30 milliards de déficit public par an, c’est intenable

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le déficit public atteindra 4,9% du PIB cette année, 5% l’an prochain. Pourquoi sommes-nous incapables de réduire le train de nos finances publiques?

Bureau du Plan, Banque nationale, économistes…, nombreux sont ceux qui s’inquiètent aujourd’hui de la trajectoire de notre dette publique. Le déficit pour cette année devrait en effet tourner autour de 4,9% du PIB et remonter à 5% en 2024. Nos gouvernements accuseront ensemble un déficit de presque 30 milliards d’euros en 2024. Et il y a peu de chances qu’on puisse le réduire fortement d’ici là puisque nous entrerons bientôt dans une année électorale.

Bien sûr, la situation belge n’est pas catastrophique comme celle de la Grèce en 2009. Le succès du bon Van Peteghem montre que les ménages ont les poches assez garnies pour prêter des sommes considérables à l’Etat. Ensuite, nous ne sommes pas pris non plus dans un “effet boule de neige”. Cet effet, que les ministres des Finances redoutent plus que tout, apparaît lorsque le taux de croissance nominale est plus bas que le taux moyen que l’Etat paye sur sa dette. Les charges d’intérêt viennent alors automatiquement alourdir de plus en plus la dette de l’Etat.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui, comme le rappelle Koen De Leus, l’économiste en chef de BNP Paribas Fortis: “Le taux moyen implicite sur la dette est actuellement à 1,7%, et la croissance nominale prévue ces prochaines années est de 2,6%”. Mais l’économiste précise que cet écart va se réduire: le taux moyen que l’Etat paye sur sa dette va remonter à 2% en 2025.

Pour Koen De Leus, nous pouvons, même dans ce contexte, stabiliser la dette publique en nous permettant un petit déficit primaire (hors charge d’intérêt) de 1%. Mais cela nécessite de produire des efforts notoires. Car aujourd’hui, notre déficit primaire s’élève à 3,5% du PIB.

Incapacité atavique?

La Belgique commence en effet à attirer l’attention par une incapacité quasiment atavique à redresser ses finances publiques. “De tous les pays de la zone euro qui ont une dette publique qui dépasse 100% du PIB, la Belgique est le seul où la dette publique va encore augmenter (en% du PIB)”, constate l’économiste Eric Dor, responsable de la recherche auprès de l’IESEG School of Management. Selon les prévisions de la Commission européenne, notre endettement passera en effet de 105,1% du PIB l’an dernier à 106% cette année et à 107,3% l’an prochain, alors que l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal et la Grèce réussiront à prendre une pente descendante.

Et c’est vrai que sur l’échiquier budgétaire, notre pays se distingue des autres. Le SPF Economie observe que “par rapport à nos voisins, deux catégories de dépenses se distinguent particulièrement”. Il y a d’abord l’importance du poids des dépenses de l’administration générale, qui sont plus élevées de 1,7% du PIB chez nous que chez nos voisins. Il y a ensuite le poids des dépenses d’enseignement, plus élevées de 1,4% du PIB chez nous. “Les dépenses liées aux services généraux de l’administration publique dépassent quasiment celles de tous les autres pays, abonde Eric Dor qui reprend une étude de 2019. Elles atteignent 6,9% du PIB contre 5,6% en France et 4% aux Pays-Bas.” Aujourd’hui, l’emploi public (administration, défense, enseignement, santé, action sociale) représente chez nous 30,8% de l’emploi total, contre seulement 28,35% en France, 27,35% aux Pays-Bas, 26,16% en Allemagne, 18,7% en Italie, 23,3% en Espagne.

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Eric Dor (IESEG) © pg

Les dépenses liées aux services généraux de l’administration publique dépassent quasiment celles de tous les autres pays.” Eric Dor (IESEG)

Dette sociale

Koen De Leus souligne aussi la hauteur de notre dette sociale. “Sur l’ensemble des pays développés, la Belgique est le deuxième à avoir des dépenses sociales aussi élevées. Si je prends la net present value (la valeur nette actualisée) des dépenses de pension à 2050, elle atteint 41,4% du PIB. Et la net present value des dépenses de santé est à 68%. Avec ces deux postes cumulés, la dépense atteint 110% du PIB. Seuls les Etats-Unis sont au-dessus de ce niveau, à environ 150% du PIB, en raison des divers programmes sociaux comme Medicare”, ajoute l’économiste.

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Notre pays est aussi très dépensier dans le poste “affaires économiques”. “La Belgique se distingue vraiment par un taux très élevé de subventions aux entreprises, explique Eric Dor. Pour compenser une fiscalité assez lourde sur le travail, elle a développé une ingénierie de niches, d’exemptions et d’aides.” Cela va de l’exemption de précompte mobilier pour certains chercheurs aux tickets-restaurants en passant par la voiture de société. “Les titres-services coûtent également une fortune”, ajoute Eric Dor.

Que faire alors? Pour Koen De Leus, puisque notre fiscalité est déjà au plafond, nous devrons chercher des économies dans nos dépenses sociales “Du côté des pensions, il est indispensable de coupler l’augmentation de la longévité à la hausse du temps de travail. Et dans les soins de santé, il y a encore beaucoup de gaspillages”, dit-il.

Ensuite, il est aussi essentiel de simplifier l’administration. “La hauteur des dépenses publiques est le résultat de notre millefeuille institutionnel, souligne Eric Dor. Nous avons multiplié les niveaux de pouvoir, avec chacun leur administration. C’est très coûteux et cela s’avère relativement inefficace. Quand on organise une réunion mondiale sur le climat, la Chine envoie un ministre, la Belgique une demi-douzaine. Nous avons en plus une architecture institutionnelle spéciale, non hiérarchisée. La maîtrise de la dette doit concerner l’ensemble des pouvoirs publics mais il n’y a aucune autorité centrale pour arbitrer. L’atteinte des objectifs dépend donc de la bonne volonté des différentes parties concernées.”

Le souvenir britannique

Ce train de vie dépensier, nous ne pourrons le garder longtemps. “Il faut faire attention à ne pas tomber dans la situation vécue par le Royaume-Uni l’an dernier, quand Liz Truss était Premier ministre”, observe Koen De Leus. Rappelez- vous: en annonçant un mini- budget très dépensier en octobre 2022, elle avait provoqué une méchante spéculation sur la dette britannique, ébranlant profondément les assureurs et les fonds de pension et nécessitant une intervention d’urgence de la Banque d’Angleterre. Et le gouvernement suivant, celui de Rishi Sunak, avait été obligé de faire machine arrière en catastrophe et de réduire les dépenses de l’Etat.

De toute façon, le cadre européen devrait nous pousser à agir. Le pacte de stabilité, mis en sommeil, devrait se réveiller l’an prochain. L’Europe regardera donc à nouveau avec attention notre trajectoire budgétaire. Et si le pays ne parvient pas à renter dans les clous, il risque d’être soumis à une procédure pour déficit excessif. Autrement dit, si nous ne parvenons pas à assainir nos finances publiques aujourd’hui, d’autres le feront pour nous demain, sans doute plus brutalement.

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