Une réjouissante exposition qui se tient à Paris explore le lien qui unit les espion(ne)s avec le septième art et le petit écran. D’Hitchcock à Ben Affleck, de Greta Garbo à Malotru, la fiction se confronte à la géopolitique des postiches et des mallettes à double fond. Pas besoin de passer au détecteur de mensonges, c’est une réussite!
Une bouteille de vin qui cache de l’uranium, une prétendue camionnette de plombier qui sert de planque à des écoutes, une Rolex équipée d’une disqueuse de poche (oui, oui!): dans les films d’espionnage, qu’ils soient signés Alfred Hitchcock, Francis Ford Coppola ou Guy Hamilton, les apparences sont délicieusement trompeuses. Le plaisir est régressif, communicatif, quasi enfantin. La réjouissante exposition Top secret: cinéma et espionnage que consacre à Paris la Cinémathèque aux relations entre agents secrets et grand écran est là pour rappeler en détails ce règne du faux-semblant. Bien avant d’arriver aux lanceurs d’alerte qui clôt l’accrochage parisien, le visiteur aura parcouru un siècle de rebondissements.
Les amateurs de coups fourrés s’attarderont sur le fameux parapluie bulgare. C’était avant la mode du thé au polonium…
Mais commençons par le commencement, quand le septième art n’était pas encore synchrone avec la crise des missiles de Cuba ou la prise de Kaboul par les Talibans. Quand cède-t-il pour la première fois au charme des infiltrés? Dès le début ou presque de l’invention des frères Lumière. En 1913 déjà, les Studios Eclair inaugurent une série de quatre films où l’héroïne est chargée de récupérer coûte que coûte un exemplaire d’un traité secret signé entre – ça ne s’invente pas, sauf chez Hergé! – la Celtie et la Savonie. Raisons d’Etat, destinations exotiques, postiches, poursuites et arts martiaux: tous les ingrédients de Mission: Impossible sont déjà réunis. Et c’est encore plus vrai dans Les Espions, de Fritz Lang, en 1928. C’est dire si la formule a fait ses preuves. Sur fond de crispations géopolitiques, les infiltrés sont de valeureux soldats de l’ombre. Ils risquent leur vie pour sauver la nation, voire protéger l’humanité toute entière d’un cataclysme nucléaire.
La guerre froide, l’aubaine
A ce titre, la guerre froide (1947-1991) est une aubaine pour les raconteurs d’histoires qui font leur miel des tensions entre le bloc soviétique et l’Ouest. Le vécu de certains auteurs devient un argument de vente. John Le Carré, dont une dizaine de romans ont été adaptés au grand écran, de L’espion qui venait du froid (1965) avec Richard Burton à Un homme très recherché (2013) avec le regretté Philip Seymour Hoffman, était une ancienne recrue du Secret Intelligence Service britannique. Avant de publier en 1952 son premier James Bond, Ian Fleming a été officier du renseignement naval durant la Seconde Guerre mondiale. La crédibilité du monde du renseignement était pourtant, en tant qu’écrivain, la dernière de ses préoccupations. Pour tous les autres, il suffit de se documenter. Le Pont des espions (2015) de Steven Spielberg qui se passe en partie à Berlin-Est en 1961, l’année de la construction du Mur, s’inspire de faits historiques. Sur d’autres fronts diplomatiques, Argo (2012) de Ben Affleck raconte de manière romancée les dessous du sauvetage de six otages de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979 durant la révolution islamique. Une opération d’exfiltration tout à la gloire de la bannière étoilée. Pour Zero Dark Thirty (2013), le long métrage de Kathryn Bigelow sur la traque de Ben Laden, la réalisatrice a même eu le privilège de collaborer étroitement avec la CIA et le Pentagone. Quand transparence rime avec propagande…
L’un des atouts de l’exposition française, qui dure jusqu’au 21 mai, réside dans la présentation de nombreux objets qui ont réellement servi aux taupes du KGB ou de la DGSE. Les reliques proviennent de divers ministères, du Musée de l’espionnage de Berlin ou de collections privées. L’une d’entre elles appartient à une certaine Stéphanie M. dont l’anonymat ajoute au mystère ambiant… Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la fausse pièce de 50 centimes d’euro avec son compartiment secret afin d’y loger des microfilms n’est pas un accessoire de cinéma. Pas davantage que la charte de maquillage façon Estée Lauder destinée aux espions désireux de changer d’apparence. Les amateurs de fausses moustaches, de passeports bidons et de coups fourrés s’attarderont sur le parapluie bulgare. Cette arme qui contient une bille microscopique empoisonnée est entrée en 1978 dans les annales quand l’écrivain dissident bulgare Georgi Markov fut terrassé par une fatale piqûre de ricine à la cuisse. C’était avant la mode du thé au polonium…
Brouillage hertzien
Soucieuse de rééquilibrer la balance dans la mesure où nombre d’agents de cinéma sont joués par des hommes, la Cinémathèque s’attarde sur quelques figures féminines majeures. Mata Hari est évidemment au rendez-vous. L’effeuilleuse néerlandaise fusillée pour intelligence avec l’ennemi allemand a été interprétée tour à tour par Greta Garbo, Jeanne Moreau et Sylvia Kristel, l’actrice d’Emmanuelle. Un triple coup dans l’eau de la cinéphilie. Le cas d’Hedy Lamarr est plus intéressant. Cette sublime actrice hollywoodienne qui a joué les femmes fatales dans les années 1930 pour Cecil B. DeMille ou Victor Fleming, ne se contentait pas d’illuminer les plateaux de la MGM. La comédienne, férue de technologie, a été à l’origine de multiples brevets dont un système de système brouillage hertzien et de communication sans fil révolutionnaire qu’elle offrira à l’état-major américain pour contribuer à la lutte contre l’ennemi nazi.
Et James Bond dont on célèbre cette année les 60 ans au cinéma? Il a droit, comme il se doit au tapis rouge. Une salle entière, rien que pour ses yeux. Quoique joliment documenté, entre autres par des dessins du chef décorateur attitré de la saga, le génial Ken Adam qui collabora aussi avec Stanley Kubrick, le chapitre n’apporte rien de bien neuf au dossier. Ce n’est pas la faute de la Cinémathèque. L’homme à l’Aston Martin et au Walther PPK est depuis 10 ans l’objet d’incessants regards dans le rétroviseur. Le passage obligé réserve néanmoins une petite surprise avec Agent Vinod, une copie indienne de 007 joué en 1977 par Mahendra Sandhu, le Roger Moore de Bollywood. De larges extraits visibles sur YouTube valent leur pesant de roupies. Un Himalaya du kitsch. On lance dès aujourd’hui une pétition pour une réédition en 4K!
www.cinematheque.fr “Top secret: cinéma et espionnage”, jusqu’au 21 mai à la Cinémathèque française.