Le “native advertising”, nouvelle arme publicitaire

Déjà bien ancré dans les moeurs médiatiques américaines, le concept du “native advertising” gagne tout doucement le Vieux Continent. En clair : un nouveau concept publicitaire qui intègre discrètement des articles sponsorisés par des marques au coeur même des sites d’informations.

C’est un peu le Canada Dry du contenu éditorial sur le Web. Délicieusement perfide, le native advertising ressemble à un article classique, se lit comme un article classique, mais ce n’est pas un article classique. C’est en fait une publicité ou plutôt un article sponsorisé censé mettre en valeur la marque qui y est discrètement rattachée. Et l’effet est d’autant plus troublant qu’il se fond de manière naturelle (d’où le nom native en anglais) dans la page d’accueil d’un site d’informations et dans le flux de lecture proposé à l’internaute.

Apparu aux Etats-Unis il y a deux ans déjà, le native advertising gagne peu à peu l’Europe et cette nouvelle tendance publicitaire pourrait bien surgir prochainement au coeur de l’un ou l’autre site web de grands médias belges. La raison ? Le public qui surfe sur le Net boude de plus en plus les bannières commerciales qui se trouvent généralement sur le côté et en haut des sites d’informations (entre 2000 et 2012, le taux de clic moyen sur les bannières a chuté de 9 % à 0,2 %). Pourquoi dès lors ne pas proposer aux annonceurs un autre format publicitaire plus discret, moins intrusif et surtout beaucoup plus enrichissant sur le plan du contenu ? Car c’est l’autre grande tendance du moment dans les sphères publicitaires : désormais, une marque ne peut plus se contenter de vendre sa propre soupe ; elle doit offrir au consommateur un contenu qui lui parle, qui l’émeut ou qui l’enrichit, histoire de booster l'”expérience utilisateur” et donc l'”engagement” du public auprès de la marque (deux autres termes très en vogue dans le vocable actuel des marketers). Et avec le native advertising, on a un modèle plutôt innovant qui propose une certaine cohérence de contenu, de graphisme et de connivence.

Publireportage 2.0

La comparaison est tentante. Sciemment présenté comme un article banal, le native advertising est au support digital ce que le bon vieux publireportage est au support papier. A la “petite” différence près que l’article sponsorisé sur le Web n’est pas écrit à la gloire de la marque, mais traite plutôt d’un sujet plus ou moins en rapport avec le core business de l’annonceur. Sur le site d’infos américain BuzzFeed qui a fait du native advertising son unique source de revenus publicitaires, on distingue d’ailleurs clairement, dans la capture d’écran ci-dessus, que l’intitulé de l’article cliquable “10 British holiday traditions Americans just don’t get” est sponsorisé par British Airways (flèche brune) et qu’il ne vante nullement le savoir-faire de la compagnie aérienne britannique.

Véritable phénomène outre-Atlantique, BuzzFeed affiche 85 millions de visiteurs uniques par mois et vient d’inaugurer des versions brésilienne, espagnole et française pour ces marchés locaux. Originale, son approche de l’info se veut délibérément ludique avec un maximum d’articles rédigés sous forme de listes (les “listicles” en anglais, un concept idéal pour être partagé sur les réseaux sociaux), mais aussi des sujets très sérieux liés à l’actualité internationale. Dans le flux de nouvelles en tout genre, la mécanique est bien huilée : au milieu des articles classiques surgissent ici et là des contenus sponsorisés qui affichent le même layout mais qui sont toutefois distinguables par un fond de couleur différent, histoire de ne pas flouer complètement l’internaute. Leur intérêt n’est pas pour autant mineur, puisque ces exemples de native advertising (majoritairement des “listicles”) s’intègrent parfaitement dans la ligne éditoriale du site et peuvent donc facilement susciter le clic, comme par exemple Les 15 moustaches les plus inspirantes du monde animal, sponsorisé par Gillette.

C’est d’ailleurs, aux yeux des annonceurs, tout l’intérêt de cette nouvelle tendance publicitaire : séduire l’internaute à travers un contenu qui l’amuse ou l’interpelle, plutôt que de l’inciter à explorer des bannières commerciales dont il se moque de plus en plus. Et la tentation est d’autant plus grande que la majorité des consommateurs ne perçoit même pas la dimension sponsorisée du message. Selon une enquête française menée récemment par l’Ifop pour la régie publicitaire Adyoulike, spécialisée précisément dans le native advertising, seuls 29 % des personnes interrogées (sur un échantillon de plus 1.000 sondés) identifieraient ce nouveau format comme du contenu publicitaire ! Un résultat hautement “performant” par rapport aux bannières classiques qui sont identifiées comme telles par 77 % des interrogés…

A la conquête de l’Europe

A priori efficace, le native advertising fait désormais partie intégrante du paysage publicitaire américain où même les titres “sérieux” semblent y souscrire. Ainsi, sur le site du vénérable Forbes, on trouve aujourd’hui une rubrique explicitement labellisée BrandVoice (la voix de la marque), dotée d’une typographie qui se fond à merveille dans le présentation générale du site. Le Washington Post et le New York Times ont aussi succombé à la tentation et l’on sent que le mouvement gagne peu à peu l’Europe. En France, le groupe Lagardère s’est récemment lancé dans l’aventure et propose désormais le native advertising dans son offre publicitaire autour de la version digitale du magazine Public. La régie Amaury Médias, qui gère les espaces publicitaires des sites du Parisien et de L’Equipe, s’apprête à lancer le même type de format, tandis que 20 Minutes et la version française du Huffington Post l’ont déjà intégré dans certaines rubriques de leur site. Sans parler du très sérieux journal Le Monde qui affiche également ce type de contenu sponsorisé dans son offre mobile…

Quid de la Belgique ? Chez nous, les initiatives sont encore très timides, mais on sent que la vague gagne doucement les agences et les annonceurs. Côté flamand, Humo.be a déjà intégré explicitement la notion de l’advertorial au sein de son site tandis que, côté francophone, Rossel teste actuellement Outbrain, une plateforme de recommandation de contenus, dixit Daniel Van Wylick, responsable de la stratégie éditoriale du groupe de presse qui édite Le Soir. Quant au tout nouveau site d’informations néerlandophone NewsMonkey qui devrait bientôt être lancé sur le modèle de l’américain BuzzFeed, il se chuchote qu’il va progressivement adapter son fil d’infos aux bonnes grâces du native advertising. Un positionnement logique pour Matthieu Vercruysse, digital strategic planning manager chez Isobar, la division digitale de l’agence Aegis Media : “Le clic sur les bannières traditionnelles est en train de chuter et les gens en ont assez de la publicité interruptive, souligne-t-il. Les annonceurs deviennent donc de plus en plus demandeurs de communication engageante, non intrusive, intégrée dans le contenu et qui apporte une vraie valeur ajoutée à l’utilisateur. C’est la raison pour laquelle les budgets des marques explosent sur le social media. Depuis 2011, on constate d’ailleurs une très forte progression des investissements publicitaires pour des contenus engageants, surtout sur les réseaux sociaux comme Facebook, et cette tendance-là ne va certainement pas ralentir en 2014.”

Un concept élargi

Notion beaucoup plus vaste pour les professionnels de la pub, le native advertising intègre en effet, à leurs yeux, les précurseurs de ces nouveaux articles sponsorisés sur les sites d’infos, à savoir les fameux liens commerciaux de Google qui apparaissent toujours en priorité, sur fond de couleur différent, dans les tout premiers résultats de recherche, mais aussi les posts et les tweets sponsorisés que l’on trouve aujourd’hui respectivement sur Facebook et Twitter. “Désormais, les marques doivent avoir une vraie réflexion sur la qualité des contenus, confirme Mathias Beke, social media manager au sein de la régie Havas Media Brussels. Sur Facebook, une marque de salade en sachet comme Florette va donc proposer des recettes qui vont apparaître dans le fil d’actualité des ‘amis des amis de la marque’ pour peu que l’on paie cette initiative (Ndlr, entre 2 et 2,50 euros pour que le “post” soit vu 1.000 fois). Ce qui m’intéresse surtout dans le native advertising par rapport aux annonceurs, c’est que l’utilisateur a une capacité d’intervention, que ce soit dans les posts ou les articles sponsorisés. C’est pour cette raison que je ne cesse de dire aux marques : ‘Vous devez devenir des magazines !’. C’est ce qu’on a réussi à faire avec la page ‘We Are Tennis’ sur Facebook, qui est ‘brandée’ BNP Paribas Fortis et qui a le plus de prestige aujourd’hui, en termes de contenu, dans le monde belge du tennis avec plus de 100.000 fans des deux côtés de la frontière linguistique.”

Etre aimé, commenté et surtout partagé positivement sur les réseaux sociaux, voilà ce qui fait aujourd’hui vibrer les marques dans le concept élargi du native advertising. Le côté non intrusif et surtout l’effet multiplicateur des messages sponsorisés par la grâce des partages permettent en effet aux annonceurs de gommer quelque peu le côté trop racoleur des pubs “à l’ancienne” et d’engager en sus un précieux dialogue avec les internautes.

On n’est jamais mieux servi…

Aujourd’hui, les publicitaires poussent donc les marques à fond dans cette direction, en montrant eux-mêmes l’exemple dans leur propre structure. Editeur de supports destinés aux professionnels de la pub, Media Marketing a intégré depuis peu le concept du native advertising dans sa newsletter hebdomadaire baptisée “Afterwork”. Au milieu des tendances qu’elle déniche chaque semaine, cette missive digitale comporte aussi des articles clairement sponsorisés par les marques. “Les taux de clic sur ces articles sponsorisés sont très bons, ce qui n’est pas étonnant puisque l’idée est d’aller plus loin avec la marque, sans qu’elle se regarde le nombril”, confie Serge De Schrijver, administrateur délégué de Media Marketing qui s’apprête à lancer, en parallèle de son activité, la société Charlie Mike dont l’un des piliers sera précisément “des projets de native advertising pour les annonceurs, en partenariat avec les agences et les médias”.

Comme quoi, la machine est bel et bien lancée chez nous… Avec un petit bémol, cependant : si ce type de format publicitaire peut sembler providentiel aux yeux de certains sites de presse qui cherchent de nouveaux modèles économiques dans la morosité ambiante, les détracteurs des “publireportages 2.0” tirent déjà, quant à eux, la sonnette d’alarme. Selon ces septiques, un trop grand mélange des genres pourrait augmenter progressivement la méfiance de l’internaute et donc affaiblir, à terme, la marque média concernée. Aujourd’hui, le sujet est d’ailleurs devenu tellement touchy que la Commission fédérale du commerce des Etats-Unis vient de convier les éditeurs, les annonceurs et les juristes autour de la table pour évaluer si, oui ou non, les consommateurs ne sont pas floués dans la grande aventure du native advertising…

Frédéric Brébant

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