Nieuport : l’immobilier de luxe menace-t-il la réserve naturelle ?

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Cela fait trente ans que l’on cherche à développer la marina de Nieuport. Ce port de plaisance situé à proximité immédiate d’une réserve naturelle fait aussi rêver des promoteurs immobiliers qui aimeraient y construire pas moins de mille appartements de luxe. Un beau cas d’école sur le conflit récurrent qui oppose développement économique et protection de l’environnement.

Nieuport : l’immobilier de luxe menace-t-il la réserve naturelle ?

Cela fait trente ans que l’on cherche à développer la marina de Nieuport. Ce port de plaisance situé à proximité immédiate d’une réserve naturelle fait aussi rêver des promoteurs immobiliers qui aimeraient y construire pas moins de mille appartements de luxe. Un beau cas d’école sur le conflit récurrent qui oppose développement économique et protection de l’environnement.

L’orage gronde à Nieuport.  Cela fait maintenant des années que se déroule autour de la marina une bataille acharnée entre deux camps. Au cœur des préoccupations se trouve une des perles naturelles de la Côte belge De IJzermonding. Ce lieu à la biodiversité unique est aussi un lieu de résidence privilégié pour les oiseaux migrateurs et les phoques. Problème, cette zone de 130 hectares se trouve proximité immédiate de Nieuwpoort et de son impressionnant port de plaisance. La marina de Nieuport est la plus grande d’Europe du Nord avec plus 2 000 emplacements pour bateaux de plaisance.

Déjà imposante, elle risque pourtant d’encore gagner en envergure. Depuis 30 ans, la ville cherche à étendre son port. Le bourgmestre de Nieuport, Geert Vanden Broucke, aimerait y ajouter 600 emplacements supplémentaires pour les bateaux. Il prévoit aussi de construire des appartements de luxe et une passerelle reliant cette nouvelle zone au centre-ville. Fervent partisan de ce projet d’envergure, le bourgmestre insiste sur les avantages économiques qu’il apporterait à la ville. Il affirme également que le projet vise à remplacer une zone aujourd’hui industrielle par des bâtiments et infrastructures plus esthétiques. « Certains prétendent que nous voulons construire en pleine nature, mais il s’agit d’un parc d’activités. Et ces montagnes de sable qui s’étendent ici ne représentent pas grand-chose de toute façon » précise-t-il dans De Standaard.

Opposition et préoccupations écologiques

Ce projet rencontre pourtant une vive opposition, tant de la part de la communauté scientifique que des associations de défense de l’environnement. Les défenseurs de la nature insistent sur l’importance écologique de la région. Des espèces comme les courlis et les phoques y trouvent refuge. Filip Volckaert, biologiste marin et professeur émérite à l’Université de Leuven, souligne que De IJzermonding joue un rôle crucial comme “nurserie” pour les jeunes poissons. Autant d’habitats qui risquent d’être détruits par l’urbanisation excessive. La construction à proximité immédiate de la réserve réduirait de facto la zone tampon nécessaire entre l’urbanisation et la nature, augmentant ainsi la pollution lumineuse, sonore et la pression humaine sur l’écosystème fragile. « Une mort par mille coups de couteau », selon Volckaert. Soit autant de petites altérations environnementales qui, accumulées, pourraient causer des dommages irréversibles à cet écosystème.

Les critiques viennent également d’agences gouvernementales comme l’Agence Natuur en Bos (ANB), qui a émis un avis défavorable sur plusieurs aspects du projet. Parmi les préoccupations soulevées figurent les impacts potentiels sur les oiseaux migrateurs, notamment la construction de tours résidentielles sur leur route de migration, ainsi que l’augmentation de la pression touristique, les risques de déshydratation du sol causés par l’imperméabilisation des terres, et la pollution sonore pendant la phase de construction. De plus, l’intensification du trafic maritime pourrait accélérer l’érosion des zones humides, essentielles à la biodiversité.

Procédures légales et luttes judiciaires

Face à la détermination du bourgmestre, les opposants au projet ne sont pas restés les bras croisés.  Ainsi Ivan De Clerck, membre de l’association de défense de l’environnement vzw Bescherm Bomen en Natuur, a intenté neuf actions judiciaires contre le projet. Selon lui, le véritable objectif des promoteurs n’est pas tant d’agrandir la marina que de réaliser des profits énormes grâce à la vente des appartements de luxe, évalués à des centaines de millions d’euros.

Soutien politique et conflits d’intérêts

Malgré les avis négatifs, le projet bénéficie d’un soutien politique considérable, tant à l’échelle locale que régionale. Hilde Crevits, ancienne ministre des Travaux publics et aujourd’hui ministre du Bien-être, a lancé le projet en 2009 et continue de le soutenir. Elle a même rencontré le maire Vanden Broucke après le rejet des premières demandes de permis de construire pour discuter des difficultés entourant le projet.

La société d’investissement publique flamande, PMV, est également impliquée selon De Standaard. Depuis 2013, PMV est partenaire du consortium chargé de la réalisation du projet d’extension de la marina et a investi des capitaux à risque dans le projet immobilier. Toutefois, les détails financiers exacts restent confidentiels. En 2018, Ben Weyts, ministre flamand des Travaux publics de l’époque, avait annoncé que plus de 10 millions d’euros de fonds publics, principalement issus de la Flandre, seraient investis dans ce projet.

Malaise et dualité

Ce massif soutien financier et politique au projet des autorités flamandes est incompréhensible pour les écologistes comme Volckaert. Ils dénoncent le paradoxe des autorités qui investissent dans la protection des espaces naturels tout en soutenant des projets immobiliers qui risquent de les détruire. Une dualité qui interroge sur les priorités réelles des décideurs publics.

« Ce projet doit et va se réaliser »

La taille exacte du projet reste floue. Nul ne connaît non plus le calendrier d’éventuel début de travaux.  La question se pose donc de savoir si le projet se concrétisera un jour, car les plans sont sur la table depuis 30 ans et n’ont toujours pas réussi à obtenir les autorisations nécessaires.

Les trois permis pour le nouveau port de plaisance, le lotissement d’un millier d’appartements et la passerelle piétonne ont été demandés à partir de septembre 2023, avant d’être retirés au début de cette année.

Pour tenter d’arrondir un peu les angles et faire avancer le projet, le consortium de construction a engagé une nouvelle étude écologique externe pour tenter d’obtenir un compromis respectant au mieux les exigences environnementales. Il est cependant hautement improbable que la construction des appartements de luxe soit annulée. Ils sont essentiels au financement du projet global.

Seule certitude pour Geert Vanden Broucke : qu’importe que le chemin soit long et difficile, tôt ou tard, “ce projet doit et va se réaliser ».  L’avenir dira s’il a eu raison.

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