Sophie Wilmès: “J’assume le bilan du gouvernement, et je le revendique”
Report de l’équilibre budgétaire et conclusion chaotique d’un nouveau programme de stabilité: les temps ont déjà été plus tranquilles pour la ministre du Budget, Sophie Wilmès.
Pour lutter contre le succès des partis extrémistes, pour ne pas dire populistes, il faut de la patience et de la pédagogie, estime la ministre du Budget, Sophie Wilmès. Deux qualités qu’elle utilise pour défendre, avec précision, les options gouvernementales en matière budgétaire, mais aussi d’impôt des sociétés, de participations publiques ou de soutien à l’entrepreneuriat. Tout cela, entre deux réunions – plutôt houleuses – avec les Régions pour déterminer la stratégie budgétaire de la Belgique.
TRENDS-TENDANCES. Vous venez de conclure un accord avec les Régions sur la trajectoire budgétaire du pays. Cet accord fut plus compliqué que prévu à obtenir. Pourquoi, selon vous ?
SOPHIE WILMÈS. Il y avait un élément de fond et un élément de communication. Pour le premier, nous partageons totalement la demande des Régions concernant les investissements stratégiques. Nous plaiderons auprès de l’Union européenne pour qu’une solution soit trouvée afin de pouvoir financer de tels investissements sans dégrader la trajectoire budgétaire.
L’élément de communication, c’est quand j’entends, dès avant la première discussion, le gouvernement wallon dénoncer une volonté imaginée du fédéral d’imposer de l’austérité à la Wallonie. Nous le savons tous : le fédéral ne peut imposer aucune norme aux Régions, les Régions ne peuvent pas s’en imposer entre elles ou au Fédéral. Leur posture était donc un non-sens.
• Née à Ixelles en 1975.
• Diplômée en communication (Ihecs) et en gestion financière (Saint-Louis).
• Elle a travaillé à la Commission européenne et dans un cabinet d’avocats d’affaires, avant de devenir échevine des Finances de Rhode-Saint-Genèse en 2007.
• Députée fédérale en 2014, comme suppléante de Didier Reynders
• Ministre fédérale du Budget et de la Loterie nationale depuis septembre 2015.
Votre proposition ne demandait-elle pas toutefois aux Régions d’accentuer leurs efforts pour atteindre l’équilibre ?
En aucun cas. Nous demandions simplement aux entités fédérées de ne pas dégrader la trajectoire que nous avions retenue, à savoir la trajectoire la plus souple parmi les deux scénarios recommandés par le Conseil supérieur des finances. Je rappelle en outre que les Régions sont représentées au CSF. Je trouve donc la démarche de la Wallonie maladroite et déplacée. Elle jette un nouveau voile négatif sur l’Europe et ses règles budgétaires. Des règles qui ont été acceptées en 2011 par des gouvernements auxquels participaient aussi le PS et le cdH, et validées ensuite par tous les parlements du pays.
Le report de l’objectif de retour à l’équilibre budgétaire semblait inscrit dans les astres. Pourquoi avoir tant tardé à prendre la décision ?
Un budget doit toujours pouvoir être adapté à la réalité objective. Quand nous avons élaboré le budget 2016, nous ne pouvions pas envisager que l’année serait aussi particulière avec les attentats et la crise de l’asile. Au-delà des aspects humains, cela a eu un double impact budgétaire : direct avec la hausse de certaines dépenses et indirecte avec un ralentissement de l’économie.
Dans ces conditions, nous n’avons pu atteindre en 2016 notre objectif annuel de réduction du déficit structurel de 0,6 % de PIB. Mais grâce aux dispositions prises en 2017, nous atteignons bien l’objectif de 1,2 % sur deux ans, comme prévu dans la trajectoire budgétaire. La question du moment de l’équilibre a été remise sur la table récemment lors de la discussion sur le programme de stabilité. Le Conseil supérieur des finances nous a montré qu’il y avait moyen de lisser un peu l’objectif tout en répondant aux critères européens. Cela nous permet de poursuivre l’assainissement sans prendre le risque de décisions qui iraient à l’encontre de notre dynamique de réformes structurelles et de relance économique.
Dans une de vos premières interventions en tant que ministre du Budget, vous aviez déjà pointé, à l’automne 2015, que le tax shift laissait une ardoise de 3 milliards en 2019. Dès ce moment-là, vous saviez qu’on n’y arriverait pas, non ?
J’ai dit qu’il y avait un déficit de l’Entité 1 (Etat fédéral, sécurité sociale incluse, l’Entité 2 étant les Régions, les Communautés et les pouvoirs locaux, Ndlr), pas spécifiquement du tax shift. Le budget comprend beaucoup d’autres choses que le tax shift. Je le répète, par définition, un budget doit être adapté en cours de route car la croissance internationale change, des dynamiques évoluent…
Depuis 2011, c’est déjà la 4e fois que la Belgique reporte son objectif. Cela avait incité l’agence Fitch à réviser à la baisse la note de la Belgique en raison du manque de crédibilité budgétaire de notre pays. Où en est cette crédibilité aujourd’hui ?
Ce gouvernement a commencé avec un déficit structurel de 2,2 % du PIB. A la fin de cette année, nous devrions être à 0,9 %. A mi-législature, nous avons effectué plus de la moitié du chemin. Je ne pense pas que ce soit un échec ou un signe de perte de crédibilité. L’année 2016 fut compliquée, je vous l’ai dit, mais nous n’avons pas laissé tomber. Nous rattrapons en 2017 l’assainissement qui n’a pu être réalisé l’an dernier. Et tout en faisant cela, nous voyons le pouvoir d’achat et la compétitivité s’améliorer, l’emploi se créer. C’est reconnu internationalement, et chez nous par des instances indépendantes comme l’Institut des comptes nationaux ou le Bureau du plan. Je pense donc que nous avons pris une sage décision en reportant d’un an l’objectif d’équilibre.
C’est avant tout le fruit de la baisse des charges d’intérêt : entre 2012 et 2016, elles ont diminué de 1,9 milliard, soit un tiers de la réduction du déficit nominal constatée sur la même période par l’Institut des comptes nationaux…
Que le niveau de taux d’intérêt soit une opportunité pour les autorités publiques, pour toutes les autorités publiques, c’est un fait. Mais les efforts budgétaires ne se limitent pas à la différence entre les soldes des exercices successifs. Il faut comparer les évolutions à politique inchangée, c’est-à-dire avec des dépenses en hausse en raison d’effets de volume et sans les effets des mesures prises. Exemple chiffré : pour atteindre l’équilibre en 2018 en partant d’un déficit de 0,9 % (soit environ 4 milliards) en 2017, le Conseil supérieur des finances chiffrait l’effort à 5,2 milliards. En le lissant sur deux exercices, nous ferons un effort de 3,7 milliards en 2018 pour ramener le déficit structurel à 0,3 % du PIB.
Maintenant, pour revenir à votre question, c’est vrai que si les taux d’intérêt devaient remonter, cela compliquerait les choses. C’est pour cela que nous devons continuer à assainir et réduire l’endettement, notamment par une gestion active des participations de l’Etat, comme c’est prévu dans l’accord de gouvernement.
A l’issue d’un conclave, on se souvient des mots ‘efforts’ et ‘assainissement’, pas de toutes les mesures prises en parallèle pour améliorer le quotidien des citoyens.”
En tant que ministre du Budget, préférez-vous vendre Belfius et réduire la dette ou conserver les dividendes (150 millions) pour boucler votre budget ?
Actuellement, rien n’est sur la table du gouvernement. Le conseil d’administration de la banque s’est, lui, positionné en faveur d’une vente partielle, l’Etat conservant une majorité des parts. Je peux comprendre qu’une institution comme Belfius ait besoin de se déployer pour assurer sa pérennité.
J’entends deux demandes de la Commission européenne. D’une part, une amélioration de notre solde structurel, et là, les dividendes sont évidemment utiles ; d’autre part, une diminution de la dette, ce qui peut passer par une hausse de notre solde primaire mais aussi par la vente d’actifs de l’Etat. Le moment venu, nous devrons faire la balance entre ces deux éléments, sachant que le gouvernement a déjà exprimé sa volonté de garder un ancrage belge pour Belfius.
Un ancrage belge est-il forcément public ?
Cela ne l’exclut pas en tout cas. La question se pose moins maintenant que le conseil d’administration s’est prononcé en faveur d’un maintien d’une majorité publique dans l’actionnariat.
Pour BNP Paribas, la question de l’ancrage belge se pose moins puisque l’Etat ne détient que 10 % de la banque. Prônez-vous la vente de cette participation ?
La dynamique budgétaire qui sous-tend notre gestion des actifs est la même. Mais, c’est vrai nous ne sommes pas dans la même configuration politique. Le poids décisionnel de l’Etat n’est pas le même chez Belfius et chez BNP Paribas et donc, la manière d’envisager le devenir de nos participations n’est, par nature, pas la même pour ces deux banques.
L’Etat peut donc vendre plus facilement ses 10 % dans BNP Paribas…
Je sens bien ce que vous voulez me faire dire. Mais je m’en tiens à mes propos sur la balance entre les dividendes et la réduction de la dette, balance à apprécier dans deux configurations politiques différentes.
Pourriez-vous dégager une marge budgétaire pour faciliter l’adoption d’une réforme de l’impôt des sociétés ?
Je préfère évidemment que cette réforme soit la moins coûteuse possible. Mais je suis une femme pragmatique et je me pose aussi une autre question : qu’est-ce que cela coûterait de ne rien faire ? Je vois que les pays qui nous entourent ont pour stratégie de baisser leurs taux d’imposition des entreprises et je vois la Commission européenne remettre en cause une série de niches fiscales qui permettent de réduire l’imposition effective des bénéfices des entreprises dans notre pays. Avec un taux facial élevé, la Belgique risque de perdre en attractivité pour les investisseurs.
Ce raisonnement, tous les partis le suivent, y compris d’ailleurs dans l’opposition. Or, le projet de réforme de l’Isoc est bloqué depuis un an pour des raisons de compensations très politiciennes. Ce donnant-donnant politique ne vous irrite-t-il pas ?
Non, le projet n’est pas bloqué. Il y a, c’est vrai, une demande de voir se développer en même temps une stratégie de mobilisation de l’épargne en faveur de l’investissement et une fiscalité plus juste ou plus équitable. Cela s’ajoute au menu mais cela ne veut pas dire que la discussion sur la réforme de l’impôt des sociétés n’avance pas. Il s’agit d’une réforme très complexe. Tant à cause de son coût potentiel qu’à cause des effets. Si la réforme est neutre, cela signifie par définition qu’il y a des gagnants et des perdants. Si les plus gros pourvoyeurs d’emplois dans notre pays devaient figurer parmi les perdants, la réforme n’aurait aucun sens. Nous devons donc bien étudier les effets, prendre le temps de la réflexion avant d’atterrir. Mais, je vous rassure, nous atterrirons.
Etes-vous prête à instaurer une taxation des plus-values, comme le réclame le CD&V, pour faciliter cet atterrissage ?
Je suis toujours ouverte à une discussion en vue de rendre notre fiscalité plus équitable. Je mets toutefois en garde contre des propositions qui, facialement, peuvent paraître intéressantes mais qui, dans la pratique, s’avèrent contre-productives. Je songe bien entendu à la taxe sur la spéculation.
Autre point d’attention : ne freinons pas la volonté d’entreprendre. Celui qui investit, qui prend des risques, il doit à un moment donné pouvoir obtenir un retour sur ce risque. En se développant, l’entrepreneur crée de la valeur, crée de l’emploi, paie des taxes et des cotisations sociales. Nous devons garder cela à l’esprit.
Relever le précompte mobilier jusque 30 %, ce n’était pas vraiment dans cet esprit…
Beaucoup de dispositions favorables à l’entrepreneuriat ont été initiées par ce gouvernement. Je pense en particulier à l’exonération de cotisations patronales sur le premier emploi créé et aux réductions du deuxième au sixième emploi, ainsi qu’au tax shelter. Alors, c’est vrai que nous avons aussi augmenté le précompte sur les dividendes pour des raisons d’équilibre et de nécessité budgétaire. Aujourd’hui, quand on parle de fiscalité plus équitable, il ne faut pas oublier que nous avons pris cette mesure.
Impossible, en cette période, de faire une interview politique sans évoquer l’élection présidentielle française. ” Macron, libéral et progressiste, peut sortir du clivage gauche-droite dans lequel on essaye souvent de nous enfermer “, avez-vous posté sur Twitter. Etes-vous pour Emmanuel Macron ou tout simplement contre Marine Le Pen ?
Emmanuel Macron est effectivement quelqu’un dans lequel je peux me retrouver. L’essentiel de son programme économique est d’inspiration libérale. Je partage aussi sa conception de la société, ses positions sur l’avortement, sur la capacité des femmes à disposer de leur corps.
Cela étant, même ceux qui ne se retrouvent pas dans son programme, je les invite à voter contre les extrêmes. Il y a un vrai danger. En 2002, il était acquis que l’ensemble des démocrates se mobiliseraient contre l’extrême droite. Depuis, notre société est devenue plus clivante et, vraiment, il ne faut pas baisser la garde lors de cette élection. Emmanuel Macron doit mener une vraie campagne.
Je peux comprendre qu’une institution comme Belfius ait besoin de se déployer pour assurer sa pérennité.”
Les 40 % de votes extrémistes en France ne sont pas un phénomène isolé dans le monde occidental. Comment expliquez-vous cela ?
Dans les messages qui passent dans l’opinion, il y a de plus en plus de raccourcis, de simplismes et de propos clivants. Nous devons combattre cette dérive avec du temps et de la pédagogie, en continuant – comme le font ou essaient de le faire la plupart des démocrates – à proposer des projets construits, même si on ne les partage pas tous. Cela sera-t-il suffisant ? Je l’espère. Au moment du vote, il doit y avoir cette réflexion sur le projet de société et sur sa faisabilité.
Chez nous, il y a aussi une montée des extrêmes. Craignez-vous une Belgique ingouvernable en 2019 ?
Depuis longtemps, on nous dit que la Belgique est ou sera ingouvernable et je vois que nous avons toujours cette capacité à aller de l’avant. C’est vrai que les résultats électoraux pourraient complexifier encore l’équation politique. Mais de là à rendre la Belgique ingouvernable ! Ne jouons pas à nous faire peur…
Depuis un an et demi que vous êtes ministre, ressentez-vous cette forme de rejet de la politique, ou plus largement des élites (y compris médiatiques) dans votre vie quotidienne ? Que faire pour rapprocher la politique et les citoyens ?
J’étais échevine à Rhode-Saint-Genèse et j’ai toujours ce contact citoyen, ce contact de terrain, et c’est d’ailleurs très agréable. Au-delà, on doit constater le désamour du politique. Les affaires n’aident pas, elles jettent le discrédit sur l’ensemble de la classe politique.
Il n’y a pas que les affaires. En Belgique comme ailleurs en Europe, on a l’impression de vivre sous un plan d’assainissement – voire d’austérité – permanent et dont on ne voit pas le bout. N’est-ce pas démoralisant ?
Le bilan du gouvernement aujourd’hui, je l’assume et je le revendique. Je ne minimise pas la sensation ou le point de vue des citoyens. Mais en deux ans et demi, nous avons réussi la moitié de l’assainissement, tout en prenant des mesures majeures pour la compétitivité, le pouvoir d’achat et l’emploi. Parallèlement, de grandes campagnes de désinformation ont été menées qui sont de nature, effectivement, à inquiéter les gens et qui ne participent pas à une vision plus positive, plus juste en fait, de ce qui est accompli.
La remarque ne se limitait pas au travail de ce gouvernement mais à ce que nous connaissons depuis une dizaine d’années…
J’entends bien. A l’issue d’un conclave budgétaire, on se souvient des mots ” efforts ” et ” assainissement ” mais pas de toutes les mesures prises en parallèle pour améliorer le quotidien des citoyens. L’assainissement, ce n’est pas un fétiche du gouvernement fédéral, c’est inscrire les finances publiques dans une perspective tenable à long terme. Nous ne voulons pas reporter sur nos enfants une charge qu’ils ne pourraient assumer. Sans cela, notre niveau de protection sociale, nos pensions, ne seraient plus payables à terme.
La réforme des pensions, nous ne l’avons pas décidée pour gagner en popularité mais parce que c’était nécessaire. Les gouvernements précédents le savaient très bien mais ils n’ont pas bougé. A un moment donné, il faut pouvoir prendre ses responsabilités pour garantir l’avenir.
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