Bruno Colmant

L’affaire de l’or

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

En quelques semaines, le cours de l’or a atteint des sommets stratosphériques. Rien d’étonnant à cela : depuis l’Antiquité, ce métal est le refuge des crises financières. La thésaurisation répond à un réflexe millénaire, à savoir le manque de confiance à l’égard du système financier ou politique.

Les raisons de cet engouement métallique sont nombreuses. L’or possède des qualités intrinsèques, telles que son inaltérabilité dans le temps et son volume réduit. De plus, les lingots étant désormais estampillés, les quantités d’or sont standardisées, tant en termes de pureté que de poids.

Un élément caractérise cependant le récent phénomène de thésaurisation. Dans le passé, l’or répondait à la défiance par rapport à la monnaie fiduciaire, c’est-à-dire la monnaie papier, émise par les États. Aujourd’hui, le repli vers l’or consacre un refuge contre les risques géopolitiques, et de nos jours, les risques de dédollarisation du monde dans le cadre de puissances émergentes qui mettent en péril sa suprématie. Je parle des BRICS+ qui veulent explicitement formuler un nouvel étalon monétaire.

L’or est aussi une protection contre l’érosion monétaire, c’est-à-dire l’inflation ou la perte de repère de la monnaie, voire sa mort. Ce fut le cas au cours des grandes crises monétaires, telles que celle des assignats de la Révolution française et de l’hyperinflation qui a traversé l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Au reste, les systèmes monétaires les plus stables et pérennes furent, pendant très longtemps, les monnaies convertibles en or, tel le franc-or (ou franc germinal), créé en 1803 et qui subsista jusqu’en 1928. Le système de Bretton Woods, imaginé en 1944, postulait également la convertibilité des principales devises en or jusqu’à son abandon par le Président américain Nixon en 1971. En 1976, les accords de Kingston, à la Jamaïque, confirmèrent l’abandon du rôle légal international de l’or.

Faut-il regretter ces temps anciens de la monnaie métallique et des références aurifères de nos monnaies ? Probablement pas, encore que quelques théoriciens associent le dérapage financier de nos économies à l’émergence d’une bulle de monnaie créée par les banques centrales.

En vérité, la référence à l’étalon or constitue un frein à la croissance, puisque la masse monétaire est bornée par les ressources minières. Celles-ci limitent les volumes de commerce aux capacités d’extraction. Progressivement, le crédit fut d’ailleurs dissocié d’un stock métallique et la monnaie créée sur base d’inscriptions en compte. Désormais, ce sont les banques qui injectent des liquidités et l’or est devenu ce que Keynes appelait une « relique barbare ».

Mais ce qui est troublant, c’est qu’au cours de l’histoire, l’or fut un refuge métallique autant pour les épargnants que pour les institutions chargées d’assurer la confiance monétaire. En d’autres termes, les États tirèrent parfois eux-mêmes un grand profit de l’étalon or, et ceci au détriment de leurs propres citoyens.

L’histoire de la finance abonde d’illustrations d’États faux-monnayeurs, raison pour laquelle le privilège de battre monnaie était réservé aux Rois. À Athènes, par exemple, la valeur faciale des pièces de monnaie était supérieure à leur coût de production. Le Roi de Lydie (territoire situé à l’ouest de la Turquie), Crésus (596 à 547 AC), avait mis en circulation des pièces de monnaie contenant seulement 54 % d’or et non les 70 % promis.

Plus tard, au Moyen Âge, Philippe le Bel (1268-1314) fut sans doute un des plus célèbres escrocs de la famille capétienne. Traité de faux-monnayeur par le Pape Boniface VIII, il changeait les parités monétaires au gré de ses besoins personnels. Le Roi modifia même la composition des pièces d’argent, remplaçant le précieux métal par du billon (ou argent noir), un mélange d’argent, de cuivre et de plomb. Le souverain dut d’ailleurs faire face à de sévères rébellions qu’il réprima férocement. Acculé financièrement, Philippe le Bel obtint l’accord du Pape Clément V pour déclarer hérétiques les Templiers afin de s’emparer de leurs biens.

Huit siècles plus tard, on cherche toujours le trésor des Templiers. En revanche, toutes les communautés gardent les mêmes réflexes en cas de perte de confiance, se précipitant vers les repères métalliques lorsque les jalons monétaires deviennent flous. Et je crois que les années prochaines s’annonçant très périlleuses, le réflexe de l’or se comprend, encore que les risques environnementaux nous conduisent vers le néant planétaire, et qu’on sait qu’on n’a jamais vu un trésor trottiner derrière un cercueil.

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