Philippe Ledent

Déjà le baptême du feu pour les gouvernements belges en cours de formation?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Alors que les élections européennes, fédérales et régionales ont donné des résultats plutôt clairs en Belgique et qu’elles ne se sont pas soldées par une montée franche des parties extrêmes, on ne peut pas en dire autant des élections européennes dans d’autres Etats membres. En France, les élections ont même pris une tournure inattendue suite à l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Macron.

Prise isolément, la décision du président français est surtout importante politiquement : les cartes risquent d’être une fois de plus rebattues et le paysage politique français est de plus en plus polarisé. Cependant, cette décision s’inscrit également dans une séquence d’événements dont les répercussions économiques peuvent être majeures. Tout commence en effet par des finances publiques très dégradées. Le déficit public français dépasse de loin les 5% du PIB, sans réelle espoir d’inverser la tendance à court terme. Si l’on y ajoute le fait que le 30 avril dernier, les règles budgétaires européennes remaniées sont entrées en vigueur et qu’un autre grand pays européen, l’Italie, se retrouve avec des finan­ces publiques encore plus dégradées, cela a suffi à attirer l’attention des marchés financiers sur l’état des finances publiques des pays européens.

Début juin, la dégradation de la note souveraine de la France par S&P a mis une fois de plus ce pays sous le feu des projecteurs. La suite est connue : le 9 juin dernier, après des résultats électoraux donnant le Rassemblement National (RN) largement en tête, le président Macron dissout l’Assemblée. Les jours suivants verront l’implosion des Républicains, de Reconquête et la naissance dans la douleur et non sans son lot de crises intestines du Nouveau Front Populaire (NFP).

Il s’agit de clairement signaler la différence entre une politique française chaotique et une politique belge capable d’avancer.

Cette séquence n’a pas été sans conséquence sur le marché obligataire. En effet, jusqu’en février de cette année, le taux d’emprunt à 10 ans de l’Etat français était quelques 10 points de base (bp) en dessous de son homologue belge. Néanmoins, probablement par anticipation de la dégradation de la note française, cet écart s’est réduit à néant dès le mois de mars. Depuis la semaine dernière et la publication des projets de programme du RN et du NFP, le taux français s’est installé 10 bp au-dessus du belge. Par ailleurs, on a pu observer une augmentation de l’ensemble des primes de risque par rapport à l’Allemagne. Ainsi, alors que la prime de risque de la Belgique était redescendue à quelques 50 bp en avril, elle approche actuellement 65 bp. Elle atteint presque 80 bp dans le cas de la France et 155 bp dans le cas de l’Italie. Si, dans un premier temps, on pouvait considérer les mouvements de taux comme du bruit limité et temporaire sur les marchés obligataires, cela ressemble de plus en plus à une fuite vers la qualité depuis les élections européennes.

Certes, on ne va pas encore parler de nouvelle crise de la dette, mais une fois que les marchés se focalisent sur les thématiques des finances publiques et de la stabilité politique, les choses peuvent évoluer très vite. D’autant plus que le mois de juin est encore marqué par des échéances importantes, dont l’avis très attendu de la Commission sur les finances publiques des Etats membres. Dans un tel contexte explosif, les gouvernements belges pourraient subir leur baptême du feu avant même d’être formés ! Heureusement, au vu du résultat des élections, les partis politiques actuellement en négociations ont la capacité de multiplier les signes d’apaisement. Il s’agit d’une part de clairement signaler la différence entre une politique française chaotique et une politique belge capable d’avancer et d’apporter une certaine stabilité. D’autre part, il s’agit inévi­tablement de signaler que la question de l’efficacité de la dépense publique est un problème pris à présent à bras le corps par les futurs gouvernements, à la différence des errements du passé ou d’autres pays. Bref, signaler qu’il y a un pilote dans l’avion alors que les turbulences approchent.

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