaire spécialisée dans les transferts internationaux, planchent tous sur le sujet.
On dit de la blockchain qu’elle constitue un changement aussi important que l’apparition de l’ordinateur dans les entreprises il y a 60 ans.
” Mais mettre en oeuvre de tels projets est très complexe, embraie Olivier Onclin. Cela implique que tous les acteurs bougent ensemble et utilisent un standard commun. Les choses bougent : beaucoup de sociétés se sont mises autour de la table pour créer un cadre commun standardisé, une sorte d’App Store pour projets blockchain, à partir duquel les diverses communautés vont pouvoir développer des applications “. Septante banques se sont regroupées dans un consortium baptisé R3. IBM a mis la main sur Hyperledger, une plateforme permettant le développement d’applications dans de multiples domaines. De grands assureurs, parmi lesquels Ageas, ont eux aussi formé un consortium, B3i, pour développer des projets blockchain…
Des assurances automatiques
L’assurance est d’ailleurs également un champ privilégié pour ce type de projets. Voici un mois et demi, l’assureur Axa a lancé un contrat baptisé Fizzy et qui couvre les retards dans le transport aérien. ” Quand vous achetez une assurance sur la plateforme Fizzy, nous enregistrons la transaction dans la blockchain, explique-t-on chez Axa. Ce contrat intelligent est connecté aux bases de données du trafic aérien mondial, et dès lors qu’un retard de plus de deux heures est constaté, l’indemnisation se déclenche automatiquement. ”
Ces produits pourraient se multiplier. ” Nous nous attendons à voir des initiatives dans le domaine des sinistres, affirme en effet Eva Mertens, chez Ageas. Mais, tempère-t-elle, cela dépendra en grande partie de l’endroit où les assureurs voudront déployer la technologie. ” Car ces solutions nécessitent l’implication de toutes les parties prenantes. On peut imaginer un contrat qui indemniserait automatiquement les bris de glace, mais cela suppose une implication de l’assureur, des garagistes, voire des constructeurs automobiles…
Des containers qui arrivent à bon port
Pour les entreprises, et plus spécialement les grands exportateurs, la blockchain commence aussi à faire valoir ses avantages. ” Il y a beaucoup de risques aujourd’hui dans le monde de la trade finance, souligne Stephan Janssens. Une société minière qui envoie une livraison à destination d’une industrie métallurgique doit prendre contact avec son client, avec l’armateur qui va transporter la marchandise, et leurs banques respectives afin de s’assurer que la cargaison arrivera à bon port et sera bien livrée à la bonne personne et que l’expéditeur sera bien payé. La procédure nécessite l’envoi de nombreux documents, prend des jours et repose sur des acteurs qui ne se connaissent pas et ne se font pas nécessairement confiance.
Avec l’aide de la blockchain, toutes ces opérations seraient grandement facilitées. L’envoi des documents serait rapide et sécurisé, tous les acteurs auraient accès aux mêmes informations et pourraient notamment voir le profil de risque des contreparties et l’on pourrait également vérifier en temps réel le cheminement des marchandises. En outre, ajoute Stephan Janssens, ” cette technologie permettrait de nouveaux produits, comme par exemple le paiement granulaire, à savoir qu’une partie du montant de la vente pourrait être versée automatiquement dès que la cargaison a franchi la douane “.
Un rêve ? Non, une réalité. La banque britannique Barclays a sécurisé l’an dernier le financement d’une cargaison de beurre et de fromage d’un producteur irlandais vers une société des Seychelles. Le processus aurait pris 10 jours avec la méthode classique. Il n’a duré que quatre heures grâce à la blockchain.
Une application similaire est en train d’être développée par KBC et sept autres grandes banques (Deutsche Bank, HSBC, Natixis, Rabobank, Santander, Société Générale et UniCredit). Le projet qui s’appelait initialement “The Digital Trade Chain” a été récemment rebaptisé ” we.trade ” et devrait être opérationnel au début de l’an prochain.
Un autre projet, sur lequel travaillent nos grandes banques et qui devrait bientôt voir le jour, concerne l’identification de la clientèle. Un point crucial puisque la régulation impose aux entreprises financières de bien connaître leurs clients (know your customer). La nouvelle application permettrait de mettre à jour instantanément dans toutes les banques concernées la fiche d’une personne qui serait cliente de plusieurs banques. ” Cependant, ajoute Michael Anseeuw, le patron du retail banking de BNP Paribas Fortis, une bonne partie de la révolution blockchain sera silencieuse. Ces dernières années, beaucoup de nouveautés sont intervenues dans la partie applicative que les clients peuvent voir. Je pense au mobile banking. En revanche des projets liés au blockchain ou à l’intelligence artificielle vont plutôt se développer en coulisse. Ce sont des innovations qui vont modifier l’organisation de la banque en interne. La façade que le client verra sera toujours un site internet, des opérations de paiements, des crédits documentaires. Il ne verra sans doute pas que la technologie aura changé. ”
Du cadastre à la publicité
L’impact de la blockchain dépasse de loin le seul secteur financier. Dans la logistique par exemple, une start-up anversoise, T-Mining, utilise déjà la blockchain pour sécuriser le transport et la livraison de containers, et s’assurer que le bon container soit pris en charge par le bon transporteur et livré à la bonne personne.
Et comme la blockchain rend désormais inutile la présence d’une institution ou d’un gestionnaire central, de nombreux métiers d’intermédiaires pourraient être touchés. On pense entre autres à l’audit et à la comptabilité. Aujourd’hui, les auditeurs financiers vérifient le risque d’une opération après que celle-ci ait été effectuée. Certains imaginent cependant que l’on pourrait doter les entreprises d’un système qui déclencherait automatiquement une alerte si une transaction considérée comme à risque était effectuée.
Des géants financiers comme Santander, BNP Paribas, mais aussi Swift, planchent tous sur le sujet.
Dans le secteur des médias, certains prédisent la fin de agences médias, puisque la blockchain pourrait mettre en relation directe les annonceurs et les régies.
Dans les services publics, les possibilités sont immenses (lire l’encadré ” La blockchain porterait le coup mortel à la fraude fiscale) mais pas sans interrogations. Par exemple, si à l’avenir le cadastre devient une application blockchain et si la gestion des actes de propriété devient décentralisée, que deviendront les notaires et les receveurs d’enregistrement ?
Les grandes banques n’ont plus peur
En éliminant la nécessité d’un intermédiaire pour procéder à des opérations financières comme des paiements, certains anticipent aussi la fin des banques. ” Au contraire, rétorque Stephan Janssens. Avec la blockchain, elles pourraient avoir une nouvelle vie en tant que gestionnaires de ces nouvelles applications. ” Ce consultant ajoute que les grandes banques n’ont plus peur. ” Nous avons vu apparaître des petites fintechs dans le domaine du paiement, mais elles ne pourront jamais totalement remplacer les réseaux de confiance existants comme les grandes banques, Visa, MasterCard, Swift, Euroclear, etc. car ils développent également leurs propres solutions blockchain “, note-t-il.
” Dans la banque, même si l’environnement bancaire est de plus en plus technologique, la confiance reste un élément primordial, explique Michael Anseeuw. C’est pour cela qu’il faut faire une grande différence entre blockchains publiques et privées “. Une grande différence en effet. D’un côté, on parle d’applications ouvertes à tous et offertes par exemple sur le Web. De l’autre, d’applications développées pour un réseau particulier (celui de clients de banques par exemple) dont on connaît tous les membres et qui nécessitent une permission pour en faire partie. ” La confiance des clients, particuliers ou entreprises, se portera sur des blockchains privées, supportées par des institutions dans lesquelles ils peuvent avoir confiance. Et la confiance est un élément clé, surtout dans un environnement qui se digitalise de plus en plus vite “, appuie Michael Anseeuw, qui ajoute que pour la banque, ” la relation entre le client et la banque passe plus loin que la simple vente d’un produit ou d’une application “.
Aujourd’hui, la blockchain apparaît donc déjà comme une révolution majeure. Mais elle ne devrait pas couper toutes les têtes.
Pour les pouvoirs publics, grands consommateurs et producteurs de données, la technologie blockchain pourrait secouer bien des domaines : fiscalité, transport, contrôle du chômage, etc. Les applications potentielles sont légion. Entretien avec Pierre Bastien et Didier Tshidimba, deux responsables du bureau de consultance Roland Berger, lequel vient de publier une étude sur le sujet.
L’administration belge s’intéresse à la blockchain ?
Didier Tshidimba. Oui, mais elle ne l’a pas encore déployée. Pour les services publics, la mise en oeuvre de cette nouvelle technologie peut se heurter à plusieurs obstacles. Obstacles technologiques : les pouvoirs publics aiment utiliser une technologie qui a déjà été éprouvée. Obstacles philosophiques : l’administration est parfois synonyme de concentration de l’information et du pouvoir. Certaines administrations sont jalouses de leurs prérogatives. Or la blockchain repose au contraire sur la transparence et la décentralisation. Ou obstacles financiers : la mise en oeuvre de ces nouvelles applications peut nécessiter un pic d’investissement qui va se révéler rentable à long terme, mais qui, sur le moment, peut dépasser les capacités de financement des pouvoirs publics, lesquels ont généralement comme horizon temporel le temps d’une législature.
Reste que la blockchain pourrait faciliter grandement la tâche de l’Etat dans plusieurs domaines. L’échange d’informations fiscales, par exemple ?
Pierre Bastien. C’est clairement un domaine où la blockchain a du sens. Il n’existe pas aujourd’hui d’agence européenne qui centraliserait les données fiscales des ressortissants de l’Union. Les échanges sont encore organisés de manière bilatérale. Si j’utilise un compte belge pour acheter une maison en France et que je suis résident fiscal allemand, il y a un échange entre la France et la Belgique, puis entre la Belgique et l’Allemagne, mais il y a toutes les chances pour que les informations se perdent en route. Avec la blockchain, ces transactions seraient immédiatement transparentes à toutes les administrations fiscales, belges, françaises, allemandes et permettrait d’améliorer l’efficacité de la lutte contre l’évasion fiscale.
Didier Tshidimba, “managing partner” chez Roland Berger: “Certaines administrations sont jalouses de leurs prérogatives. Or la ‘blockchain’ repose au contraire sur la transparence et la décentralisation.”
Autre domaine qui pourrait être privilégié : le cadastre.
Pierre Bastien. Des applications sont déjà opérationnelles au Kazakhstan, au Ghana ou en Suède. Le rôle de l’administration cadastrale est de dresser l’inventaire des propriétés, de mettre à jour la description de ces biens et leur légalité et de servir de point de contact aux citoyens qui par exemple veulent connaître le montant de leur revenu cadastral. Grâce à la blockchain, l’enregistrement de ces données pourrait être réalisé directement par les citoyens, qui pourraient avoir accès à l’évolution d’une transaction sur un bien, sa description, réduisant ainsi le travail de l’administration et assurant une traçabilité à l’ensemble des actes. L’administration belge la plus en pointe dans ce domaine est la ville d’Anvers, qui a mis en place un piloteblockchain dans un domaine proche : la gestion de son registre de la population.
La blockchain pourrait aussi aider le Forem ou Actiris ?
Pierre Bastien. Oui. Le contrôle de la disponibilité des chômeurs qui doivent montrer qu’ils répondent aux offres d’emploi qui leur sont proposées, se fait aujourd’hui sur pièce. Un système blockchain reliant l’administration, les entreprises et les citoyens permettrait de vérifier automatiquement les réponses des chômeurs aux offres d’emploi. Et des contrats intelligents pourraient lier le contrôle du versement des indemnités de chômage à ces réponses, permettant aux fonctionnaires de réduire ces tâches de contrôle et de se concentrer sur la réinsertion des chômeurs dans le marché du travail.
Et même modifier la manière de prendre les transports en commun ?
Pierre Bastien. On parle beaucoup d’intermodalité. Mais comment facturer l’utilisation de divers modes de transport (vélo urbain, métro, train, bus) au cours d’un même voyage ? Dans l’idéal, le client devrait pouvoir disposer d’une sorte de pass lui permettant d’utiliser n’importe quel moyen de transport lors d’un voyage. Mais comment répartir les recettes entre la SNCB, De Lijn, Villo ?
Didier Tshidimba. Un des grands problèmes est de savoir exactement où le client monte et où il descend. Car dans un système de tarif unique, la longueur des trajets sera un des éléments principaux pour définir la répartition des revenus entre les divers acteurs. Tant que l’on n’aura pas défini les transferts de charges entre différents opérateurs et tant que l’on n’aura pas trouvé un moyen de gérer de manière automatique et rapide cette information sans faire exploser le système, la tarification unique ne sera pas possible. Mais la blockchain, ici aussi, apporte une solution.
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