À quoi ressemblera l’année 2017 pour les banques ?

On estime déjà à au moins une vingtaine de milliards d'euros les besoins imminents d'argent frais pour les banques italiennes. © BELGAIMAGE

Après un millésime 2016 marqué par les restructurations et les licenciements massifs, 2017 sera-t-elle une nouvelle année de disette économique pour les banques en Europe ? Eléments de réponse.

Dix mille emplois de plus supprimés chez Deutsche Bank, 9.000 chez Commerzbank. ABN Amro qui va réduire ses effectifs de plus de 1.000 unités au niveau mondial. ING qui, brutalement, annonce la suppression de 7.000 emplois dont plus de 3.000 en Belgique. Restructurations chez P&V et Axa qui vont supprimer un millier d’emplois. Plan social chez Crelan, etc.

Un mauvais vent a soufflé sur le secteur financier européen en 2016, provoquant des milliers de suppressions d’emplois en Belgique. A qui la faute ? A la Banque centrale européenne (BCE) qui a continué de lâcher les vannes monétaires et poussé les taux d’intérêt à des niveaux toujours plus bas ? A la révolution numérique et aux paiements mobiles qui n’en finissent plus de bousculer la banque de papa ? D’où la question : 2017 sera-t-elle aussi chahutée que 2016 ?

1. Des taux (moins) bas

Très attendue, la réunion de la BCE, le 8 décembre dernier, a débouché sur une prolongation jusqu’à fin 2017 de son programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Elle le fera cependant tout en réduisant de 20 milliards d’euros le montant de ses achats mensuels de dettes. La gardienne de l’euro ne devrait ainsi acheter ” que ” 780 milliards en 2017.

Sera-ce suffisant pour soutenir la croissance en 2017 ? La nouvelle a en tout cas été bien accueillie par les marchés (y compris par les valeurs bancaires), toujours à la fête depuis la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis. La trajectoire monétaire tracée par le président de la BCE Mario Draghi pour l’année prochaine permettra de garder les taux d’intérêt à court terme sous pression. C’est une bonne nouvelle effectivement pour le secteur bancaire qui devrait ainsi retrouver une courbe des taux un peu plus pentue et de meilleures marges de transformation (écart entre taux d’intérêt à long terme et ceux à court terme), même si ” le contexte de taux bas restera malgré tout globalement défavorable aux banques “, estime le chief economist de CBC Banque Bernard Keppenne. Certes, les rendements de la dette belge ont commencé à grimper, mais les taux d’intérêt sur les OLO à 10 ans (0,75 %) sont toujours inférieurs à ce qu’ils étaient en janvier dernier.

Bref, les revenus des banques devraient rester sous pression. Bien sûr, tout dépendra de la conjoncture internationale et de la croissance, facteurs auxquels le secteur reste très sensible. Mais la plupart des grands réseaux (BNP Paribas Fortis, etc.) vont rester en mode réduction de coûts. A ceci près que ” seules les banques très digitalisées pourront y arriver, souligne Bruno Colmant, directeur de la recherche chez Degroof Petercam, parce qu’elles possèdent un double avantage concurrentiel sur les autres. D’abord leurs coûts opérationnels sont plus bas, mais en plus elles sont moins dépendantes de leur masse salariale “.

2. Le sac de noeud des banques italiennes

La victoire du ” non ” au référendum en Italie n’est pas une bonne chose pour la zone euro et ses banques parce que, comme le signale le chief economist de CBC Banque, ” ce rejet des réformes devrait empêcher de mener à bien la restructuration du secteur bancaire italien et risque fort d’aggraver le niveau d’endettement. ” Or, l’Italie, c’est le vilain petit canard de la zone euro. L’économie du pays, la troisième d’Europe avec quelque 700 banques, est quasiment à l’arrêt avec une dette astronomique (plus de 2.000 milliards d’euros, 130 % du PIB).

Le coût de Bâle IV pour les banques européennes risque de se monter à 300 milliards d’euros de capitaux supplémentaires. ” On peut s’attendre à un assouplissement des réglementations pour les banques aux Etats-Unis mais pas à un détricotage complet de ce qui a été mis en place après la crise de 2008. ” – Bernard Keppenne, ” chief economist ” de CBC Banque

Ce manque de croissance est en partie dû à la mauvaise situation des banques italiennes qui sont gorgées de mauvais crédits. On parle d’un montant brut de 360 milliards d’euros de créances problématiques dans leurs bilans, ce qui les met dans l’incapacité d’assumer leur rôle de financier de l’économie transalpine et inquiète d’autant les observateurs. On estime en effet déjà à au moins une vingtaine de milliards d’euros les besoins imminents d’argent frais pour les banques italiennes. Monte dei Paschi di Siena a déjà décidé de se recapitaliser pour 5 milliards d’euros et cherche des investisseurs encore intéressés en dépit de l’incertitude politique grandissante dans le pays. Elle aussi en difficulté, UniCredit va licencier 14.000 personnes et procéder à une augmentation de capital de 13 milliards d’euros.

” Les besoins de recapitaliser les banques italiennes pourraient toutefois encore augmenter d’une vingtaine de milliards supplémentaires si jamais la BCE exige qu’elles couvrent les catégories un peu moins risquées de prêts à problèmes, celles à perspectives fortes de défaut, et celles dont les débiteurs sont en retard de paiement, par des provisions supérieures à celles qui existent, explique le professeur Eric Dor, directeur des études économiques de l’Ecole de management de Lille IESEG. Le problème, avec la crise politique qui s’est déclenchée, c’est que l’incertitude compromet la possibilité de trouver des investisseurs pour recapitaliser les banques. Dans ce cas, pour éviter qu’une dégradation de la situation de certains établissements bancaires n’induise la nécessité d’une résolution qui implique un bail in complet (sauvetage par les actionnaires, créanciers et déposants, Ndlr), le gouvernement peut procéder à une opération préventive d’apport de capital public qui se contente d’un bail in partiel sur les obligations subordonnées, à commencer par Monte Paschi. Mais se pose alors le problème de la détention de telles obligations bancaires par des petits épargnants. ” On imagine le drame en effet si ces derniers, qui détiennent des dettes obligataires émises par Monte Paschi pour 2 milliards d’euros, venaient à être sollicités pour renflouer la plus vieille banque du monde.

3. Deutsche Bank toujours sur la sellette

 Fragilisé sur le plan opérationnel et bénéficiaire, le groupe est également affaibli par la menace d'une lourde amende aux Etats-Unis pour son rôle dans la crise des
Fragilisé sur le plan opérationnel et bénéficiaire, le groupe est également affaibli par la menace d’une lourde amende aux Etats-Unis pour son rôle dans la crise des ” subprimes “.© BELGAIMAGE

La première banque allemande a beau ne plus faire les gros titres, elle n’est toujours pas tirée d’affaire. Empêtré dans une restructuration qui n’en finit plus, le groupe a annoncé la suppression de 10.000 jobs dans le monde et la fermeture de 500 agences en Allemagne. Fragilisé sur le plan opérationnel et bénéficiaire, le groupe est également affaibli par la menace d’une lourde amende aux Etats-Unis pour son rôle dans la crise des subprimes. Pour éponger cette amende, Deutsche Bank a déjà inscrit dans ses comptes des provisions pour un montant de 5 milliards d’euros seulement. Elle pourrait toutefois devoir débourser plus du double, alors que sa valeur en Bourse tourne autour de 23 milliards. Bref, ” rien n’a changé à ce niveau-là, on est toujours dans l’incertitude “, glisse Bernard Keppenne. L’établissement de Francfort devrait-il être recapitalisé ; et quid si les investisseurs ne suivent pas ? ” Outre une remontée brutale des taux d’intérêt, entraînée par les Etats-Unis où une perception de risque de crédit est le problème principal, et un risque lié à la cohésion de la zone euro, le troisième gros danger qui guette se trouve dans l’insuffisance de capitaux propres dans les banques italiennes et Deutsche Bank. Tout cela dans un contexte où le fonds européen de garantie des dépôts n’est nulle part “, estime Bruno Colmant, directeur de la recherche chez Degroof Petercam. Dans le pire des scénarios, la situation pourrait effectivement vite se dégrader. Ce qui ne serait pas sans conséquence pour le reste des banques européennes, même si ” le gouvernement allemand ne laissera pas tomber la banque pour cause d’année électorale “, rassure Bernard Keppenne.

4. Un nouveau tour de vis des gendarmes financiers

Un autre élément qui tracasse beaucoup les états-majors bancaires, c’est Bâle IV. Réunis la semaine dernière à Santiago au Chili, les gendarmes financiers de la planète veulent à nouveau durcir les règles de fonds propres pour les banques. Le but du comité de Bâle, qui rassemble les autorités de surveillance de 27 pays (dont la Belgique), est de constituer des coussins de sécurité encore plus épais pour pouvoir amortir un choc. Les banques ont déjà dû se plier à trois trains de mesures, baptisées règles de Bâle. Il est maintenant question de Bâle IV.

Seul hic, l’idée passe mal auprès des Européens (notamment en France et en Allemagne), contrairement aux Américains qui plaident eux pour davantage de sévérité. ” Les discussions actuellement en cours portent essentiellement sur la manière d’évaluer les risques des différentes catégories d’actifs des banques, ce qui conditionne leurs besoins en fonds propres, explique le professeur Eric Dor. Le sujet n’est pas nouveau. Ce calcul des fonds propres fait depuis longtemps polémique. Certaines organisations comme Finance Watch soupçonnent en effet les banques de s’adonner à une cuisine opaque pour minimiser au maximum ces besoins en capitaux propres qui leur coûtent de l’argent, et cela en sous-évaluant ces risques. La pression est forte pour interdire les modèles de calculs internes des banques au profit d’une méthode reconnue par tous, ce qui pénaliserait les grandes banques universelles européennes, et en particulier allemandes et françaises. ”

Jusqu’où dès lors durcir ces règles de fonds propres ? Pour Eric Dor, ” il faut renforcer la capacité à faire face à une nouvelle crise, mais avec prudence car il ne faut pas ruiner la capacité des banques à faire des prêts “. Selon les estimations de PwC, le coût de Bâle IV pour les banques européennes risque de se monter à 300 milliards d’euros de capitaux supplémentaires. La facture pourrait être extrêmement dommageable pour beaucoup d’institutions financières encore convalescentes.

5. L’inconnue Trump

Si la BCE et Mario Draghi vont continuer l’an prochain à déverser des milliards sur les marchés et à financer les banques à bon compte, c’est parce qu’ils restent très attentifs à toutes les tensions qui menacent la zone euro. Cette présence prolongée de la BCE sur le marché jusqu’en décembre 2017 devrait en effet garder sous contrôle notamment les poussées de fièvre sur les taux d’intérêt provoquées par la succession des échéances électorales, avec plus de 10 rendez-vous politiques recensés en Europe d’ici le printemps 2018.

Comme le souligne Florence Pisani, directrice de la recherche économique chez Candriam, ” les risques politiques resteront élevés en 2017 : les échéances électorales sont nombreuses (élections aux Pays-Bas, puis en France et en Allemagne, référendum en Catalogne) et avec la montée des populismes, les forces centrifuges dormantes restent une menace pour la zone euro. ”

D’autant qu’à ces forces centrifuges s’ajoute l’inconnue Trump. Que va faire le milliardaire new-yorkais sur le terrain de la finance ? Quelles sont ses réelles intentions en nommant Steven Mnuchin, un ancien banquier de Goldman Sachs, au Trésor américain ? Doit-on s’attendre, comme il l’a promis, à une remise en cause de la loi Dodd-Frank (limitant les opérations spéculatives des banques américaines) et du travail accompli pour renforcer la solidité du système financier mondial alors que les risques d’une nouvelle crise financière ne sont pas totalement écartés ? Pour Bernard Keppenne, ” on peut s’attendre à un assouplissement des réglementations pour les banques aux Etats-Unis mais pas à un détricotage complet de ce qui a été mis en place après la crise de 2008 “. A voir car, dans un rapport publié voici quelques jours, les économistes de la Banque des règlements internationaux (qui abrite le fameux comité de Bâle) se demandent, eux, si l’arrivée du milliardaire à la Maison-Blanche ne va pas marquer un changement de paradigme complet dans le monde de la finance.

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