Pour l’économie, le thermostat doit être bloqué à 13 degrés

Image d'illustration. © Bonne Pioche

L’enjeu de la COP21 dépasse de loin le domaine écologique. Les experts, qu’ils appartiennent à des institutions financières ou à des universités, montrent que la poursuite du ” business as usual ” produirait des pertes colossales pour l’économie mondiale.

“Il fait chaud. Pas envie de travailler. Je reste couchée…”, susurrait la charmante Pauline Ester. Ce qui n’était qu’une chanson de variété voici 10 ans est devenu aujourd’hui un objet d’étude et un enjeu politique majeur. Est-ce que la croissance varie en fonction de la météo ? Comment le réchauffement climatique influence l’activité humaine ? Et quels sont les coûts d’une hausse de la température terrestre ? Ces questions sont au coeur du travail des climatologues et des économistes.

Une étude publiée par trois chercheurs des universités américaines de Stanford et Berkeley (Marshall Burke, Solomon Hsiang et Edward Miguel) voici quelques semaines dans la revue Nature a fait un grand bruit. Le trio a analysé les chiffres de croissance de 166 pays entre 1960 et 2010. Le constat est simple : la température idéale pour l’activité économique est de 13 degrés. Au-delà, la dynamique économique chute de manière importante. Or, nous sommes déjà au-delà de la ligne. L’an dernier, la température moyenne du globe a dépassé les 14,5 degrés. Les projections du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat rassemblé par l’ONU, montre que si nous ne faisons rien, la température du globe pourrait augmenter, selon les hypothèses, de 1,1 à 6,4 degrés au cours de ce siècle.

L’économie n’aime pas la canicule

Que l’activité productrice soit liée à la température, nous pouvons le comprendre : dans l’agriculture, les semences produisent plus ou moins en fonction de la clémence de la météo. Mais les hommes sont aussi plus ou moins performants. Des études réalisées dans une trentaine de pays industrialisés montrent que la productivité humaine décline de 20 à 30 % lorsque le thermomètre passe de 20 à 29 degrés.

Mais ce n’est pas tout : “La demande énergétique est très importante les jours de forte chaleur parce que tout le monde met en marche l’air conditionné en même temps et cela coute beaucoup d’argent”, soulignent Marshall Burke, Solomon Hsiang et Edward Miguel. A Singapour, par exemple, 40 % de l’énergie utilisée par les immeubles sont absorbés par l’air conditionné. Sous fortes chaleurs, on observe aussi que les infrastructures fonctionnent moins bien, que les gens font davantage d’erreurs cognitives, que les accidents de circulation augmentent. De même que les problèmes de santé (hausse des crises cardiaques dans les pays riches, des cas de malaria ou dengue dans les pays pauvres). Et la probabilité de voire éclater des conflits entre personnes grimpe, elle aussi.

Bref, l’économie réagit au changement de thermostat. Marshall Burke, Solomon Hsiang et Edward Miguel vont plus loin : ils ont estimé que si nous ne faisons rien pour enrayer le réchauffement, la perte de revenu par habitant serait en moyenne de 23 % d’ici à 2100. Ce manque à gagner serait très diversement réparti : une minorité de pays “froids” gagneraient encore un peu de croissance grâce au réchauffement. La Belgique en ferait partie et qui verrait son PIB par tête s’accroître, toute chose restant égale, d’une bonne vingtaine de pour cent. Mais pour 77 % des pays du globe, l’impact serait négatif. Or, comme les pays riches se situent dans les zones tempérées de l’hémisphère Nord, le réchauffement de la planète accentuerait encore les inégalités. Si nous ne réduisons pas les gaz à effets de serre et si la température mondiale continue de grimper, les 20 % de pays les plus riches bénéficieraient en moyenne d’un léger gain de productivité par rapport à un scénario où la température mondiale ne bouge pas. En revanche, les 40 % de pays les plus pauvres verraient leur production baisser de 75 % d’ici à 2100.

Un enjeu à 44.000 milliards

Les experts de Citigroup ont tenté de mettre des montants en dollars sur tout cela. Ils ont comparé les coûts des deux scénarios : le premier qui est de continuer comme avant et laisser filer la température mondiale. L’autre est de mettre en oeuvre des politiques énergétiques afin de réduire la hausse de la température mondiale à moins de 2 % au cours des 30 ou 40 prochaines années. Si nous ne changeons pas notre mix énergétique, le coût (en consommation d’énergie) sera de 192.000 milliards de dollars d’ici 2060. Si nous mettons en oeuvre un plan de réduction de l’énergie fossile, l’investissement et les coûts de consommation énergétique s’élèveront à un peu plus de 190.000 milliards. La différence n’est donc pas énorme.

En revanche, entre les deux hypothèses, l’écart de productivité de l’économie mondiale est très important. “Les chiffres sont assez impressionnants, commente Jason Channell, qui est responsable des énergies alternative chez Citigroup. Selon notre scénario de base (qui fait état d’une hausse des températures de 2,5 degrés si nous ne faisons rien pour le climat), la perte de croissance de PIB, se monterait à 44.000 milliards de dollars en 2060.” Si la température devait augmenter davantage (une hausse de 4,5 degrés), le manque à gagner bondirait à 72.000 milliards. “Il ne s’agit donc pas d’un jeu à somme nulle, poursuit Jason Channell. Il y a un coût si nous ne faisons rien.”

Outre l’importance du manque à gagner, un autre élément pèse dans la balance. Comme le souligne Nicolas Hulot, nommé envoyé spécial pour la protection de la planète par la présidence française “ce qui est en jeu, c’est l’irréversibilité du phénomène”. Si ces prochaines années nous n’arrivons pas à arrêter la hausse de la température, le risque est grand de ne pas pouvoir revenir en arrière.

Le casino climatique

“La fenêtre que nous avons pour l’empêcher est très courte, souligne Nicolas Hulot. Si l’on passe cette barrière des deux degrés Celsius de hausse par rapport à l’ère pré-industrielle, nous serons assis à la table des conséquences et nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer. Chaque année, nous allouons 650 milliards de dollars de subsides aux énergies fossiles, ajoute-t-il. Selon le FMI, le coût d’utilisation de ces énergies fossiles dépasse annuellement les 6.000 milliards de dollars. On peut trouver l’argent. Encore faut-il l’affecter…”

Professeur d’économie à Yale, William Nordhaus résume ce risque d’inaction en parlant de “casino climatique”. Et il souligne que le seul moyen d’agir est de plafonner les émissions de carbone et d’instaurer un marché de certificats. L’Europe le fait, en tâtonnant, depuis 2005. Les choses bougent aussi ailleurs, note Robert McNatt, du service de recherche de l’agence de notation Standard & Poor’s. Aux Etats-Unis, l’administration Obama a mis en place l’an dernier un clean power plan. Les centrales électriques sont les principales émettrices de gaz à effet de serre (31 % des émissions américaines). Le plan Obama a pour objectif de réduire les émissions de CO2 des centrales de 32 % (par rapport à leur niveau de 2005) d’ici à 2030.

La Chine, dont une majorité de centrales tourne au charbon, a fixé un objectif : pour 2030, 20 % de ses centrales devraient être à “émission zéro”, en recourant à l’hydro-électricité, au nucléaire, aux éoliennes, au solaire, etc.

“En 1832, rappelle Robert McNatt, un économiste d’Oxford, William Foster Lloyd énonçait pour la première fois la théorie de la tragédie des biens communs.” Lorsqu’une ressource est commune et gratuite, on a tendance à la surexploiter. “La civilisation en est là avec l’atmosphère, poursuit Robert McNatt. Il est clair aujourd’hui que sans une coopération et un investissement significatifs de la part de l’humanité, ce bien commencera à se déprécier en l’espace de quelques décennies. Et il apparaîtra alors que supporter les dégâts sera bien plus cher que de chercher à les prévenir.”

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