Les 10 travaux de Di Rupo: le cas Dexia (1/10)
Il n’y a toujours pas de responsables pour la débâcle Dexia. Chacun peut-il continuer comme si de rien n’était ?
S’il y a un dossier dans lequel le gouvernement se montre trop laxiste, c’est bien la saga Dexia. Les problèmes sont repoussés un maximum dans l’espoir que tout s’arrange. La confrontation avec la réalité peut s’avérer, et le sera très probablement, longue et douloureuse.
L’expression “l’épée de Damoclès” a été utilisée à de nombreuses reprises pour décrire l’héritage du groupe Dexia. L’image correspond en tous points : la facture potentielle du déclin de cette institution financière risque de peser encore longtemps sur les finances publiques belges. Et bien entendu sur l’esprit de “monsieur tout le monde”, car chaque fois que Dexia figure à la une de l’actualité, c’est parce que le groupe subit (encore) plus de pertes, ce qui ne favorise pas vraiment la conjoncture économique.
Malgré le démantèlement continu du bilan et la vente accélérée d’activités durant les années précédentes, Dexia présente toujours un risque énorme. Avec un bilan total de 250 milliards d’euros et un portefeuille d’investissement de 190 milliards d’euros, Dexia est toujours aussi grande que la KBC, qui est presque remise, et beaucoup plus grande que les banques moyennes connues du pays. Le portefeuille contient encore de grandes quantités de créances de pays telles que l’Italie (32 milliards), l’Espagne (21 milliards), la France (30 milliards), les États-Unis et le Canada (28 milliards). Tous les débiteurs sont-ils capables de conserver leur solvabilité? Sans oublier que Dexia détient encore 450 milliards de produits dérivés.
En outre, la bad bank Dexia – qui par ailleurs cumule encore une dette de 15 milliards d’euros auprès de Belfius, la branche belge séparée de l’ancienne Dexia – est déficitaire opérationnellement et structurellement. Les revenus générés par les crédits portefeuille et les obligations sont plus bas que les frais de financement. Même après la réduction de l’indemnité payée par Dexia pour le dispositif de garantie de l’état français et belge jusqu’à cinq points de base, cela reste le cas. En effet, la BCE n’a pas envie de donner un accès illimité aux ressources bon marché à Dexia. Elle exige que l’institution se finance davantage sur le marché. C’est plus cher et cela fait augmenter les coûts.
L’année dernière, Dexia a rédigé un plan business qui prévoyait, notamment, une augmentation de capital de 5,5 milliards d’euros dont 2,9 milliards d’euros au compte de la Belgique. En cas de circonstances de marché inchangées, l’injection de capitaux devrait suffire à absorber les pertes attendues jusqu’en 2018 et de maintenir la bad bank à flot jusque-là. À partir de 2018, l’extinction du portefeuille aura le dessus sur les pertes attendues, ce qui devrait automatiquement renforcer les ratios du capital.
Trembler encore au moins cinq ans
Cela signifie que le contribuable devra encore trembler pendant cinq ans, pour utiliser les mots de l’actuel président de Dexia, Karel De Boeck. En effet, toute perte supplémentaire affecte les biens et la solvabilité de Dexia. Toute perte “inattendue” qui se matérialise réduit l’efficacité des tampons de capitaux. Et avec Dexia ce ne sont pas les surprises qui manquent. Au premier semestre de cette année, la banque a connu une perte d’une ampleur exceptionnelle. Une modification de paramètre d’évaluation pour les 450 milliards d’euros de dérivés placés par Dexia, a résulté en 300 millions d’euros de pertes non prévues. Après six mois, le compteur affichait déjà 905 millions d’euros de pertes, presque le chiffre avancé pour toute l’année.
Et pourtant, nos politiques continuent à atténuer la question Dexia, notamment l’actuel ministre des Finances Koen Geens (CD&V). Lorsque la ville de Détroit a demandé une protection judiciaire contre ses créanciers, il s’est très vite confirmé que Dexia détenait des valeurs de cette ville. Geens a été le premier à affirmer que la somme ne pouvait pas être élevée – sinon il aurait été au courant depuis longtemps. Lorsqu’il s’est avéré que l’exposition de Dexia se chiffrait à 300 millions d’euros, pour lesquels la banque avait pris une provision de 60 millions d’euros, Geens a été démasqué. Le ministre a pourtant continué à prétendre qu’il avait raison, car que sont quelques dizaines de millions de pertes sur les créances pour une banque qui affiche un bilan de 250 milliards d’euros ?
En outre, après que Dexia avait déclaré une perte semestrielle de 905 millions d’euros, le ministre des Finances a diffusé un communiqué de presse pour souligner que la situation n’était pas aussi grave qu’elle ne le paraissait : la perte était surtout due à des éléments uniques et ne dépassait pas le cadre du plan business. Le ministre a également mentionné les coûts de financement réduits au second trimestre, la position de liquidité améliorée et les rations de capital renforcées : des tâches habituellement dévolues au CEO de Dexia. Un signe d’encouragement explicite à la bad bank Decia de la part de Geens.
Les risques pour un avenir lointain
La stratégie de Dexia consiste à vendre un minimum d’actifs (pour limiter les pertes) et à laisser progressivement s’éteindre les crédits de portefeuille et les obligations. Pour le financement, la Belgique, la France et le Luxembourg se portent garant pour un montant à concurrence de 85 milliards d’euros. Vu la durée extrêmement longue du portefeuille d’investissement, le montant exact des pertes encaissées par Dexia ne se révélera que dans de nombreuses années. Les risques sont donc repoussés vers un avenir lointain. La prochaine génération, déjà affublée d’une dette publique élevée, risque d’en faire les frais. Pour des politiciens dont l’horizon ne dépasse pas quelques mois, c’est un scénario parfait.
Mais vous connaissez le cliché : aux grands maux les grands remèdes. C’est pourquoi de plus en plus d’économistes plaident pour l’étude de cette alternative. Dans le cas de Dexia, cela reviendrait à démanteler la bad bank par le biais d’une liquidation contrôlée des actifs à terme relativement court. Si ce démantèlement allait de pair avec de lourdes pertes sur le portefeuille d’investissement, ces pertes sont peut-être inévitables à terme.
Faire passer la pilule en une fois
Cette approche présente l’avantage de faire passer la pilule en une fois et permettrait à la Belgique de continuer sans épée de Damoclès.
Le gouvernement Di Rupo porte une responsabilité morale vis-à-vis de la génération actuelle et des prochaines générations d’au moins étudier ce scénario et de communiquer clairement avec la population. Idéalement, cette étude serait réalisée par un tiers indépendant qui devrait établir les coûts d’un démantèlement rapide de Dexia et le montant de la facture en cas de statu quo. Il va de soi qu’il faudra émettre de nombreuses hypothèses. Le fait qu’il ne peut s’agir de mathématiques exactes n’enlève rien aux mérites d’un tel exercice. Cependant, une telle étude comparative risque peu de voir le jour. Il est très probable que tout le monde craigne les montants élevés qu’il faudrait communiquer au monde extérieur.
Les responsables
Ce que les citoyens reprochent peut-être encore plus à leurs politiques, c’est qu’on n’a toujours pas désigné de responsables pour la débâcle Dexia. La commission parlementaire chargée du dossier s’est révélée inutile. Il a été seulement constaté qu’une banque, sans que personne ne s’en inquiète, peut gonfler son bilan jusqu’à trois fois le PIB de ce pays en contractant des dettes énormes. En tant que successeur de Bacob et du Crédit Communal, Dexia comptait de nombreux politiques et responsables dans ses groupements d’intérêt et conseils d’administration de ses différentes sociétés bancaires. Ces derniers n’ont rien fait.
Les personnes en cause ne manquent pas. L’internationalisation mégalomane et l’expansion endettée de Dexia a eu lieu sous la direction du président Piere Richard et du CEO Axel Miller. Aujourd’hui Richard profite d’une belle pension aux frais de Dexia, Miller continue sa carrière (à la tête de D’Ieteren). La FSMA de l’époque, sous la direction de Jean-Pol Servais, n’a rien vu, rien entendu, rien remarqué des dérapages de Dexia. Pourtant, ce même Servais se trouve toujours à la tête de la FSMA et espère prolonger son mandat.
Après 2008 aussi, des erreurs ont été commises. Jean-Luc Dehaene et le CEO Pierre Mariani n’ont pas sauvé le navire en perdition, notamment parce qu’ils désiraient conserver le groupe Dexia dans sa totalité et qu’ils ont voulu épargner les actionnaires et les créanciers. C’est pourquoi, à un moment où c’était peut-être possible, le portefeuille gigantesque d’obligations d’état n’a pas été supprimé et les créanciers n’ont pas été impliqués.
Et que dire des nombreux administrateurs de Dexia Group et de Dexia Banque (l’actuelle Belfius) et des responsables d’Arco et du Holding communal, les deux gros actionnaires belges de Dexia ? Personne n’a donc rien à se reprocher ? La Cour des comptes française a récemment publié une analyse démontrant que Dexia a chaviré à cause de son modèle financier vulnérable (financer à court terme des obligations à long terme) et sa faiblesse administrative où les administrateurs, les actionnaires, la direction et les contrôleurs se comportaient comme un groupe d’amis et de personnes partageant les mêmes idées. Peuvent-ils tous continuer comme si de rien n’était ? Manifestement, c’est le cas en Belgique.
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