À la rencontre de Michaël Marque, banquier le jour… et boulanger la nuit
Michaël Marque pilote la première boulangerie bruxelloise de l’artisan français Eric Kayser. Un travail qu’il fait… de nuit. Parce que le jour, il est banquier chez Rothschild.
A la banque, ses collègues l’ont un peu pris pour un fou. ” Au bureau, certains pensaient que c’était une danseuse ou un investissement purement financier. Mais ce n’est pas du tout ça. Ce qui m’intéresse, c’est travailler et acquérir de nouvelles compétences “, assure Michaël Marque. Le conseiller en investissement le confesse aisément : il y a un an et demi, il ne connaissait rien au levain et à la cuisson du pain. Aujourd’hui, il cumule son activité de banquier avec celle de patron de boulangerie. ” Je fais du blé le jour, de la farine la nuit “, plaisante l’entrepreneur.
Dès le départ, il joue cartes sur table et annonce son projet à son employeur. Chez Rothschild, on salue la démarche d’entrepreneur, tout en lui rappelant que son activité annexe ne doit pas interférer avec son travail. ” Les deux activités s’enrichissent l’une l’autre, souligne- t-il. Quand on les paie réellement, on voit mieux ce que les charges sur les entreprises représentent. ”
Patron par hasard
Mais comment est-il tombé dans la pâte au levain ? Presque par hasard. En 2015, Michaël Marque est mis en relation avec un entrepreneur qui cherche des conseils pour l’ouverture d’un point de vente de la marque Eric Kayser à Bruxelles (lire l’encadré). Très vite, il se rend compte que le dossier a de sérieuses lacunes. Il reprend le plan financier à zéro, contacte des avocats, rencontre les différentes administrations (Région, Afsca, pompiers, etc.). Après quelques mois, l’emplacement est trouvé, les autorisations délivrées, les financements assurés, les travaux terminés, le personnel engagé.
L’ouverture de la boulangerie a lieu le 13 mai 2016. ” Trois semaines plus tard, mon associé explose en plein vol “, s’étonne Michaël Marque. Découvrant des méthodes de gestion qu’il estime calamiteuses, il décide de s’en séparer. Il en profite pour recruter un administrateur indépendant, en la personne de Rudy Vanlancker, patron du restaurant Chez Léon. ” Je voulais quelqu’un qui soit là pour me contredire. Rudy le fait très bien “, s’amuse le banquier privé. Le nez dans le guidon, il ne se rend pas tout de suite compte qu’il devient patron de société. ” En novembre dernier, j’ai réalisé d’un coup que 15 personnes, 15 employés, dépendaient de mon travail “, se souvient l’entrepreneur.
Sicav et brioches
Banquier le jour, boulanger la nuit, ce super-héros d’un nouveau genre troque le costume-cravate pour le tablier (et vice-versa) et jongle entre les sicav et les brioches à la fève tonka. ” Le travail, c’est ma came, reconnaît ce workaholic. Etre entrepreneur, j’adore. Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire du management. Mais j’aurais du mal à quitter la banque. J’aime conquérir de nouveaux clients, et les suivre dans leurs projets. ” Michaël Marque parvient même à trouver des similitudes entre ses deux activités. ” Dans la banque comme dans la boulangerie, il y a une tendance à la standardisation des services et de l’offre, qui est le résultat d’une course à la rentabilité. Le problème, c’est que si l’on standardise trop, on perd son âme. Quand on se positionne sur le haut de gamme et qu’on pratique des prix un peu plus élevés que la moyenne, il faut préserver un bon niveau de qualité “, explique le banquier-boulanger, qui défend la valeur ajoutée d’un certain artisanat dans ses deux métiers.
Ce super-héros d’un nouveau genre jongle avec les sicav et les brioches à la fève tonka.
Presque un an après l’ouverture de la boulangerie, le bilan de l’aventure est plutôt positif. En février, le million d’euros de chiffre d’affaires a été dépassé, alors que le plan financier prévoyait 850.000 euros sur douze mois. Et la société a déjà dégagé de premiers bénéfices. Il faut dire que l’emplacement a été particulièrement bien choisi. A Ixelles, au niveau de La Bascule, à proximité immédiate d’Uccle et du Châtelain, la concentration de Français expatriés est particulièrement forte. Et si les Bruxellois ne sont pas encore familiers avec la chaîne Eric Kayser, les Parisiens le sont : ” Le premier jour, il y avait une file de dingue pour acheter notre baguette “, se souvient Michaël Marque.
Cinq ouvertures prévues en cinq ans
Le banquier-boulanger est persuadé qu’il y a du potentiel en Belgique pour l’implantation du concept d’Eric Kayser. ” Il y a une place à prendre entre le Pain Quotidien et les artisans pure souche “, assure l’entrepreneur. A Bruxelles, assez peu de boulangers font leur pain sur place. Le site Tartine et Boterham, qui répertorie les boulangeries-pâtisseries artisanales bruxelloises, en a épinglé une trentaine à peine, dont le point de vente géré par Michaël Marque. Avec la licence exclusive qu’il détient pour la Belgique, ce dernier veut contribuer au développement de la chaîne, tout en respectant les critères de qualité stricts fixés par le siège français. ” Economiquement parlant, ce serait plus malin d’avoir une centrale de production qui écoule 5.000 baguettes par jour. Mais ce n’est pas notre concept. Dans chaque boulangerie, nous avons notre propre fournil “, détaille Michaël Marque. Ce n’est pas le cas par exemple d’une chaîne comme le Pain Quotidien.
Ce choix oblige l’entrepreneur à choisir des espaces d’une certaine taille. A Ixelles, la boulangerie occupe 300 mètres carrés. C’est la surface nécessaire pour pouvoir intégrer un comptoir, un espace dégustation et un atelier. ” Ce qui prend de la place, c’est le stockage. Nos pains reposent entre 10 et 14 heures en chambre de pousse. Ce n’est pas comme chez Paul, où on fait un pain en 20 minutes “, pointe le patron. A l’avenir, il compte ouvrir des points de vente plus grands qui lui permettront d’offrir un espace de restauration plus étendu, et éventuellement des plats chauds. Pour les recettes, il peut compter sur la base de données mise à disposition par Eric Kayser. ” Nous pouvons faire entre 10 et 15 % de créations personnelles “, explique Michaël Marque.
L’objectif de l’entrepreneur est d’ouvrir cinq boulangeries dans les cinq prochaines années, à Bruxelles et dans le Brabant wallon. Après la boutique ixelloise, une deuxième est en passe d’être signée, et une troisième est en cours de discussion. Les deux prochaines ouvertures devraient se concrétiser dans les 18 prochains mois. Le banquier-boulanger a fait ses comptes : d’ici cinq ans, il espère atteindre 8 à 10 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Le Français Eric Kayser est l’inventeur du “Fermentolevain”, une machine innovante qui permet de produire en permanence du levain liquide. Ce défenseur d’un travail artisanal lance sa première boulangerie en 1996 à Paris. Misant sur la qualité et la confection traditionnelle du pain, qui nécessite de longues heures de “pousse”, Eric Kayser met un point d’honneur à former tous les boulangers de sa chaîne pendant trois mois à Paris. Ses boulangeries sont aujourd’hui présentes aux quatre coins du monde : Japon (32 boutiques), France (25), Mexique (12), Cambodge (8), Portugal (7), Indonésie (5), etc. Bizarrement, la Belgique ne s’est ajoutée à la liste qu’en 2016.
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