Banques belges : l’armement nucléaire n’est plus un tabou

Largement méconnu il y a quelques années, le fabricant allemand de chars Rheinmetall figure désormais parmi les 30 premières capitalisations boursières européennes. © REUTERS
Muriel Lefevre

Le paysage bancaire belge effectue discrètement mais sûrement un virage stratégique majeur. Après des décennies à éviter le secteur de l’armement lourd, plusieurs établissements ouvrent désormais la porte à des investissements dans les entreprises liées à l’armement nucléaire.

Là où investir dans les armes était longtemps considéré comme non éthique, cette attitude évolue chez les investisseurs et gestionnaires d’actifs européens. La défense cesse d’être un secteur « interdit » pour de plus en plus d’investisseurs.

Le contexte géopolitique joue un rôle central. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, la pression militaire exercée par la Chine, ainsi que les exigences du président américain Donald Trump de porter à 5 % du PIB les budgets de défense des pays de l’OTAN, ont visiblement changé la donne. L’Europe elle-même a changé son fusil d’épaule puisqu’en juin, dans une note de la Commission européenne, les armes nucléaires ne sont plus classées parmi les « armes controversées ».

La défense comme investissement durable

La Commission européenne a franchi un pas décisif vers la reconnaissance de la défense comme investissement « durable ». Dans dans sa note publiée le 17 juin, elle affirme que l’industrie de défense de l’UE contribue à la résilience, à la sécurité et, par extension, à la durabilité sociale, conformément à l’Objectif de développement durable n°16 des Nations unies (« paix, justice et institutions efficaces »).

Pour passer le test du règlement européen sur la finance durable (Sustainable Finance Disclosure Regulation – SFDR), les entreprises doivent néanmoins respecter deux conditions : ne pas produire d’armes controversées comme les mines antipersonnel, bombes à sous-munitions, armes chimiques ou biologiques, et se conformer aux règles européennes et nationales d’exportation, aux standards de gouvernance, ainsi qu’aux principes de l’ONU et de l’OCDE en matière de droits humains.

Les armes nucléaires ne sont plus des “armes controversées”

Fait notable, les armes nucléaires ne sont plus classées dans la catégorie des “armes controversées”, ce qui pourrait lever un frein majeur pour les investisseurs institutionnels. D’autres aussi ont assoupli leur politique, autorisant les investissements dans des entreprises de défense dans des fonds classiques. Dans certains cas, notamment chez UBS et Allianz, ces entreprises peuvent même intégrer des fonds dits durables. De quoi faire passer de 25 % à 35 % en quatre ans la part des fonds durables européens investis dans la défense.

Aujourd’hui, même le fonds souverain norvégien, qui exclut actuellement des entreprises comme Boeing ou Lockheed Martin, envisage de revoir ses critères éthiques.

Pourtant si Bruxelles plaide désormais pour un examen au cas par cas plutôt qu’une exclusion d’office, cette ouverture implique plus de transparence sur la provenance des revenus des industriels, un suivi accru des exportations, et une implication plus active des investisseurs auprès des entreprises financées. Ce qui dans les méandres parfois nébuleux des structures financières peut relever de la gageure.

En Belgique aussi

À partir du 18 août, KBC permettra à ses clients de placer leur argent dans des sociétés impliquées dans la conception et la production d’armes nucléaires, arguant de la nécessité d’une « dissuasion nucléaire crédible » pour soutenir la stratégie de défense européenne selon De Morgen.Cette décision suit celle de Belfius, qui a levé ses restrictions en mars, et de BNP Paribas, qui a adopté une politique similaire au printemps selon le magazine Apache.

La demande vient aussi des clients

Les banques soulignent aussi que cette évolution répond à la demande de leurs clients. « L’intérêt pour les actions du secteur de la défense est en forte croissance », explique KBC toujours dans De Morgen. Le moins que l’on puisse dire c’est que les chiffres leur donnent raison : l’action du géant allemand Rheinmetall, fabricant des chars Leopard II, a flambé depuis le début de l’année.

Reste que ce repositionnement ne se fait pas sans zones d’ombre. Les ONG pointent un manque de transparence sur les destinataires finaux des armes financées, tandis que certaines institutions éthiques comme Triodos ou VDK continuent d’exclure totalement ce type d’investissement.

Malgré une ouverture évidente, l’investissement dans le secteur reste sensible. En juin, BNP Paribas avait provoqué quelques remous suite à son acquisition pour 2 millions de dollars de nouvelles actions de la société d’armement israélienne Elbit Systems. Elbit est l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’armée israélienne.

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