Pour ses 50 ans, Hendrik Dierendonck débarque dans le sud du pays

HENDRIK DIERENDONCK, ici avec son père, a permis de ressusciter la race Rouge des Flandres. © PG / ALICE BOWN AGENCY

En 2004, Hendrik Dierendonck reprenait la boucherie familiale de Saint-­Idesbald. Vingt ans plus tard, cet artisan passionné va ouvrir une sixième boucherie à Waterloo, un deuxième restaurant Carcasse à Knokke et d’autres points horeca à Bruxelles. Après avoir sauvé la race Rouge des Flandres, il entend désormais refléter le terroir wallon grâce à une collaboration avec des éleveurs ardennais.

En 20 ans, Hendrick Dierendonck a, d’une certaine manière, révolutionné la façon dont le Belge mange de la viande. Suivant la philosophie de son papa Raymond dont il a repris la boucherie de Saint-­Idesbald en 2004, il a choisi de développer ses activités sans se départir de ses valeurs : respect de l’animal et du travail du fermier, pas de gaspillage et la qualité plutôt que la quantité.

Créateur de la viande matu­rée en Belgique, Dierendonck est devenu un label de qualité qui se décline désormais dans cinq boucheries et chez Carcasse, son resto étoilé situé à l’arrière du commerce familial à la côte belge. A l’occasion de ses 50 ans, il revient sur son parcours atypique et dévoile une série de projets destinés, majoritairement, à Bruxelles et à la Wallonie.

TRENDS-TENDANCES. Votre actualité immédiate, c’est l’ouverture, 10 ans après Saint-Idesbald, d’un deuxième restaurant Carcasse à Knokke à la fin juin.

HENDRIK DIERENDONCK. L’arrivée à Knokke suscite un engouement sans précédent. Cela me fait un peu peur mais c’est positif. Cela me pousse à me remettre en question. Je m’étais toujours promis de ne jamais ouvrir de restaurant (rires). Je suis boucher, pas chef. A l’origine, le Carcasse de Saint-Idesbald était destiné à devenir un espace de dégustations et de workshops. Mon frère est architecte et, une fois son concept terminé, nous nous sommes rendu compte que c’était un resto ! Dans ces conditions, autant le faire bien.

Avant d’ouvrir, nous avions déjà 1.500 réservations. Résultat des courses, il aura fallu quatre ans pour affiner le concept voulu au départ : un travail sur les légumes pour qu’ils se marient avec la viande et remplacent les sempiternelles frites avec sauce et une série d’entrées à partager faisant la part belle à de la charcuterie fine. C’est Nicolas Misera, mon troisième chef, qui nous a amené cela. En plus d’une étoile. Etoile qu’il a désormais conquise dans son restaurant anversois.

Le deuxième Carcasse va reprendre les codes du premier mais il sera différent. Une petite boucherie sera intégrée et permettra de se procurer une partie de mon assortiment à Knokke. Nous allons aussi proposer des plateaux de charcuterie à déguster en terrasse. Ce qui n’existe pas à Saint-Idesbald. Ce sera assurément plus convivial car il n’y règnera pas le stress de l’étoile. C’est finalement un cadeau empoisonné ce truc…

Timon Michiels, le chef actuel, est désormais partenaire dans l’aventure Carcasse. C’est lui qui sera aux commandes à Knokke ?

Oui, il va assurer le lancement. J’ai toujours voulu investir dans les jeunes. Quand j’ai repris la boucherie de mon papa, je n’avais jamais imaginé faire tout cela. Je me voyais toute ma vie derrière le comptoir avec mon tablier. A un moment, vu le nombre d’événements auxquels je participais, ma notoriété s’est répandue dans toute la Belgique. J’avais même des jeu­nes Bruxellois qui faisaient l’aller-retour le samedi dans la journée pour avoir nos côtes à l’os pour leur barbecue du soir.

Grandir était devenu une nécessité : avec mon épouse, nous avons donc ouvert une deuxième boucherie à Nieuport en se promettant de ne jamais y être. Mon père était furieux et ne m’a pas parlé pendant un mois. Pour lui, un boucher qui ouvre un deuxième point de vente, c’est le début de la fin. Il a changé d’avis puisque c’est lui qui m’a poussé à reprendre la boucherie de Jack O’Shea dans le quartier Sainte-Catherine à Bruxelles suite à la faillite. Pour réussir ces deux ouvertures, nous avons dû faire confiance à des jeunes, investir dans leur formation et partager notre passion. Cela reste la base de notre succès. Il ne se forme quasiment plus de bouchers en Belgique mais moi, je parviens à les attirer sur mon nom et sur les valeurs que je porte.

Investir dans les jeunes, c’est ce que je fais aussi avec Timon Michiels qui connaît la boucherie Dierendonck depuis qu’il est haut comme trois pommes. Timon, je le vois comme notre futur chef exécutif.

TIMON MICHIELS, le chef actuel de Carcasse va assurer le lancement du restaurant de Knokke. © PG / ALICE BOWN AGENCY

Vous souhaitez, un peu à la manière de Sergio Herman, qu’il forme des jeunes pour gérer les deux cuisines au quotidien ?

Clairement oui. Grâce à Timon, Carcasse a été élu, la semaine dernière, cinquième meilleur restaurant de steaks du monde aux World’s 101 Best Steak Restaurants Awards et il a même été désigné jeune chef de l’année. Ce genre de récompense, qui n’est pas une première, nous amène des sollicitations du monde entier. Nous venons de recevoir une demande pour tenir un pop-up de Carcasse au Cap l’an prochain pendant six mois. Il s’agit d’un hôtel du groupe One&Only avec lequel nous avons travaillé pendant trois semai­nes au Saint-Géran sur l’île Maurice en début d’année.

C’est à Timon Michiels qu’il revient de faire cela. C’est notre réputation. Carcasse est devenu l’ambassadeur de Dierendonck et vice-versa. Par ailleurs, je souhaite que Timon ait le temps de créer et de m’aider à trouver de nouveaux produits. Cela suppose de laisser les cuisines au quotidien à d’autres et d’être soulagé de certains tâches administratives. Tout le groupe Dierendonck, dont notre DRH, l’épaule pour recruter du bon personnel et, le cas échéant, pour le former. Nous n’avons pas pour objectif d’ouvrir 10 Carcasse mais Bruxelles pourrait avoir du sens.

“Il ne se forme quasiment plus de bouchers en Belgique mais moi, je parviens à les attirer sur mon nom et sur les valeurs que je porte.”

Puisque vous évoquez Bruxelles, parlons-en. Il se chuchote que vous serez de l’aventure de la rénovation de la Galerie Bortier à côté de la gare Centrale…

Oui, je vais y ouvrir un bar à charcuteries dans le concept développé par les gens du Fox, Thierry Goor et Pascal Van Hamme. C’est un endroit magnifique et j’entends y proposer des choses simples mais accessibles et de qualité.

J’aime Bruxelles mais, si la boucherie d’Uccle marche du tonnerre, celle du centre-ville a du mal. Avec le fameux plan Good Move, c’est devenu très compliqué de nous rejoin­dre. Les touristes ne vont pas rentrer chez eux avec une côte à l’os, donc j’ai besoin des habitants. Puisqu’ils viennent moins dans l’hypercentre vu la circulation très compliquée, j’ai pensé à fermer mais finalement, je vais adapter le concept. Mes amis du Noordzee voisins font plus de chiffre avec leurs apéros qu’avec la poissonnerie. Je vais donc proposer des planches de charcuterie et du vin sur une petite terrasse de 16 places. On pourra aussi en manger à l’intérieur.

Vous allez aussi débarquer à Brussels Airport ?

C’est un dossier compliqué. Il y a une demande claire de la direction de l’aéroport mais il faut parvenir à trouver un accord avec Autogrill, le concessionnaire. L’idée à la base, c’était une espèce de bar avec des produits belges dont nos charcuteries dans le hall des départs avant de passer la sécurité. Mais ce projet, c’est la procession d’Echternach ! (rires) Quand vous prenez l’avion en Espagne, vous allez boire un verre de vin en dégustant une planche de Pata Negra. C’est simple mais imparable. C’est ce qu’il faut ici aussi.

J’aimerais aussi m’occuper du Black Pearl derrière la fusée Tintin dans le terminal A. Le concept actuel n’a rien de belge et ne marche pas. Moi, j’y ferais bien un comptoir Carcasse et Arnaud Feist, le patron de Brussels Airport, n’est pas contre. Mais l’investissement est conséquent. Autogrill rechigne et je les comprends car rien ne dit que leur concession sera renouvelée dans deux ou trois ans. Je n’ai pas une boule de cristal. Mais le gérer nous-même, cela va être compliqué. Pas question d’y faire des côtes à l’os car les gens n’ont pas le temps mais on peut imaginer des américains ou des entrecôtes minute avec le label de qualité Dierendonck.

Vous avez aujourd’hui cinq boucheries, Courtrai complétant les duos de la côte et de Bruxelles. Et la Wallonie alors ?

On arrive ! Le projet a pris un peu de retard à cause des permis mais nous allons ouvrir une sixième boucherie à Waterloo avant la fin de l’année, tout à côté de la drève Richelle. Depuis le début, chaque gérant a toute liberté pour organiser son point de vente comme il l’entend. Ce qui fait qu’aucune boucherie ne se ressemble.

“Nous allons ouvrir une sixième boucherie à Waterloo avant la fin de l’année.”

Vous évoquiez tout à l’heure les valeurs que vous portez et qui attirent les jeunes. Quelles sont-elles ?

© PG / ALICE BOWN AGENCY

Tout d’abord l’artisanat. Le pâté grand-mère, c’est la recette de mon papa avec des œufs frais. L’Afsca a voulu me faire utiliser des briquettes d’œufs pasteurisés mais j’ai tenu bon et j’ai décroché une licence d’exception. L’artisanat, c’est travailler à la main. Après avoir ouvert ma petite usine à Furnes, la Dierendonck Butchery, mon banquier m’a dit que mon chiffre d’affaires n’était pas bon car mon rendement était, en comparaison avec une usine de charcuteries et de pâtés, trop faible. Mais je fais tout à la main, moi ! L’artisanat, c’est être fier de désosser une bête.

J’ai appris avec mon père. Un jour où j’avais eu le malheur d’aller faire du skateboard tout l’après-midi, des os m’attendaient sur la table en rentrant. Il m’a tout fait nettoyer pour qu’il ne reste plus rien. J’étais très fâché mais j’ai appris une grande leçon que je transmets à mon tour aujourd’hui : il faut avoir du respect pour l’animal et pour le travail du fermier et ne rien gaspiller. Chaque petit morceau sur l’os a de la valeur. Ensuite, le respect du terroir. Le terroir, c’est l’origine de la viande.

A côté de la passion que nous avons déjà évoquée, il y a aussi la remise en question permanente qui pousse à l’innovation.

Quelles autres leçons avez-vous retenues de votre père ?

Il m’a appris à avoir de l’ambition. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Quand j’étais petit, il y avait cinq boucheries dans la rue et sept à La Panne. Alors quand l’épouse du docteur de La Panne faisait cinq kilomètres pour acheter de la viande à mon papa, il ressentait cela comme une véritable victoire. Il a toujours voulu trouver les produits dont ne disposaient pas ses confrères et les meilleures viandes produites de la façon la plus saine possible. Aujourd’hui, 130 personnes travaillent chez Dierendonck.

Grandir, ce n’est pas compliqué mais grandir sans transiger sur ses valeurs, c’est plus dur. On a eu des années difficiles car je n’ai jamais voulu galvauder la qualité de mes produits. Avant, quand mon papa abattait une bête, il réservait des morceaux spécifiques pour certains clients. Aujourd’hui, si tu n’as pas d’onglet, les gens vont voir ailleurs, surtout les plus âgés. Mais je sens un véritable intérêt pour le produit chez les jeunes qui se laissent plus volontiers guider­ vers une autre option.

La base d’une boucherie, c’est sa clientèle locale : la dame qui, tous les jours, vient prendre un peu de charcuterie et de la saucisse. Ce n’est pas le monsieur qui, une fois par mois, vient acheter 5 kg de viande maturée. Vous savez, un boucher est jugé sur trois choses : son américain préparé, son haché et sa saucisse, pas sur ses côtes à l’os.

A Bruxelles, certains clients font des kilomètres pour aller à la boucherie d’Uccle. Il y a certainement l’espace pour une troisième boucherie bruxelloise. Mais si je fais cela, ma femme me tue ! (rires)

“L’arrivée à Knokke suscite un engouement sans précédent. Cela me fait un peu peur mais c’est positif.”

Avant vous, il n’y avait pas de viande maturée sur le marché belge…

Non, de fait. Quand j’étais petit, l’hiver, papa baissait la voilure car personne ne venait à la côte. Il tuait une bête par mois. A la fin du mois, les clients venaient spécifiquement demander de l’oedslach. C’est du patois qui veut dire “vieux abattu”. Donc de la viande abattue il y a un bout de temps que mon papa conservait précieusement dans son frigo. Comme elle avait maturé, elle était plus tendre.

Plus tard, le secteur est arrivé avec la volonté de faire plus de volume et cela a abouti au Blanc Bleu Belge (BBB). Mais on ne peut pas la maturer. J’ai commencé à maturer en 2004 quand j’ai repris la boucherie et on refait désormais l’oedslach, une marque que nous avons déposée. C’est une viande maturée pendant six semaines issue de vaches laitières du Benelux de six ou sept ans et qui ont eu trois veaux. La vache vêle, fait du lait et maigrit avant de refaire du gras et ainsi de suite. Du coup, il y a de la mâche dans notre oedslach et cela ne plaît pas forcément à tout le monde.

Vous avez ressuscité la race Rouge des Flandres comme alternative au Blanc Bleu Belge ?

Il en restait moins de 500. On doit être à 3.800 bêtes aujourd’hui. C’est tout juste pour nos besoins. C’est une race qui était utilisée tant pour son lait que pour sa viande. Pourquoi est-ce si cher ? Le calcul est simple. Au départ d’un BBB de 1.000 kilos, deux ouvriers vont travailler pendant quatre heures pour avoir 800 kg de viande.

Chez moi, une Rouge des Flandres ne fait que 750 kg. Deux personnes vont y travailler de 6 à 8 h puisqu’il y a plus de gras. On va en retirer 65 % de viande en moyenne. Moins de rendement et plus de travail, mais le goût est bien meilleur. Dans l’industrie, quand on découpe une bête, les morceaux doivent être mis sous vide le plus vite possible. Plus elle perd de l’humidité, moins d’argent, elle rapporte.

Le monde change avec une plus grande sensibilité à la question de la durabilité. L’élevage bovin est souvent cité en mauvais exemple.

© PG / ALICE BOWN AGENCY

Il faut manger moins de viande mais de meilleure qualité. Cela fait longtemps que je le dis et cela ne m’a pas valu que des amis. Surtout quand j’ai affirmé que les jours sans viande étaient une bonne chose dans ce contexte-là. Après la Seconde Guerre mondiale, les gens ne voulaient plus avoir faim et cela a fini, selon moi, par déboucher sur des horreurs. Il faut sortir de la logique industrielle. Mais hélas ! du coup la viande devient un produit de niche.

Vous utilisez de la Rouge des Flandres que vous élevez d’ailleurs aussi dans votre petite exploitation de 30 têtes.
Vous avez aussi, avec l’UGent et l’éleveur Ruben Brabant, ressuscité le porc ménapien appelé aussi porc primal flamand. Vous ne vendez que lui dans vos boutiques. Comment assurer encore l’expansion ?

Petite anecdote sur le porc ménapien : avec le plan azote flamand, on va finir par devoir aller l’élever dans les pâtures du nord de la France si cela continue ! Pour soutenir notre expansion, il faut investir dans le terroir. En l’occurrence le wallon absent de notre assortiment jusqu’ici. J’ai racheté la Maison Lerouge, un grossiste de Courtrai. Elle travaille, entre autres, avec des éleveurs ardennais. Ils sont souvent en bio et travaillent selon un cahier des charges strict dont l’obligation d’une naissance naturelle du veau. Ils font surtout de la race limousine.

On va mettre leur remarquable travail en évidence. L’idée est d’arriver à avoir une offre 100 % belge. Il reste l’agneau qui, aujourd’hui, vient de Sluis à la frontière néerlandaise. Je n’ai pas encore trouvé mieux en Belgique même si le roux ardennais produit par la famille Joly à Naxhelet va dans le bon sens.

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