Carte blanche

La crise que traverse la filière du cacao démontre qu’il est possible de rémunérer justement les cacaoculteurs

Le 26 mars dernier, le prix de la tonne de cacao a dépassé pour la première fois la barre symbolique des 10 000 dollars à la bourse de New York. Le cours du cacao a quadruplé en un an faisant les gros titres des journaux se demandant si le consommateur pourra encore acheter du chocolat à un prix abordable.

Cette hausse inédite a provoqué un vent de panique dans le secteur du chocolat. Le prix des fèves de cacao, habituellement vendues à un montant dérisoire, s’est soudainement envolé. Paradoxalement, cette hausse considérable découle des prix peu élevés que les producteurs de cacao obtiennent depuis des années.

Le 22 avril prochain débutera la 5e conférence internationale du cacao à Bruxelles, intitulée Paying more for sustainable cocoa (Payer plus pour un cacao durable). Nous n’aurions pas pu trouver un meilleur titre. En effet, alors que le secteur est confronté à des prix élevés, la crise que traverse le secteur montre par la même occasion qu’acheter du cacao à un prix équitable est possible.

Il y a quelques années, l’industrie du chocolat a réussi à saper l’initiative ghanéenne et ivoirienne visant à mettre en place un juste prix, indépendant des fluctuations du marché (en imposant une prime de 400$/tonne : le fameux différentiel de revenu décent). Comment ? En compensant ces 400 dollars, un chiffre qui semble dérisoire aujourd’hui, par des primes de qualité négatives. Vous avez bien lu : en guise de compensation pour des prix équitables concédés aux producteurs et aux productrices de cacao, la qualité du cacao en provenance de Côte d’Ivoire et du Ghana a du jour au lendemain été qualifiée d’inférieure.

Juste avant la mise en œuvre de l’initiative en 2020, la demande en cacao connaissait une forte hausse, indiquant que plusieurs entreprises s’attelaient à remplir leurs stocks. Une fois l’initiative mise en œuvre, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont dû consentir des rabais pour pouvoir continuer à vendre leur cacao, ce qui a eu un impact direct sur les revenus de millions de familles. Cyniquement, aujourd’hui, les industriels du chocolat font la fine bouche quand il s’agit de payer un prix qui ne compense en rien l’exploitation subie par les cacaoculteurs du Ghana et de Côte d’Ivoire depuis des années. 

Greedflation : quand les marques profitent de l’inflation pour augmenter leurs prix

Il y a un an, personne n’aurait parié sur le fait que le prix du cacao franchirait le cap des 10 000 $/la tonne, un prix équitable que les industriels du chocolat ont refusé de payer pendant des années. On ne doit pas cette hausse à leur bonne volonté, mais aux effets du dérèglement climatique qui ont épuisé les plantations et les cacaoculteurs.

Mais attention, le fait que le cacao est quatre fois plus cher qu’il y a deux ans ne signifie pas que le prix de la barre de chocolat doit automatiquement quadrupler. En effet, la valeur nette du cacao contenu dans une barre chocolatée correspond à 10% de la valeur totale de celle-ci. Prenons l’exemple d’un chocolat vendu à 1 $, dont la part du coût du cacao s’élève à 0,10 centime. Si vous quadruplez la valeur du cacao négocié sur les marchés, vous atteignez une barre de chocolat à 1,30 $. Donc, si cette barre de chocolat est vendue à 1,50 $ en magasin, cela veut dire qu’un ou plusieurs acteurs de la chaîne de valeur profitent de la crise que connaît la filière du cacao. C’est ce qu’on appelle la Greedflation (comprenez, l’inflation de la cupidité).

En conclusion, tout ceci prouve que payer un prix juste aux cacaoculteurs et aux cacaocultrices est à la portée véritable des géants de la confiserie. Mais il semble qu’ils sont prêts à concéder un tel « effort » uniquement quand la crise climatique fait chuter la production et que les cacaoculteurs atteignent les limites de leur résilience. En réalité, les planteurs sont contraints de cesser de produire du cacao en masse parce qu’ils sont sous-payés depuis des années. Pourquoi ? Si les multinationales les avaient rémunérés au prix (soyons très raisonnables) fixe minimum garanti de 6000 $/la tonne, ils auraient pu investir dans des méthodes agricoles résilientes aux effets du réchauffement climatique et permettre à leurs enfants, qui n’éprouvent pas nécessairement le désir de reprendre le flambeau de la cacaoculture, d’explorer d’autres horizons professionnels et ainsi contribuer autrement au développement économique de leur pays. De cette façon, les pays dont les économies reposent en partie sur une monoculture pourraient également investir dans leur propre développement économique.

Légiférer pour rendre le cacao vraiment durable

Les souffrances endurées par les agriculteurs et les agricultrices du Sud Global et celles et ceux du Nord Global sont symptomatiques d’un même problème systémique. Ce problème réside dans le fait que leurs droits humains ne sont pas respectés. Le coût de la dignité humaine et d’un revenu vital sont des notions qui indiffèrent complètement les spéculateurs et les multinationales.

Une solution durable à ces inégalités systémiques passe par la législation, la seule à même de créer des règles du jeu équitables. Les deux projets de loi soumis par les partis de gouvernement PS et ECOLO proposant d’interdire l’achat de produits agricoles en deçà du prix de production sont des pistes intéressantes. Ainsi les personnes actives dans l’agriculture seraient protégées d’une trop grande fluctuation de prix et ne seraient plus contraintes de devoir parfois produire à perte. À celles et ceux qui seraient tentés de brandir l’argument de la main invisible du marché, il ne s’agit ici que d’une intervention minime, mais qui permettrait aux producteurs de cacao d’être résilients et capables d’investir dans une culture résistante aux chocs climatiques. L’autre voie, c’est celle d’un système alimentaire qui est voué à échouer à produire de la nourriture à un coût abordable.

Bart Van Besien, chargé de plaidoyer et expert de la filière du cacao chez Oxfam Belgique

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