Le prochain projet “long terme” de la Belgique: le démantèlement des réacteurs nucléaires

Centrale de Doel - L'incertitude sur l'avenir du nucléaire belge pourrait effrayer les investisseurs et pousser les prix du marché à la hausse. © BELGAIMAGE
Luc Huysmans Luc Huysmans, senior writer au sein du magazine néerlandophone Trends, livre son analyse de l'actualité.

Même si le gouvernement fédéral a décidé de maintenir en activité deux réacteurs nucléaires, cinq autres doivent être démantelés. Et la démolition des tours de refroidissement n’est certainement pas le plus grand défi.

“Toute bonne histoire mérite une bonne fin”, telle est la devise de Peter Vyvey, responsable du programme de démantèlement d’Electrabel, pour motiver son personnel. Au moins cinq des sept réacteurs nucléaires belges – quatre à Doel, trois à Tihange – seront arrêtés d’ici la fin 2025. Ces opérations de fermeture et de démantèlement sont devenues un projet industriel de premier ordre. La démolition des tours de refroidissement n’est certainement pas le plus grand défi. Le retrait des barres de combustible nucléaire, la décontamination de la cuve du réacteur et des composants adjacents, et le tri continu entre des déchets nucléaires et les déchets dits “classiques” sont les tâches qui prendront le plus de temps.

Vyvey ne navigue pas à l’aveugle dans la planification de cet enchevêtrement complexe. Des opérations de déclassement sont déjà en cours ou bien terminées en Allemagne (Stade, Neckarwestheim et Obrigheim), en France (Chooz, Fessenheim et Mühleberg), en Suède (Ringhals) et en Espagne (José Cabrera). Le premier réacteur à être déclassé était même belge : Belgian Reactor 3 (BR3), le premier réacteur à eau pressurisée d’Europe occidentale, qui avait été arrêté en 1987. Ce réacteur a d’ailleurs été utilisé pour optimiser les techniques de démantèlement et de décontamination. Bien que l’échelle ne soit pas comparable. Le BR3 était un réacteur de 10,5 mégawatts. Doel 3, avec ses 1 006 mégawatts, est presque cent fois plus grand.

Phase 1 : Préparation

Le démantèlement sera particulièrement long. “En principe, cinq des sept réacteurs nucléaires ferment en un an”, indique M. Vyvey. “Pour l’organisation, il aurait été plus aisé que cela soit étalé un peu plus dans le temps, mais techniquement, cela ne fait pas de grande différence. Chaque réacteur doit passer par tous les processus d’arrêt définitif, de déclassement, de démantèlement et d’assainissement des sols. Doel 3 et Tihange 2 seront des projets pilotes. Nous appliquerons les leçons que nous en tirerons aux autres réacteurs.”

Maintenant que le gouvernement a décidé de maintenir deux centrales nucléaires ouvertes malgré tout, la planification de démantèlement devra être complètement revue. Vyvey : “Certaines personnes devraient rester occupées sur des projets d’extension et d’exploitation des centrales électriques. Cela aurait un impact énorme sur la façon dont nous travaillons.”

Les premières mesures pour la fermeture ont déjà été prises. Plusieurs dizaines d’employés d’Electrabel, soutenus par quelque 150 ingénieurs de la société soeur Tractebel, préparent l’arrêt définitif. “Le premier mois, nous faisons la même chose que pour une maintenance annuelle : le réacteur est arrêté et vidé, les systèmes de sécurité sont adaptés aux normes les plus modernes et tous les composants sont passés au crible. La différence est qu’il n’y aura pas de redémarrage après.”

La période 2023-2025 s’annonce complexe pour les centrales de Doel et de Tihange. La situation sera en quelque sorte “mixte” puisque certains employés arrêteront Doel 3 tandis que d’autres travailleront tous les jours pour faire fonctionner les autres unités. C’est un état d’esprit différent de la production quotidienne. Nous allons peut-être devoir séparer quelque peu ces groupes. Cela exigera beaucoup de l’organisation, car nous ne voulons pas que le démantèlement affecte la production nucléaire.”

Phase 2 : Arrêt définitif de 3,5 à 5 ans

Le 1er octobre, l’arrêt définitif de Doel 3 commencera. Cette phase prendra de trois ans et demi à cinq ans. Pendant cette période, tout le combustible nucléaire et les autres substances dangereuses seront retirés des centrales. Durant ce laps de temps, une nouvelle usine de traitement des matériaux sera construite sur le site. “En fait, démolition n’est pas le mot juste pour ce que nous faisons,” explique Vyvey. “Nous démontons le réacteur morceau par morceau, comme on démonte un immeuble en Lego bloc par bloc. Nous mesurons la radioactivité de ces blocs, pour les trier proprement.”

Certains composants sont contaminés par plus de quarante ans de fonctionnement. Un exemple est le circuit primaire, où l’eau qui alimente les générateurs de vapeur traverse le réacteur. Lors de la phase d’arrêt définitif, ce circuit est rempli d’eau à laquelle on ajoute un acide. L’acide ronge la première couche de matière, qui est ensuite filtrée. Le résidu est recueilli dans des résines et se retrouve dans les déchets nucléaires. “Le principe est de séparer tout ce que l’on peut séparer, afin de minimiser le volume de ces déchets nucléaires.”

85 000 mètres cubes de déchets nucléaires résulteront du démantèlement des sept réacteurs nucléaires.

Certains déchets, comme les centaines de kilomètres de câbles, peuvent encore rapporter quelque chose. Cela ne s’applique pas aux déchets nucléaires bien entendu. Le démantèlement des sept réacteurs nucléaires produira environ 85 000 mètres cubes de déchets nucléaires. La grande majorité, 70 000 tonnes, appartient à la catégorie A, les déchets de faible radioactivité. Environ 10 000 tonnes, dont des résines, sont dans la catégorie B, et 5 000 tonnes, principalement des matières fissiles, sont hautement radioactives. Pour ces deux dernières catégories, Niras, l’Agence nationale pour les déchets radioactifs et les matières fissiles enrichies, envisage un stockage géologique à long terme.

Dès que la centrale est arrêtée, le combustible n’est plus actif et la réaction en chaîne s’est arrêtée. Bien que la “désintégration naturelle” soit très élevée, les barres de combustible – 20 centimètres de diamètre et 3,5 à 4 mètres de long – continuent encore à produire beaucoup de chaleur, voire plusieurs mégawatts/heure. Ces barres sont donc placées dans un bassin contenant de l’eau très pure avec des échangeurs de chaleur pour éliminer celle-ci. Sinon, ils commenceraient à fondre d’eux-mêmes.

Après cette phase de stockage dans l’eau, les barres sont placées dans des conteneurs spéciaux par groupes de douze ou quatorze. Ces conteneurs sont stockés dans un entrepôt spécialement conçu et sécurisé. Ces bâtiments, deux à Doel et un à Tihange, ont un coût de près de 100 millions d’euros chacun. Ils seront les seuls vestiges des centrales nucléaires qui resteront sur le site après leur démantèlement complet. Les conteneurs y resteront jusqu’à ce qu’ils soient stockés sous terre, ce qui prendra un certain temps. Niras prévoit que la construction de cette installation de stockage commencera en 2050 et ne sera pas achevée avant 2070.

Pendant la phase d’arrêt final, des décisions sont déjà prises concernant la phase suivante. Par exemple, la durée d’utilisation de la tour de refroidissement de Doel 3. Comme elle refroidit également une partie de Doel 2, elle sera certainement utilisée jusqu’en 2025. Cependant, un tel bâtiment nécessite un entretien et cela coûte de l’argent. Il faut donc décider quand la démolition sera possible.

Phase 3 : Déclassement

Toutes les activités, qui ont lieu pendant l’arrêt final, sont couvertes par le permis d’exploitation actuel. Une fois le site effectivement démantelé, un autre permis sera nécessaire. “Celui-là est en préparation”, explique Vyvey. “Nous devons faire un avis d’abandon pour cela. Cela signifie qu’il ne faut pas seulement signaler que nous nous arrêtons, mais aussi comment nous allons le faire, en ayant toujours comme priorité la sécurité. Des discussions avec l’autorité belge de réglementation nucléaire, l’AFCN, sont en cours. La licence n’est requise qu’à partir de 2026.”

L’un des sujets de discussion est aussi de savoir si et dans quelle mesure les activités de démantèlement peuvent déjà avoir lieu pendant l’arrêt définitif. Ce n’est pas un problème techniquement, mais légalement vous auriez deux permis pour la même unité. Vyvey se réfère à l’exemple de certaines centrales allemandes pour montrer que c’est possible. Mais il est le premier à souligner que tous les réacteurs à fermer en 2025 ne seront pas abordés en même temps. “Nous allons suivre une certaine séquence. Il est presque impossible de travailler sur deux unités nucléaires en même temps, simplement parce qu’il n’y a pas assez d’équipements sur le marché pour certaines opérations spécifiques.”

Toutes les installations nucléaires et non nucléaires seront détruites lors du démantèlement. Cela comprend, par exemple, le bâtiment du réacteur contenant la cuve du réacteur, les générateurs de vapeur et le bouclier en béton autour de la cuve du réacteur. Pourtant, pas moins de 98 % des déchets sont des déchets de construction classiques, qui peuvent donc être éliminés immédiatement. La cuve du réacteur, par exemple, est une structure énorme : 330 tonnes, 4 mètres de large, 6 mètres de haut, avec des parois de 20 centimètres d’épaisseur. Une grande partie de la radioactivité sur les parois internes a déjà été rongée par l’acide lors de la phase précédente. Lors du démantèlement, la radioactivité est mesurée au centimètre carré, pour ainsi dire, et éliminée par raclage si nécessaire. Le reste, la majeure partie du bâtiment, est devenu un déchet classique.

98 % des déchets sont des déchets de construction classiques, qui peuvent être éliminés immédiatement.

Pourtant, la relative rapidité du démantèlement reste remarquable. Le réacteur nucléaire de Chooz, en France, juste de l’autre côté de la frontière belge, a été arrêté en 1991. En partie en raison des conditions géologiques, le démantèlement proprement dit n’a commencé qu’en 2007, bien que les matériaux les plus radioactifs aient déjà été retirés auparavant. Selon le calendrier actuellement utilisé par Electrabel, Doel 3 pourrait être démantelé en 2037. “La Belgique a opté pour un démantèlement immédiat”, indique M. Vyvey. “Il ne sera pas facile de le faire dans 15 ans. Dans des projets de cette envergure, il arrive toujours des choses auxquelles on ne s’attend pas. Mais sur base de l’expérience internationale, cela semble être un calendrier réalisable.”

NOM Puissance (en MW) Entrée en fonction Fermeture
Doel 1 445 15-02-75 15-02-25
Doel 2 445 01-12-75 01-12-25
Doel 3 1006 01-10-82 01-10-22
Doel 4 1038 01-07-85 ????
Tihange 1 962 01-10-75 01-10-25
Tihange 2 1008 01-02-83 01-02-23
Tihange 3 1046 01-09-85 ????

Phase 4 : Démolition et assainissement du sol 2 ans

Une fois la centrale nucléaire démantelée, il ne reste plus qu’à démolir les bâtiments du site de manière traditionnelle. Logiquement, cela ne se fera pas en dynamitant les bâtiments, comme c’est souvent le cas lors de la démolition d’une centrale au gaz ou d’autres grands bâtiments. Les tours de refroidissement seront démolies par une grue qui commencera par le sommet et descendra lentement.

À l’exception du bâtiment de stockage des conteneurs, contenant du combustible nucléaire et d’autres déchets hautement radioactifs, le site sera alors vide. Après l’assainissement nécessaire du sol, le terrain appartenant à Electrabel peut être utilisé à nouveau, mais avec des restrictions de sécurité néanmoins, en raison de la présence du combustible nucléaire usagé. Théoriquement, l’emplacement à Doel intéressera certainement les entreprises logistiques et portuaires. Mais on ne sait pas encore très bien comment cela fonctionnera dans la pratique.

Malgré son expérience et ses connaissances générés par ce démantèlement, Electrabel a décidé de ne pas se lancer sur le marché du démantèlement des réacteurs nucléaires. Le coût de cette opération est estimé à plusieurs centaines de milliards d’euros. Bien que Vyvey souligne que pour chaque démolition, vous travaillez dans un contexte différent. “La législation est différente dans chaque pays. Ici, par exemple, l’opérateur a mis en place un fonds d’épargne pour le démantèlement, dans d’autres pays, c’est le gouvernement qui s’en charge”, explique-t-il. “On ne peut donc pas utiliser la même procédure partout. Mais nous voulons gérer cela de manière professionnelle jusqu’au tout dernier jour.”

Les plus de 45 ans pourront rester et travailler jusqu’à la retraite

“Je pense que la fierté des employés travaillant à Doel et Tihange est sous-estimée. Il est important d’étendre ce professionnalisme également au démantèlement. C’est une sacrée métamorphose : passer de la production d’énergie au démantèlement de son propre lieu de travail”, explique Peter Vyvey, responsable du programme de démantèlement chez Electrabel.

Il sera crucial de conserver les compétences nécessaires à bord. Cela ne signifie pas seulement investir massivement dans la formation, il s’agit également de conserver les connaissances actuelles en matière de nucléaire et d’ingénierie. Lors des négociations sociales passées, tous les employés ont obtenu une sécurité d’emploi jusqu’en 2027. Entre-temps, des garanties supplémentaires ont été ajoutées : tous les employés de plus de 45 ans pourront continuer à travailler chez Electrabel jusqu’à la fin de leur carrière. Environ la moitié des employés appartiennent à cette tranche d’âge. Les autres peuvent choisir de quitter d’eux-mêmes l’entreprise en 2026, avec une prime, ou être aidés par Electrabel pour trouver un autre emploi.

30 000 tonnes de déchets nucléaires déversés dans la mer

Que faire des déchets faiblement radioactifs mais qui continuent à émettre des radiations pendant environ 300 ans ? Entre 1960 et 1982, la solution était simple : on la déversait dans la mer. À l’époque, on supposait que le grand volume d’eau de mer diluerait suffisamment la radioactivité, une hypothèse que partagent encore certains scientifiques. À l’époque, la Belgique avait organisé 15 opérations de stockage, au cours desquelles près de 30 000 tonnes de déchets radioactifs ont été déversées au fond de l’océan Atlantique.

D’autres solutions sont désormais envisagées. Une nouvelle installation est en cours de construction à Dessel pour stocker les déchets faiblement radioactifs. Cette installation coûtera 1,65 milliard d’euros et contiendra 34 bunkers en béton. Elle contiendra 26 000 monolithes : des boîtes à déchets en béton de 5 à 6 mètres cubes. Ces dernières enfermeront des pièces cassées, des matériaux de protection usagés et des déchets de démolition dont la taille a été réduite par combustion et compression. Un peu plus de la moitié provient des centrales nucléaires, le reste provient des hôpitaux et des institutions gouvernementales, comme le centre d’expertise nucléaire SCK CEN.

Y a-t-il assez d’argent pour ce démantèlement ?

Pour financer le démantèlement des réacteurs nucléaires et le stockage des déchets radioactifs, les producteurs nucléaires versent une contribution à Synatom. Ce fonds, filiale d’Electrabel, gérait 14,1 milliards d’euros d’actifs à la fin 2020.

Cet argent devrait en principe suffire pour les 41 milliards d’euros que coûteront la gestion du combustible usagé et le démantèlement. Cependant, cet argent n’est pas immédiatement disponible. Synatom est autorisé à prêter les trois quarts de cette somme à Electrabel. Le ministre fédéral de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), a donc présenté en décembre un projet de loi qui stipule que la dette d’Electrabel doit être ramenée à 1,8 milliard d’euros d’ici 2025. D’ici 2030, tous les prêts devront être remboursés.

L’autre grand point d’interrogation se situe au niveau du gouvernement. Il n’a pas encore été décidé si les déchets nucléaires seront stockés en surface pendant une longue période, comme l’ont décidé les Pays-Bas, ou stockés géologiquement dans des couches d’argile, et si oui, à quelle profondeur. À l’heure actuelle, on suppose que l’élimination se fera à une profondeur de 400 mètres, mais chaque tranche de 200 mètres de profondeur coûtera environ 5 milliards d’euros supplémentaires. La Commission des services nucléaires (CNV) fera le point à la fin de cette année.

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