Les ambitions mondiales de Proximus

LA BELGIQUE demeure majeure dans les activités 
de Proximus. © belga
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Fort de trois grandes entités basées à l’interna­tional, BICS, Telesign et Route Mobile, le groupe Proximus, étriqué dans 
un marché belge mature, avance ses pions 
et voit désormais l’essentiel de sa croissance dans la “communication digitale” à l’international…

Notre opérateur historique a de moins en moins l’accent belge. Et à en croire son CEO, Guillaume Boutin, c’est même de l’international que viendra l’essentiel de la croissance de Proximus dans les années à venir. La semaine passée, la firme cotée à la Bourse de Bruxelles a, en effet, réaffirmé ses ambitions internationales suite à la finalisation de l’acquisition de la firme indienne Route Mobile, le 8 mai dernier. Une date que la firme belge tient pour symbole du démarrage d’une nouvelle ère. En effet, ­Proximus ne veut plus seulement se voir comme un opérateur qui compte sur son marché local mais prétend devenir un leader mondial de la communication digitale.

La reprise de Route Mobile marquerait un tournant pour y arriver. La firme indienne a été reprise à 83% par l’opérateur belge, pour 630 millions d’euros et devient le troisième pilier d’une présence “globale” aux côtés de ses précédentes acquisitions BICS et Telesign, permettant à l’opérateur de proposer un large panel de services dans la “communication digitale”.

Une troisième jambe 
à l’international

Route Mobile est, de fait, un acteur majeur dans ce que le marché appelle le “CPaaS”, c’est à dire, en anglais, une communications platform as a service. Comprenez qu’elle offre à ses entreprises clientes des services pour atteindre, du mieux possible, leurs clients au travers des canaux numériques : par exemple des services de notifications automatisées par WhatsApp ou par SMS (mise à jour des commandes, livraisons, etc.), des rappels de rendez-vous, des solutions Messenger ou ­Telegram pour entreprises, des systèmes de vérification d’identité, etc. Route Mobile est un acteur qui compte: la firme dispose d’antennes dans une vingtaine de pays à travers le monde, affirme compter plus de 3.000 clients (des entreprises, des opérateurs de télécommunications) et génère aujourd’hui un chiffre d’affaires de 447 millions d’euros (238 millions il y a deux ans). Sans oublier une marge de l’ordre de 13%. Avec de belles perspectives. Selon Guillaume Boutin, “au cours des trois prochaines années, la croissance annuelle du marché CPaaS est estimée entre 10 et 15 % et celle du marché de l’identité digitale à environ 15 %.” De plus, Route Mobile vient s’ajouter aux solutions de deux de ses précédentes acquisitions: BICS et Telesign.

Telesign. Les intégrations n’ont jamais rien d’un long fleuve ­tranquille et il faudra parvenir à faire travailler 
ensemble des entités très différentes.

BICS, dont Proximus est devenue propriétaire à 100% en 2021, est active dans le domaine de la connectivité. En (très) résumé, la firme joue les intermédiaires entre les opérateurs de téléphonie et les relie entre eux un peu partout dans le monde. Cette division, qui emploie plus de 500 personnes, offre, par exemple, à ses clients des solutions de roaming (plus de 50% du roaming mondial passerait, selon Proximus, par elle), des services de communication dans le cloud, de mobilité et de l’internet of things, de prévention de la fraude, etc. Son chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros.

De son côté, Telesign, société américaine qui a été acquise en 2017 pour un montant de 230 millions d’euros, fournit des solutions de sécurité, d’authentification d’identité et de détection des fraudes. Elle est l’un des spécialistes de l’authentification à double facteur qui permet de se connecter de manière sécurisée sur Internet. Aussi, Telesign établit notamment des profils d’utilisateurs de téléphone et établit un “score de réputation” qui peut servir pour de nombreux acteurs de la tech et des télécoms. En 2021, la firme déclarait compter dans son portefeuille de clients pas moins de 8 des 10 plus grandes entreprises de la tech au niveau mondial. On parle de partenaires comme Microsoft, Salesforce ou encore TikTok… Telesign génère un chiffre d’affaires de 497 millions d’euros.

Déjà 30% de Proximus

Au total, ces trois acquisitions forment la division internationale de l’opérateur et représentaient (en 2023) environ 1,9 milliard d’euros de revenus (soit tout de même 30% des activités de Proximus) et environ 180 millions d’euros d’Ebitda. “Désormais, insiste Guillaume Boutin, le groupe Proximus englobe l’ensemble de la chaîne de valeur des communications digitales, des services P2P voice & messaging et mobility au CPaaS et à la Digital Identity.” Les trois entités devraient être en mesure de réaliser des synergies et d’offrir au groupe une croissance de la rentabilité. D’ici 2026, le groupe Proximus s’attend à ce que “le segment international génère entre 2 et 2,5 milliards d’euros de revenus annuels pour les trois marques BICS, Telesign et Route Mobile, communique le CEO, avec une marge directe qui devrait se situer entre 600 et 650 millions d’euros. Selon les prévisions, la marge Ebitda passera d’environ 9 % en 2023 à environ 14 % en 2026”. Cela devrait être permis grâce à plus de 100 millions d’euros de synergies annuelles. Le groupe évoque 2,5 milliards d’euros de revenus d’ici deux ans, soit plus de 30% des revenus du groupe. Son CEO estimait, voici quelques mois, que cette proportion pourrait grimper à 50% d’ici quelques années.

“Désormais, le groupe Proximus englobe l’ensemble de la chaîne de valeur des communications ­digitales.” – Guillaume Boutin (CEO)

Un optimisme affiché qui, sur papier, ne peut que rassurer et séduire les observateurs (et investisseurs) mais qu’il faudra concrétiser malgré pas mal d’obstacles en vue. Des intégrations n’ont bien sûr jamais rien d’un long fleuve tranquille et il faudra parvenir à faire travailler ensemble des entités très différentes, dans des régions du monde diverses (et donc avec des cultures différentes), et dans un univers particulièrement concurrentiel sur ses différents secteurs d’activité, même si Proximus revendique une position dans le top 3 ou le top 5 mondial selon les types d’activités.

Tensions entre entités

Mais faire travailler toutes les entités ensemble ne sera pas forcément une sinécure alors qu’elles ont déjà connu quelques tempêtes. En février, quelques sérieux conflits ont en effet touché les filiales internationales de Proximus. Le départ inopiné (et non officiellement justifié par l’opérateur) du CEO de BICS, Matteo Gatta, démis de ses fonctions, a mis au jour de grosses dissensions entre BICS… et Telesign ! Le conflit entre les deux entités internationales de Proximus concernait des facturations réciproques, jugées par le CEO et le CFO de BICS comme “artificielles”. Un audit interne a, certes, conclu que les allégations étaient infondées, l’affaire a fait des dégâts: outre le départ du CEO de BICS, plusieurs hauts cadres de Telesign ont également “pris la porte” quelques jours plus tard. Soit trois des 10 membres du comité de direction de Telesign.

A cela s’ajoute la plainte lancée, l’an passé, auprès du gendarme de la protection des données (APD) belge, par l’activiste autrichien de la protection des données Max Schrems (via son ONG NOYB) à l’égard de Telesign. Celui qui s’était fait connaître en s’opposant à l’usage fait par Facebook de ses données estime que des transferts illégaux de données privées ont eu lieu entre BICS et Telesign, sans en informer les utilisateurs. Ce qui contreviendrait au RGPD. ­
” Telesign génère un ‘score de réputation’ et vend ses services à divers clients tels que TikTok, Microsoft ou Salesforce. Telesign a reçu secrètement les données relatives aux téléphones portables de BICS”, accuse l’activiste. Une amende pouvant, en théorie et si elle est jugée recevable et justifiée, atteindre 4% du chiffre d’affaires de l’opérateur, soit plus de 230 millions d’euros. Confiant, le groupe a toutefois signalé dans son rapport annuel qu’il n’avait pas enregistré de provision pour ce cas, estimant que Telesign comme BICS avaient mis en place un programme de protection des données qui respecte les législations, y compris le RGPD. L’APD n’a pas apporté de précision sur l’état d’avancement du dossier.

Par ailleurs, une autre donnée aurait de quoi freiner un peu l’enthousiasme des observateurs : les résultats de BICS et Telesign ces derniers temps. Sur l’année 2023, le chiffre d’affaires de BICS a, en effet, enregistré un recul de 7,2% (17,7% sur le quatrième trimestre). Et si celui de Telesign gagnait 5% sur l’année 2023, il dégringolait lui aussi de presque 16% au dernier trimestre. Une baisse que le groupe justifiait notamment par un effet de change défavorable du dollar et que le boss de Proximus tempérait par l’absence d’impact négatif sur les marges.

“Le marché n’est pas simple, nous glisse un spécialiste du secteur, mais la direction que prend ­Proximus est particulièrement intéressante car elle se place dans une approche de long terme. L’opérateur veut se positionner pour l’avenir alors que le numérique prend toujours plus le pas dans la communication, et que les besoins des entreprises, y compris des télécoms, deviennent de plus en plus précis. C’est un pari ambitieux qui, s’il réussi, sera très positif pour Proximus.”

POUR ­GUILLAUME ­BOUTIN, c’est de ­l’international que viendra l’essentiel 
de la croissance 
de Proximus dans 
les années à venir. © Olivier Pirard

Un marché local bouché

Très positif car, pour l’instant, le marché n’a rien d’évident pour la firme de Guillaume Boutin. Si le boss de Proximus insiste tant sur l’international, c’est aussi pour montrer aux investisseurs que Proximus peut trouver des relais de croissance en dehors du marché belge plutôt compliqué en termes de croissance. La Belgique est, en effet, un marché qu’on peut qualifier de “mature” : l’essentiel de la population belge est équipée d’un smartphone et de l’internet à la maison. Ce n’est pas sur notre marché, qui verra du reste débarquer Digi, un nouveau concurrent à Proximus, que l’opérateur historique peut aller chercher de fortes croissances, celles qu’attendent clairement les investisseurs. Chez nous, il ne pourrait s’agir que d’une “croissance molle” pour reprendre les mots du CEO de Proximus, même si, ne l’oublions pas, la Belgique demeure majeure dans les activités de Proximus!

Et puis, l’opérateur doit faire face à des investissements colossaux pour l’installation de la fibre en Belgique: pas moins de 10 milliards d’euros vont devoir être déboursés pour permettre à la Belgique de rattraper son retard dans cette technologie importante pour l’avenir, toujours plus ­digital.

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