La bulle de 9000 milliards de dollars qui menace l’économie mondiale
Alors que la Belgique est en plein débat sur le tax shift et que l’Europe est encore tournée vers la Grèce, le reste du monde a d’autres problèmes économiques sur le feu. Et en particulier les pays émergents, la Chine en tête, qui rencontrent de grandes difficultés. Ces pays souffrent d’un endettement excessif en dollars.
Les marchés émergents sont dans une si mauvaise passe que l’économie mondiale n’a progressé cette année que de 3,3%, et une croissance inférieure à 4% est en fait une récession. Une amélioration n’est pas à l’ordre du jour. Les marchés émergents ne sont pas tous à mettre dans le même panier, mais une combinaison simultanée d’une baisse des prix des matières premières, d’un tarissement des flux de capitaux et d’une stagnation du commerce mondial freine la croissance dans la plupart des pays émergents. Ajoutez à cela une politique économique pas toujours réfléchie, et cela promet des mois particulièrement difficiles, du Brésil à la Chine.
Officiellement, la croissance économique chinoise est encore d’un petit 7%, mais elle est probablement inférieure dans la réalité. La dévaluation de la monnaie chinoise (le yuan) des derniers jours, la plus grande dévaluation en deux décennies, afin de soutenir les exportations, indique un mouvement de panique à Pekin. Il y a quelques mois, le gouvernement annonçait encore qu’une dévaluation ne figurait pas à l’ordre du jour, mais après les résultats économiques décevants, un changement spectaculaire des taux de change s’en est suivi.
En juillet par exemple, les exportations ont chuté de 8%. La baisse massive des prix à la production indique un profond malaise et une surcapacité dans les secteurs de la construction et de l’industrie lourde entre autres. Les essais pour insuffler une nouvelle vie à l’économie par le biais d’une politique monétaire plus souple, de nouveaux investissements dans l’infrastructure et de la lutte entretemps infructueuse pour une hausse des marchés boursiers, n’ont guère engendré de résultats. Ainsi, le régime s’est vu forcé à tout de même devoir ressortir l’arme de la dévaluation.
En perspective
La forte dévaluation du yuan de ces derniers jours doit cependant être mise en perspective. Le yuan a été un modèle de stabilité ces dernières années et a gagné progressivement en valeur par rapport aux monnaies des principaux partenaires commerciaux. Au cours des 12 derniers mois seulement, le taux de change du yuan réel et pondéré par les échanges a augmenté de 12%. En comparaison avec 2010, il y a même une progression de 30%. Le yuan cher a donc mis la compétitivité chinoise sous pression, mais il n’y a encore aucun homme à la mer. La Chine enregistre encore toujours un important excédent commercial.
La décision actuelle de dévaluer devrait également être considérée à la lumière de la première hausse des taux par la banque centrale américaine (la Fed), qui est imminente. Une politique monétaire resserrée aux Etats-Unis entraînera probablement une nouvelle hausse du dollar, et puisque le yuan était en fait lié au dollar jusqu’au début de la semaine dernière, le yuan risquait aussi de devenir encore plus cher.
Ensuite, le Fonds Monétaire International (FMI) a également offert une belle excuse à la Chine pour le dévaluer. Le FMI a déclaré encore dernièrement que la Chine devait passer à une détermination des taux de change plus conforme au marché si elle voulait que le yuan obtienne le statut de monnaie de réserve mondiale. La Chine a, en quelque sorte, essayé de déguiser la dévaluation en réforme favorable au marché constamment sollicitée par l’Occident.
Le désespoir proche
L’espoir d’une transition facile, d’une économie chinoise soutenue par les investissements et les exportations vers une économie davantage axée sur la consommation interne, peut être rangé dans les cartons. Une dévaluation va même à l’encontre de cette stratégie, car une monnaie moins chère rend la consommation plus coûteuse et les exportations moins chères.
Cela prouve une fois de plus que les autorités chinoises sont de plus en plus aux abois. La croissance économique est encore une fois au centre de toutes les attentions, même si cette modification des cours comporte de grands risques. La problématique liée à la manière dont les pays émergents vont faire face aux remboursements de leurs dettes en dollar si leur monnaie locale s’enfonce dans les abîmes, revient au coeur de l’actualité.
Au cours des dernières années, les économies émergentes ont pu profiter d’un afflux débridé de crédits bon marché en dollar. Grâce à la politique monétaire expansive d’argent gratuit de la Fed, banques et investisseurs recherchaient des rendements supplémentaires auprès des entreprises et des gouvernements des pays émergents. Depuis 2009, l’encours de la dette en dollars des marchés émergents a grimpé de 6000 à 9000 milliards de dollars. Le secteur privé chinois, par exemple, accumule les emprunts en dollars.
Le modèle chinois de politique étatique paraissait même faire mieux que le capitalisme occidental, mais il a commis précisément les mêmes erreurs en s’endettant de manière démesurée. Tout allait pour le mieux tant que la croissance restait forte, les taux bas et le dollar faible. Ces conditions ne sont plus remplies. Un dollar fort, surtout, est l’outil capable de réduire la moitié de l’économie mondiale en morceaux. Les entreprises qui ont emprunté de manière massive en dollars, mais qui gagnent leur argent en monnaie locale, redoutent que le malheur s’abatte sur elles si ce dollar augmente en valeur. Elles sont obligées de gagner beaucoup plus en monnaie locale pour rembourser la même quantité en dollars. La Chine a donc tout intérêt à ce que la dévaluation du yuan se poursuive de manière limitée et graduelle. Le pays ne peut tout simplement pas se permettre une dévaluation brutale, même si la banque centrale chinoise dispose encore d’une confortable réserve en dollars de 3600 milliards.
Bulle à l’étranger
Une indigestion de dettes en dollars se trouvait aussi à l’origine de la crise asiatique de la fin des années nonante. Une crise qui, tout comme la crise de la dette en Amérique Latine du début des années quatre-vingt, a démarré sur la voie d’une politique monétaire américaine plus serrée. Si la présidente de la Fed Janet Yellen débute en septembre avec une lente remontée du taux directeur, la moitié de l’économie mondiale devra se préparer au pire.
Les flux de capitaux s’éloignent déjà des pays émergents; cet exode freine actuellement la croissance. Les taux de change sont sous pression et les réserves en devises se réduisent petit à petit, bien que beaucoup de pays émergents disposent encore de réserves relativement grandes. Les pays les plus dépendants des capitaux étrangers, comme le Brésil et la Turquie, sont les plus vulnérables. D’autres pays, comme l’Inde, remplissent leurs devoirs et résistent mieux à la menace du dollar. En résumé, la Fed a cette fois surtout généré une bulle à l’étranger, mais la Fed va également faire éclater cette bulle. À moins qu’une crise mondiale éclate, qui oblige Yellen à revenir sur ses pas.
Un commerce mondial qui s’essouffle de manière alarmante
Si les marchés émergents se retrouvent dans une situation vraiment désespérée, l’échappatoire classique – dévaluer et exporter plus – risque de devenir beaucoup moins large. Il est frappant, pour ne pas dire inquiétant, de constater comment la croissance du commerce mondial s’est presque totalement figée. Au cours des 12 derniers mois, le commerce mondial n’a progressé que de 1,5%, bien en deçà de la croissance moyenne de 7% de la dernière décennie.
Catastrophique, ce ne l’est pas; car les forces structurelles rendent la croissance de l’économie mondiale moins intensive au niveau du commerce. Les chaînes longues et complexes de la production mondiale sont lentement démantelées grâce à de nouvelles techniques de production dirigées par ordinateur, une plus grande autonomie des marchés émergents et un retour de la production à l’Occident. Mais l’essoufflement du commerce mondial est cependant alarmant. C’est le symptôme d’une demande encore relativement molle au sein de l’Occident, des difficultés en Chine et du malaise grandissant dans les pays émergents.
Dans ce contexte, il n’est aucunement exagéré de dire que la Chine ouvre un nouveau front dans la guerre mondiale des taux de change. Au cours des dernières années, la Chine ne se mêlait pas à ce combat pour remporter les emplois et les commandes des autres grâce à un plus faible taux de change, ce qui a certainement contribué à un certain calme en Asie. Mais maintenant que la super puissance économique de la Chine ne crache plus sur une dévaluation compétitive de la monnaie, une escalade de dévaluations menace en Asie et dans le reste du monde.
En fin de compte, ce combat ne génère rien, bien au contraire. L’incertitude croissante pèse encore sur la demande mondiale, pour laquelle tout le monde se bat. Et que fera la Fed dans ces circonstances? Poursuivre avec une première remontée des taux, et de cette manière, en tant qu’unique super puissance, diriger sa propre monnaie vers le haut, avec tous les risques que cela engendre pour l’économie américaine et l’économie de la moitié de la planète? Les chances augmentent jour après jour que Yellen se donne encore du répit ainsi qu’au reste du monde grâce à un report de la première remontée des taux.
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