Banques et coronavirus: quelles conséquences pour le secteur financier?

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Déjà challengées par divers vents contraires, les banques se retrouvent prises dans la tourmente du coronavirus qui les plongent dans la nouvelle réalité de taux d’intérêt… encore plus bas qu’avant. Et pour longtemps.

Le Black Swan, le cygne noir, l’événement imprévisible. Une épidémie mondiale. Des régions et des pays entiers en quarantaine. Des pans de l’économie mondiale à l’arrêt. Des entreprises qui passent en mode commando. Des marchés qui dégringolent et matraquent les valeurs bancaires, avec des cours en baisse pour certains établissements tels que ING de plus de 19 % en Bourse de Bruxelles, jeudi 12 mars dernier, voire d’environ 40 % en un mois pour BNP Paribas, à Paris. Difficile, bien sûr, de dire à l’heure actuelle jusqu’où les Bourses chuteront, ni quels seront exactement les dégâts sur le secteur bancaire, mais c’est une certitude : tous les secteurs de l’économie sont désormais impactés par la crise du coronavirus… et les banques ne font pas exception à la règle.

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Souvenirs de 2008

Cette hécatombe signifie-t-elle que les banques sont en danger et qu’une crise financière comparable à celle de 2008 se profile ? Alors que les consommateurs se sont rués sur leur banque pour réclamer leurs économies en 2008, cette fois ils se ruent sur les supermarchés, avec comme conséquence des rayons vides et une pression considérable sur la chaîne logistique. Rien de comparable néanmoins avec ce qui s’est passé en 2008. Le choc actuel est différent. Pour les banques, le risque est d’abord opérationnel. ” Nous ne sommes pas dans une crise systémique du secteur financier comme en 2008, affirme Bernard Keppenne, économiste en chef à la banque CBC. A l’époque, les banques étaient au coeur de la tornade, ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas pareil en termes d’instabilité financière. Les banques sont aujourd’hui nettement plus solides. ”

Autre différence par rapport à 2008 : mêmes si elles ne sont plus considérées comme invincibles par les marchés, les banques centrales sont aujourd’hui beaucoup plus rapides sur la balle. En témoigne le dernier coup de pouce de la Banque centrale européenne (BCE) qui, pour fluidifier les marchés financiers et assurer la liquidité des banques, va permettre à ces dernières d’être temporairement en dessous des exigences de fonds propres. Ce qui va les soulager temporairement d’une exigence de capital de 3,5 % à 4,5 % de leurs actifs pondérés par les risques, selon Eric Dor, professeur d’économie à l’IESEG de Lille. ” Globalement, cela représente environ une baisse temporaire des exigences de capital d’au moins 500 milliards d’euros pour les banques “, estime Eric Dor.

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Toujours plus bas

Mais, alors, pourquoi les investisseurs se montrent-ils si méfiants à l’égard des valeurs bancaires ? Pour Eric Dor, les taux d’intérêt sont le premier élément à prendre en considération pour expliquer le pessimisme actuel des investisseurs à l’égard de ces valeurs. ” Face à la crise du coronavirus, les investisseurs ont très logiquement anticipé de nouvelles baisses de taux d’intérêt visant à contrer les effets de l’épidémie sur l’économie alors que ceux-ci sont déjà très bas et qu’ils espéraient une normalisation de la politique monétaire des banques centrales. ”

Le retour à la normale est loin de se matérialiser, en effet. On le voit d’abord avec la Fed aux Etats-Unis qui, par deux fois, a brutalement réduit ses taux pour les ramener à zéro. On le voit aussi de ce côté-ci de l’Atlantique. Non seulement la BCE a décidé de gonfler de 120 milliards d’euros ses rachats d’actifs pour contrer l’épidémie et éviter un credit crunch, mais la gardienne de l’euro va, en plus, assouplir les conditions de ses prêts à long terme aux banques de la zone euro. Ces dernières vont pouvoir emprunter encore moins cher auprès de Francfort, jusqu’à un taux de – 0,75 %, ce qui est inférieur au taux de la facilité de dépôt qui reste, quant à elle, inchangée à – 0,5 %. En clair, cela veut dire que ” les taux vont rester bas plus longtemps que prévu “, poursuit Bernard Keppenne. Du coup, ” cela va réduire les revenus nets d’intérêt des banques et éroder leur rentabilité “, estime Eric Dor. Même si, ajoute-t-il, ” la balance des effets de ces mesures sur leur résultat va dépendre d’une banque à l’autre. ”

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Une économie mondiale déjà affaiblie

Au-delà de cette nouvelle ère de taux d’intérêt encore plus bas qui va compliquer la vie de nombreux acteurs de la finance, cette crise du coronavirus arrive aussi à un moment où l’économie mondiale est déjà affaiblie. Certes, le moteur chinois redémarre. Mais il faudra du temps pour que l’usine du monde reprenne son rythme de croisière. Et chez nous, en Europe ? Nous sommes dans l’oeil du cyclone. Mise sous cloche, comme a pu l’être la région de Wuhan en Chine, l’Italie est totalement à l’arrêt. Maillon faible de l’Europe, ” elle va très probablement tomber en récession “, estime Bernard Keppenne. Déjà en mode récession, la machine allemande est, elle aussi, grippée.

Chez nous, les mesures radicales de quasi- lockdown annoncées par le gouvernement Wilmès ne seront pas sans conséquence pour nombre d’entreprises et d’indépendants. Dans l’immédiat, les difficultés vont surtout concerner tout le secteur horeca, les commerces, la culture, les loisirs, les transports, l’événementiel ainsi qu’un certain nombre de PME. Certaines vont se retrouver sans revenus pendant plusieurs semaines alors que le compteur des frais va continuer à tourner. Les cinémas Kinepolis parviendront-ils à limiter les dégâts pendant les vacances de Pâques ? Rien n’est moins sûr. Les experts de la banque ING s’attendent désormais à une récession en Belgique. Selon leurs estimations, l’économie belge devrait se contracter de 0,1 % au cours du premier trimestre et de 0,3 % au cours du trimestre suivant.

ING Belgique. La banque a clôturé en baisse de plus de 19 %, en Bourse, jeudi 12 mars, sur fond de panique liée à l'épidémie de Covid-19.
ING Belgique. La banque a clôturé en baisse de plus de 19 %, en Bourse, jeudi 12 mars, sur fond de panique liée à l’épidémie de Covid-19.© BELGAIMAGE

Mauvais crédits

Les banques, qui ont prêté sans compter ces dernières années sous l’impulsion de la politique monétaire ultra-généreuse de la Banque centrale européenne, vont donc être confrontées à l’incapacité de nombreuses PME de rembourser leurs crédits.

Dans les banques, on se dit en tout cas prêt à faire face et on s’organise. Sur le plan opérationnel, d’abord. Les banques reçoivent encore la clientèle, mais uniquement sur rendez-vous. Chez BNP Paribas Fortis, environ 3.500 des 7.000 employés travaillent désormais à distance. Comme chez Belfius, des équipes scindées ont été mises en place pour certaines fonctions sensibles (IT, cash management, etc.).

C’est que ” le secteur financier entend prendre pleinement ses responsabilités et, moyennant des mesures appropriées, soutenir chacun – consommateurs et entreprises – afin de traverser cette période compliquée “, indique Febelfin, la fédération du secteur bancaire.

” Allez voir votre banquier “, insistait pour sa part Max Jadot, CEO de BNP Paribas Fortis à l’occasion de la présentation des résultats annuels de la banque vendredi dernier en conference call. ” Nous soutenons les mesures prises par le gouvernement et nous n’allons pas laisser tomber nos clients. En accord avec le secteur, les différentes autorités nationales et régionales ainsi que les régulateurs, nous allons soutenir l’économie belge et les entreprises en bonne santé. Les banques en Europe sont bien capitalisées. Et certainement en Belgique. La structure financière de BNP Paribas Fortis est très solide. Nous avons largement de quoi faire au niveau du capital pour traverser le coup de vent “, a martelé le CEO de BNP Paribas Fortis.

BNP Paribas Fortis. Environ 3.500 employés de la première banque du pays, dont le titre de sa maison mère a chuté d'environ 40 % en un mois, travaillent désormais à distance ou à la maison.
BNP Paribas Fortis. Environ 3.500 employés de la première banque du pays, dont le titre de sa maison mère a chuté d’environ 40 % en un mois, travaillent désormais à distance ou à la maison.© BELGAIMAGE

Effet ciseau

Malgré la persistance de taux historiquement peu élevés et la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, on notera que l’année écoulée fut bonne pour ” notre ” secteur bancaire, comme en témoignent les résultats des quatre principales enseignes ( lire l’encadré ” Près de six milliards de profits en 2019 “).

Toutefois, ” il est fort probable qu’un nombre certain d’entreprises affectées par la crise du coronavirus, les plus fragiles notamment, ne passeront pas le cap, résume Eric Dor.

Ici aussi, tout cela va peser sur les revenus des banques qui vont devoir passer des provisions pour cause de défaut sur les prêts. Autrement dit, il devrait y avoir une forte augmentation des non-performing loans, comme on dit en anglais, c’est-à-dire des mauvais crédits. ” Bref, si les banques sont aujourd’hui mieux surveillées et mieux capitalisées, elles n’échapperont pas au virus de l’effet ciseau, avec des revenus (intérêts, commissions) qui vont être encore un peu plus mis sous pression tandis que leurs coûts en termes de pertes pour mauvais crédit risquent de s’enfoncer dans le rouge.

La défaite des banques européennes

Il n’y a pas que le coronavirus qui met aujourd’hui les banques européennes sous pression. Il y a aussi la domination des banques américaines. Une suprématie tout aussi écrasante que dans la technologie. Ces dernières années, plusieurs dizaines de milliers de suppressions ont en effet été annoncées dans les banques européennes (1.400 postes supprimés chez KBC en trois ans, 2.500 chez BNP Paribas Fortis d’ici 2021, etc.). Pendant ce temps-là, les banques américaines en ont profité pour grignoter des parts de marché, jusqu’à capter désormais près de deux tiers des revenus mondiaux de la banque d’investissement, contre la moitié il y a 10 ans. UBS, Credit Suisse ou Deutsche Bank, qui avaient l’ambition d’être des joueurs de taille mondiale, ont renoncé et se sont repliés sur leur marché domestique. Un chiffre, à l’heure où nous écrivons ces lignes : JP Morgan pèse 320 milliards de dollars en Bourse. La première banque belge, KBC, à peine 17 milliards d’euros. Soit 20 fois moins.

Six milliards de profits

Mesures de précaution obligent, c’est via une vidéoconférence, et non lors d’une conférence de presse comme annoncé précédemment, que BNP Paribas Fortis a dévoilé la semaine passée ses comptes pour 2019. L’an dernier, la première banque du pays a dégagé un bénéfice net en hausse de 8 % à 2,2 milliards d’euros. De quoi porter les profits enregistrés l’an dernier par les quatre principales banques du pays à près de 6 milliards d’euros (558 millions pour ING Belgique, 667 millions pour Belfius et 2,49 milliards pour KBC).

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