7. Comment dédramatiser la situation?
Face au coronavirus, que doit faire une marque ou une entreprise pour garder la confiance de ses consommateurs ou de ses collaborateurs ? Arme à double tranchant, l’humour est rarement la meilleure solution, surtout lorsque des vies sont en danger.
Le destin peut se montrer taquin. Prenez un virus, sortez une bière et mélangez les noms. Il ne faudra pas attendre longtemps pour que toute communication commerciale soit disséquée sous la loupe des bonnes conventions. Ainsi, lorsque la marque Corona s’est aventurée à jouer la carte de l’humour pour présenter sa nouvelle gamme de bières aux Etats-Unis il y a deux semaines à peine, elle s’est rapidement pris un vent de critiques indignées sur les réseaux sociaux. A l’époque, le coronavirus était encore très ” chinois ” et la marque avait eu la mauvaise idée de plaisanter sur un ” prochain débarquement ” de son édition aromatisée sur le sol américain avec le slogan Coming ashore soon.
Un zeste provocatrice, la formule a choqué et la bière a continué de se perdre dans un bad buzz déjà enclenché, malgré elle, auprès des clients perturbés par ce télescopage sémantique. En une semaine, l’action de Constellation Brands (propriété du groupe AB InBev) qui produit ce breuvage mexicain perdait 10% de sa valeur en Bourse, tandis que le capital sympathie de Corona chutait de 80% à 50% dans les enquêtes de réputation auprès du public américain.
Aujourd’hui, la marque de bière se fait beaucoup plus discrète et tente de faire oublier son faux pas. ” En ce moment, la meilleure chose à faire pour une entreprise dont le nom est phonétiquement proche du coronavirus, c’est de faire le gros dos et attendre que ça passe, réagit Emmanuel Goedseels, cofondateur de Whyte Corporate Affairs, une agence de communication stratégique spécialisée dans la gestion de crise. Elle doit faire très attention aux slogans utilisés, mais elle ne doit pas non plus complètement se faire oublier. Elle doit trouver le juste équilibre et tenter de dédramatiser la situation en continuant son business as usual et en évitant de ‘sur-communiquer’ pour ne pas créer de tension autour de la marque. ”
Eviter la panique
Maintenir le cap commercial dans la tempête épidémique, c’est exactement ce qu’a choisi de faire l’assureur belge Corona Direct dont le nom peut également prêter à la moquerie en plein coronavirus. Pourtant, la marque n’a pas suspendu sa campagne de publicité en cours qui vante les mérites de ” l’assurance au kilomètre ” dans les abribus et sur les ondes radio. ” Je suis persuadée que 99% des gens font la part des choses entre un virus et une marque qu’ils connaissent bien, temporise Ulrike Pommée, porte-parole de Belfius dont Corona Direct est une filiale. Nous avons donc décidé de maintenir notre campagne, d’autant plus que la crise actuelle n’a pas d’impact sur les résultats. Il faut éviter la panique et poursuivre ses activités. ”
Ironie du sort : la dernière campagne de Corona Direct affiche pourtant le slogan Pour tout le monde ! ( Voor iedereen ! en néerlandais) en grand dans les abribus, sans que cela ne suscite la moindre taquinerie sur les réseaux sociaux. L’assureur aurait-il réussi là où la marque de bière Corona a échoué ? ” Ce n’est pas qu’une question de communication car il faut vraiment distinguer les deux produits, répond Thierry Bouckaert, administrateur délégué du bureau de conseil en communication stratégique Akkanto. Selon moi, Corona Direct souffre beaucoup moins de la situation car un produit d’assurance représente un achat nettement moins impulsif qu’un produit alimentaire. C’est une décision qui est plus réfléchie car elle se révèle davantage exceptionnelle : on ne souscrit pas à une assurance tous les jours ! De plus, l’assurance incarne quelque chose de beaucoup plus immatériel qu’une bière vendue en supermarché, sans parler du rapport à la bouche qui joue aussi un rôle dans cette crise du coronavirus. C’est donc beaucoup plus compliqué pour la bière Corona. ”
Le cas Delhaize
Dédramatiser l’achat d’un produit négativement connoté en jouant la carte de l’humour, voilà la stratégie qu’a déployée un franchisé de la chaîne de supermarchés Delhaize il y a 10 jours à peine. Dans son magasin Shop & Go situé à Ixelles, ce commerçant avait lancé l’action promotionnelle ” deux Corona achetées, une Mort subite offerte ” ( sic) en mettant en scène les bières citées. Postée sur les réseaux sociaux, son affichette frappée du logo Delhaize a été rapidement likée, abondamment partagée et même saluée à l’étranger pour son humour délicieusement belge. Son succès ” dans la vraie vie ” fut toutefois éphémère : contractuellement lié à la chaîne au lion, le commerçant fut en effet prié de retirer son action promotionnelle quelques heures après son lancement. ” Nous comprenons que nos affiliés expriment parfois l’envie de communiquer de manière originale – et ça part souvent d’une bonne intention – mais nous ne pouvons pas tout accepter, explique Aude Mayence, directrice marketing de Delhaize. En interne, nous avons mis en place un plan qui vise, sans dramatiser, à soutenir la santé de nos collaborateurs dans cette crise du coronavirus et nous ne pouvons donc pas, en même temps, laisser un affilié jouer avec cette thématique. ”
Face à un sujet aussi sensible qu’une épidémie où des vies sont quotidiennement en danger, la chaîne de supermarchés doit être cohérente avec ses valeurs de base et ne peut donc pas se permettre la moindre fausse note. ” Je comprends tout à fait la réaction de Delhaize car il est malvenu pour une telle enseigne de faire de l’humour macabre autour du coronavirus, réagit Emmanuel Goedseels de l’agence Whyte Corporate Affairs. Le franchisé s’est permis d’en rire à un moment où, fort heureusement, il n’y avait pas encore de décès lié à ce virus en Belgique, mais la chaîne de supermarchés a très vite réagi pour corriger le tir et je ne pense pas qu’on puisse la qualifier de rabat-joie vu le contexte actuel. ”
Humour de proximité
Déconseillée aux grandes entreprises qui doivent éviter toute forme de provocation risquée, la dédramatisation par l’humour semble plus adaptée aux petits commerces de proximité qui peuvent oser le rire complice dans leurs outils de communication. Ainsi, en Italie, quelques pâtissiers ont imaginé des gâteaux directement inspirés de l’image agrandie du coronavirus pour détendre l’atmosphère et séduire une clientèle à cran. A Milan, plusieurs bars ont aussi transformé les fameuses happy hours – des plages horaires où les boissons sont moins chères – en ” aperivirus “ élargies à l’après-midi pour tenter de ramener les consommateurs inquiets au comptoir. Un sursaut marketing qui a toutefois peu de chance de résister au blocus décrété ce mardi dans toute l’Italie…
Communication de service
Face à une crise d’une telle ampleur, que doit faire un patron pour rassurer ses employés ? ” Mon premier conseil, c’est de jouer la carte de la transparence, répond Thierry Bouckaert, administrateur délégué du bureau de conseil en communication stratégique Akkanto. Si une entreprise dispose d’un Intranet, elle doit relayer les informations officielles sur le coronavirus, c’est-à-dire celles qui émanent de l’Organisation mondiale de la santé et du SPF Santé publique. Il s’agit de faire le lien avec les autorités compétentes pour montrer que l’on suit la situation, tout en se montrant rassurant par différentes actions.
L’employeur peut, par exemple, renforcer son service de nettoyage ou déployer des produits plus performants, tout en plaçant des petites affiches dans ses locaux qui invitent les collaborateurs à se laver davantage les mains. Il doit aussi adapter sa communication et inviter ses employés à travailler chez eux si c’est nécessaire. Dans cette optique, rédiger une note interne qui leur demande personnellement de reprendre leur ordinateur portable le soir à la maison fait partie des instructions de bon sens qu’un patron doit donner à son personnel au cas où la situation changerait du jour au lendemain. ”
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