Avec Wero, l’Europe défie les géants américains Visa et Mastercard

La nouvelle solution Wero permet de transférer de l’argent d’un compte vers un autre, en utilisant un simple numéro de téléphone mobile, y compris à l’étranger (en Europe), dans les marchés participants.
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Le lancement du portefeuille 100 % digital ouvre une nouvelle ère pour les paiements européens. Avec évidemment en ligne de mire la souveraineté dans le domaine des paiements numériques dominé par Visa, Mastercard, PayPal ou Apple Pay.

L’initiative est inédite. Quatorze grandes banques européennes (BNP Paribas Fortis, KBC, ING, etc.) et deux prestataires de service de paiement (Worldline et Nexi) de cinq pays ont décidé de proposer une alternative pour les paiements en Europe afin de contrer les géants américains du secteur. En s’appuyant sur le virement instantané européen, rendu obligatoire par la Commission européenne pour toutes les banques, elles espèrent bousculer les habitudes de paiement installées auprès des utilisateurs de Visa, Mastercard, PayPal et Apple Pay qui dominent le marché.

Baptisée Wero, la nouvelle solution permet de transférer de l’argent d’un compte vers un autre, en utilisant un simple numéro de téléphone mobile, y compris à l’étranger (en Europe), dans les marchés participants. D’abord lancé en Allemagne et en France, le système débarque progressivement chez nous, avant un déploiement aux Pays-Bas et au Luxembourg en 2025-2026, et avec pour objectif d’autres pays européens ensuite.

Déjà disponible chez KBC (CBC en Wallonie) et Belfius, la solution sera bientôt présente chez BNP Paribas Fortis ainsi que chez ING. “L’ambition est d’offrir aux consommateurs européens une alternative aux espèces et aux solutions internationales de paiement”, situe Martina Weimert, directrice générale de European Payments Initiative (EPI), la société chargée de développer Wero, basée à Bruxelles.
Car, à terme, il est prévu en effet que Wero remplace les applications locales existantes, comme Paylib (France) et iDeal (Pays-Bas), tandis que les plans concernant Payconiq en Belgique seront bientôt dévoilés.

S’appuyant sur des systèmes de paiement nationaux, et ne fonctionnant donc pas à l’étranger, ces applications ont fait l’objet d’une acquisition par le consortium EPI qui développe l’offre Wero. “Notre objectif est de faire de Wero le portefeuille de paiement préféré des consommateurs européens, explique Martina Weimert. Pour cela, nous intégrerons également d’autres services tels que des programmes de fidélité des commerçants ou du paiement postposé (‘achetez maintenant, payez plus tard’) dans l’application. Mais avant ce stade, nous allons déployer Wero sur cinq marchés principaux et convaincre les commerçants d’accepter le système, à la fois pour les paiements e-commerce et ceux effectués sur le point de vente”, complète Martina Weimert.

Enjeux énormes

Pour les banques, les enjeux sont en effet énormes. “Depuis plusieurs années, elles sont attaquées de toutes parts dans le domaine des paiements, relève Geoffrey Laloux, consultant chez Square Management. Avec Wero, elles cherchent à limiter l’érosion de leurs parts de marché dans les paiements de proximité et avec les commerçants.”

Avec Wero, les banques cherchent à limiter l’érosion de leurs parts de marché dans les paiements de proximité et avec les commerçants.
Geoffrey Laloux

Geoffrey Laloux

Square Management

D’un point de vue financier, les paiements représentent toujours une partie non négligeable des revenus d’une banque. Et avec le développement croissant du commerce en ligne, cette part ne faiblit pas, bien au contraire. “Nous effectuons plusieurs centaines de paiements par an (par carte, par virement, via smartphone, etc.). Ce sont autant de points de contact entre la banque et ses clients, et surtout autant d’opportunités pour collecter des données sur les habitudes de consommation et en apprendre plus sur ses clients, ajoute Geoffrey Laloux. Si je suis l’opérateur de paiement d’un commerçant, cela signifie que j’ai une vue directe sur les flux financiers, je suis donc mieux en mesure d’évaluer la santé financière de mon client, afin de lui proposer des crédits, des solutions de cash management, etc.”

À l’heure où les paiements numériques sont dominés par les grands acteurs américains, il en va effectivement de la souveraineté de l’Europe dans ce domaine. À la base, le consortium EPI, qui est à l’origine de Wero, ambitionnait d’ailleurs de mettre en place un réseau européen de cartes qui pourrait concurrencer frontalement Visa et Mastercard. “Mais, à cause de différences de vision, principalement entre les banques allemandes et françaises, poursuit Geoffrey Laloux, le projet de carte physique a été progressivement abandonné et remplacé par la solution qui apparaît aujourd’hui, basée sur le paiement instantané, qui deviendra obligatoire dans toute la zone SEPA, à partir de janvier 2025. Les ambitions paneuropéennes ont également été revues à la baisse puisque pour le moment, Wero ne sera disponible qu’en France, en Allemagne et dans le Benelux.”

En attendant, “ces pays représentent près des deux tiers des paiements numériques privés dans la zone euro, ce qui nous donne la masse critique nécessaire”, indique Martina Weimert.

Imaginé comme un concurrent européen des géants Visa et Mastercard, le périmètre a donc néanmoins été revu. Wero sera, dans les années à venir, progressivement élargi aux paiements auprès des commerçants en ligne et pour les achats dans les magasins. Si les paiements de personne à personne sont d’ores et déjà disponibles, il faudra toutefois attendre 2025 pour pouvoir payer sur internet et encore un an de plus pour pouvoir utiliser Wero dans un point de vente physique. L’objectif est de convaincre avec des tarifs et un service attractifs.

Pour les grands e-commerçants, les commissions de paiement des réseaux de cartes internationaux représentent annuellement des millions en frais de transaction. “Avec Wero, nous voulons proposer une alternative attractive, y compris en termes de tarification, dans la mesure où le système ne sera pas basé sur un interchange. Il restera les frais d’acquisition, mais ces derniers seront négociables vu la concurrence qui règne aujourd’hui dans le monde des paiements. Ce sont les banques et les commerçants qui répartissent les coûts, mais pour les commerçants, le besoin d’un terminal de paiement n’est plus absolument nécessaire”, souligne Martina Weimert.

Pas gagné

Reste que le pari est loin d’être gagné. Certes, la promesse de Wero est simple: offrir un moyen de paiement sûr, transfrontalier, qui permet d’effectuer aussi bien des paiements “entre amis” (P2P ou pair à pair) que sur un site d’e-commerce ou dans un point de vente physique, voire dans un contexte sans terminal. “Ce n’est cependant pas une promesse unique, relève Geoffrey Laloux. Certaines applications de paiement permettent déjà de faire la même chose. La différence, c’est que Wero ne nécessite pas de disposer d’une carte de banque (crédit ou débit). C’est donc un moyen de paiement qui s’ajoute à la gamme de produits déjà disponibles mais qui ne va pas nécessairement proposer de nouveaux cas d’usage.”

Ce point sera d’ailleurs très intéressant à suivre, selon Geoffrey Laloux : “Les banques touchent des commissions sur les transactions effectuées par cartes bancaires, c’est également un produit d’appel pour les nouveaux clients. Dans le même temps, elles sont actionnaires dans EPI (Wero). Il y aura donc transfert de revenus ‘d’une poche vers une autre’ dans certains cas. Et pour les cas où des pertes globales de revenus sont à craindre, on devrait assister au développement de nouveaux produits et services afin d’apporter de la valeur ajoutée : assurance e-commerce, paiements fractionnés, cash-back, accumulation de miles ou de points bonus, etc. Je n’imagine aucune banque remplacer son offre carte par une offre de type Wero. Au contraire, on assistera à un étoffement des offres de paiements. Wero trouvera sa place aux côtés des cartes, des offres de buy now pay later, des financements, etc. Si l’on prend l’exemple de KBC, la première banque à proposer Wero en Belgique, on constate qu’elle propose également Apple Pay et Payconiq- Bancontact à ses clients.”

Au-delà de cela, il sera également intéressant de voir comment Mastercard et Visa vont réagir pour maintenir leurs produits en tête des habitudes d’utilisation des consommateurs. Pour l’Europe, Capgemini prévoit que le lancement de Wero réduira les transactions par carte de 37 % d’ici 2027. “A titre d’exemple, illustre Geoffrey Laloux, Visa et Mastercard développent des mécanismes qui permettent de transférer des fonds depuis une carte de paiement vers un compte courant et inversement. Ces mécanismes entrent en concurrence directe avec les transferts d’argent de compte à compte (type “virement” ou “domiciliation”) mais concurrencent également des services de transfert de fonds comme Western Union. Enfin, il faut noter que dans l’état actuel des connaissances et du développement de Wero, les cartes de crédit conserveront quelques avantages comme celui de pouvoir effectuer une réservation de fonds pour garantir par exemple une chambre d’hôtel ou une location de voiture”, note encore Geoffrey Laloux.

En conclusion, “il ne fait aucun doute que Visa et Mastercard répondront à Wero”, prédit Martina Weimert. Ils ne resteront pas les bras croisés et ne nous regarderont pas reprendre une partie du marché. L’avantage de Wero est que nous pouvons nous concentrer sur les paiements innovants, alors qu’ils doivent également investir davantage dans leurs activités de cartes.”

Pourquoi utiliser Wero ?

Contrairement à une application de paiement comme PayPal ou Apple Pay par exemple, Wero ne nécessite pas de carte bancaire, il suffit de disposer d’un compte en banque et d’un smartphone. La solution repose sur les virements instantanés. Un paiement de compte à compte qui s’effectue en maximum 10 secondes, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Tout citoyen peut déjà effectuer un virement instantané en passant par l’application de sa banque. Wero va ajouter une interface user friendly pour permettre de réaliser un paiement instantané sans devoir encoder les coordonnées du bénéficiaire du paiement, par exemple en scannant un code QR (comme avec Payconiq) ou éventuellement en introduisant un numéro de téléphone (comme avec Paylib).
Cette nouvelle interface pourra être développée au sein d’une application spécifique mais elle pourra aussi être intégrée directement au sein des applications des banques participantes (comme KBC). Si vous utilisez déjà Payconiq par exemple, cela ne changera absolument rien. Vous scannez un code QR et le paiement est effectué. La différence est que vous pourrez utiliser votre “nouveau Payconiq” en France, en Allemagne, etc.
Quant au nom de la marque Wero, il s’agit d’une contraction entre WE (qui reflète l’aspect collectif) et RO (comme euro) visant à souligner le caractère européen du projet.

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