Restructurations économiques: des pistes pour préserver l’emploi

Dimitri Van Uytvanck et Herman Craeninckx (cabinet Simmons & Simmons). © Hatim Kaghat

Face à une complexité législative sans cesse croissante, Herman Craeninckx et Dimitri Van Uytvanck du cabinet Simmons & Simmons plaident pour une plus grande stabilité fiscale, sociale et administrative. Au bénéfice de l’ensemble des partenaires sociaux et de l’emploi.

Makro, Delhaize, Van Hool, Audi, Decathlon, Mithra, etc. Depuis plus d’un an, la liste d’entreprises qui font la une de l’actualité, et pour certaines en disparaissent, ne cesse de s’allonger. Même si les réalités de ces sociétés et groupes sont assez différentes, les restructurations, fermetures, cessations d’activités, voire faillites pures et simples entraînent dans leur sillage un cortège de dégâts sociaux et économiques.

La multiplication des difficultés rencontrées par de nombreuses entreprises actives dans les secteurs les plus divers a interpellé Dimitri Van Uytvanck et Herman Craeninckx, respectivement associé et avocat chez Simmons & Simmons : “Ce que nous observons en tant que praticiens du droit social en Belgique, c’est qu’au-delà du contexte économique, d’autres raisons expliquent, pour partie, les difficultés rencontrées par les entreprises. Parmi celles-ci figurent les relations sociales, avec une concertation qui s’apparente parfois davantage à de la contestation, sans compter un nombre de jours de grève et un absentéisme au-delà de la moyenne. Ce n’est pas le Mitbestimmung, la cogestion à l’allemande. En d’autres termes, le pouvoir syndical n’est pas toujours utilisé à bon escient. Ce qui pousse souvent les sociétés multinationales à une réflexion concernant le maintien de leurs activités en Belgique. En effet, de nombreuses socié­tés multinationales anglo-saxonnes et/ou allemandes ne comprennent pas cette absence de dialogue constructif.”

“Il est important d’être plus flexible dans un monde qui évolue de plus en plus vite et bouleverse de nombreux secteurs.”

Prévenir les licenciements

“A cela, il convient d’ajouter une complexité administrative sans cesse croissante. Que l’on songe simplement au permis unique (single permit) pour un travailleur étranger ou un permis de bâtir ; l’obtenir s’apparente à un véritable parcours du combattant. Plus largement, le problème est que l’on ne cesse d’ajouter de nouvelles lois et règles sans abroger les anciennes, au point que certaines réglementations deviennent contradictoires, notamment aux niveaux fiscal et social. C’est également difficile à expliquer à des multinationales. Enfin, nous devons mentionner le coût salarial mais cela n’est pas le facteur déterminant. Toutefois, le coût salarial, en ce y compris les augmentations automatiques, tels que l’index combiné à une concertation sociale révolue et une administration hyper complexe poussent certaines sociétés, pas nécessairement en difficulté, à songer à une délocalisation de leurs activités vers des pays où le coût salarial peut être élevé mais le climat social plus serein.”

Dans le cas des licenciements collectifs, certaines entrepri­ses recourent à la loi Renault. On parle de licenciement collectif lorsque, au cours d’une période de 60 jours, un licenciement pour motif économique affecte au moins 10 travailleurs dans les entreprises occupant entre 20 et 100 travailleurs ; 10% des travailleurs dans les entreprises occupant entre 100 et 300 travailleurs et 30 travailleurs dans les entreprises occupant plus de 300 travailleurs. En dessous de ces seuils ou dans les entreprises occupant moins de 20 travailleurs, ce sont des licenciements individuels.

“C’est une pro­cédure assez complexe à mettre en œuvre, détaille Herman Craeninckx. Il y a d’abord une phase d’information et de consul­tation préalable des représentants des travailleurs qui doit intervenir avant toute décision. Cette consultation doit notamment porter sur la manière d’éviter ou de réduire le licenciement collectif ou d’en atténuer les conséquences. Des formalités de notification, la création d’une cellule pour l’emploi et la négociation d’un plan social sont également à prévoir.”

Recours à la réorganisation judiciaire

Depuis 2009, une autre solution existe pour l’entreprise : la PRJ (procédure de réorganisation judiciaire) que certains décrivent comme l’antichambre de la faillite. Pour sa part, Herman Craeninckx évoque plutôt une “faillite inversée”. “La PRJ permet d’abord une négociation à l’amiable avec les créanciers pour une durée de six mois maximum, reprend Dimitri Van Uytvanck. Ensuite, un plan de réorganisation est mis en place dans lequel il peut y avoir une réduction de la masse salariale. Enfin, il y a un transfert total ou partiel des activités. L’idée est de retrouver un repreneur, en privilégiant celui qui sauvegardera le maximum d’emplois, sans que l’entreprise ne doive ainsi faire appel à la procédure de la loi Renault.”

On a un exemple récent de PRJ avec le constructeur Van Hool. Mais dans ce cas précis, c’est un concours de circonstances qui a amené l’entreprise familiale à la faillite avec notamment un manque patent d’anticipation, une concur­rence internationale de plus en plus forte, de mauvais choix stratégiques, des mésententes familiales sans oublier le choix de De Lijn pour des bus chinois.

Depuis déjà quelques années, Herman Craeninckx plaide pour que, dans la concertation sociale, les partenaires sociaux se rendent compte que leurs droits sont alignés et pas opposés afin d’assurer la pérennité de l’entreprise au bénéfice de l’ensemble des parties : “Travailleurs et employeurs ont les mêmes intérêts. A savoir survivre dans un environnement socio-économique qui a fortement évolué ces dernières années et où la vraie concurrence se situe hors de nos frontières. Afin de mieux répondre à cette dernière, les contrats de travail devraient, eux aussi, être plus flexibles et pouvoir être revus à la hausse ou à la baisse selon les circonstances, dans le respect de certaines limites, évidemment. Il ne saurait être question de déroger aux règles et barèmes fixés au niveau du secteur ou au niveau national. Cela suppose bien entendu de nouer une relation de confiance entre le travailleur et l’employeur. Ce dernier devra également rétribuer ses travailleurs en cas de résultats positifs, par exemple en leur réservant un pourcentage des dividendes. Il est important d’être plus flexible dans un monde qui évolue de plus en plus vite et bouleverse de nombreux secteurs, comme avec l’e-commerce hier et l’IA demain.”

Une plus grande flexibilité

“On peut songer, par exemple, à ne plus avoir nécessairement une rémunération linéaire. C’est surtout quand on est jeune que l’on a davantage besoin d’argent. L’ancienneté ne rime pas nécessairement avec l’expérience d’autant qu’aujourd’hui, les technologies évoluent constamment nécessitant de nouvelles compétences et formations. Il faut un juste équilibre jouant dans les deux sens, à la hausse mais aussi à la baisse à travers une flexibilité de plans donnant le choix au travailleur des avantages rémunératoires. Je reconnais que c’est une question délicate qui nécessite une réflexion plus approfondie.”

Pour finir sur une note positive, les avocats entendent également souligner les atouts dont dispose notre pays tels que les compétences reconnues de notre main-d’œuvre, la position géographique privi­légiée au sein de l’Europe ou encore la qualité des soins de santé. Des atouts susceptibles d’attirer les investisseurs étrangers. “Il faut donc coupler ces avantages à une stabilité fiscale, sociale et administrative pour que la Belgique redevienne un petit pays avec une forte valeur ajoutée”, concluent-ils.

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