Eddy Caekelberghs

La banalisation du mal

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

On la cite souvent mais Hannah Arendt commentant le procès du nazi Adolf Eichmann depuis Jérusalem a établi cette expression moult fois reprises depuis : la banalisation du mal. Parce que le mal serait banal ? Non, évidemment. Mais parce que nous avons une tendance marquée – comme humain mouton – à intégrer tout ordre, tout système “légal”, toute injonction (fut-elle absconse ou abjecte), à obéir pour autant que les oripeaux de la “loi” semblent sanctifier l’inqualifiable.

Regardant Eichmann, Arendt dit que cet homme est la représentation type de la banalisation du mal parce qu’il n’a pas réfléchi. L’utilisation de la raison en lieu et place des affects, de la science en lieu et place du “ressenti”, de l’information en lieu et place de la rumeur, est typique et constitutif de l’état d’esprit fasciste.

Nous y voilà. Ou plutôt : nous y revoilà ! La banalisation et l’inclusion de l’extrême droite dans le paysage “classique” des partis fréquentables est une donnée évidente. L’AfD en Allemagne, arrivée en deuxième position aux européennes. Le FPÖ (parti historique de Jörg Haider) qui caracole en Autriche. Geert Wilders entré au gouvernement néerlandais. Comme dans certains pays nordiques (je songe entre autres à la Finlande). Le Belang ici. Le parti de Le Pen et Bardella en France. Et tant d’autres…

Nos mémoires sont blessées. Ou absentes. On commémore le D-Day du 6 juin 1944 mais on plonge avec délectation – ou banalité ? – dans la résurgence des années 1920-1930. On héroïse Missak Manouchian et les siens au Panthéon mais on élit les tenants des partis racistes. Plus encore : Giorgia Meloni, la Première ministre italienne issue de l’extrême droite, est courtisée par une Ursula von der Leyen avide d’un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne. Et, après tout, banalement, une voix ça n’a pas d’odeur. Même fasciste …

D’ailleurs qualifions-nous encore ces formations politiques d’extrême droite ? On parle de post-­fascisme. Ou de partis conservateurs. La banalisation voire l’inclusion je vous dis. Et, pour le surplus, la parole se libère et les vieilles haines ressurgissent. L’antisémitisme (de gauche comme de droite, extrêmes compris) sévit ouvertement et massi­vement. Un Bruxellois sur quatre dit sa haine ou sa détestation du juif. En connaissent-ils ? Les fantasment-ils ? Peu importe !

C’est le coprésident de l’Union des étudiants juifs de Belgique qui est agressé physiquement au cri de “sale juif” ! Ce sont des avocats et des médecins qui retirent leur plaque professionnelle des façades et/ou appartements parce qu’une consonnance juive supposée entraîne des dégra­dations ou pire. C’est le Conseil de l’Ordre du barreau de Bruxelles qui s’en émeut et le dénonce. Mais le silence est assourdissant.

Les autorités – au mieux ! – déplorent mais n’agissent pas. Encore moins en période électorale. Regardez la France des droits fondamentaux, si prompte à se présenter exemplaire, où Eric Ciotti, patron des Républicains rompt le cordon sanitaire démocratique et annonce vouloir une alliance avec le Rassemblement national. Un peu à l’instar des parlementaires qui, réunis à Vichy en juillet 1940, confèrent les pleins pouvoirs à Pétain en se drapant dans la légitimité constitutionnelle.

Les temps noirs des corbeaux volent sur nos plaines. A nouveau. Et pourtant, nous savons sur quoi débouchent ces prurits de la démocratie. J’en réfère à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 qui, en son article 35, prévoit : “Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs”. Prônons au moins l’insurrection des consciences !

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