Arnaud Lecocq

L’ISI et les Repentis fiscaux: le pardon quel repos !

Arnaud Lecocq avocat Bazacle & Solon, Maître de conférences ULB

Débuter cette opinion par une citation de Victor Hugo n’est pas anodin. En effet, l’auteur de Ruy Blas se serait sans aucun doute amusé de ce mélodrame des temps modernes qui met en présence des personnages qui n’ont rien à envier à Don Salluste ou à Javert.

La presse économique s’est faite écho de la décision de l’Inspection Spéciale des Impôts de Gand de notifier aux Parquets du pays l’existence d’un blanchiment d’argent issu de la fraude fiscale d’une ampleur jamais égalée. Que doit-on penser de cette affirmation ? Très étrangement, rien.

Depuis plusieurs années, Mr. Anthonissen exprime une désapprobation quant à la manière dont les régularisations fiscales sont conçues et appliquées. Selon ce dernier, “l’amnistie fiscale se transforme en blanchiment gratuit” (Trends, 12 mars 2013) et permet donc aux contribuables de rapatrier leurs avoirs sans “réelle” pénalité.

Cette vision des choses eut comme conséquence au Nord du pays que certains avocats ou fiscalistes furent contraints de conseiller à leurs clients d’opter pour une lourde régularisation par crainte de poursuites pénales ultérieures. Cet état de fait fut relaté en Commission des Finances du Parlement fédéral à l’occasion des travaux parlementaires entourant la DLUter : “À l’heure actuelle, les avocats néerlandophones conseillent de plus en plus à leurs clients de faire une régularisation fiscale aussi approfondie que possible, moyennant le paiement, bien entendu, d’un prélèvement (beaucoup) plus élevé. Les avocats francophones, en revanche, indiquent presque toujours à leurs clients qu’une régularisation des revenus non déclarés pendant les sept dernières années suffit. La différence de culture est due à la politique différente mise en oeuvre par le ministère public dans les deux parties du pays” (Députée Wouters).

En réalité, jusqu’à la DLUter (été 2013), la question des capitaux fiscalement prescrits ne se posait que d’une manière marginale et la régularisation de ces capitaux n’avait pas lieu d’être. La discussion fut plus complexe sous le régime de la DLUter. Dans le cadre d’une législation peu claire, il était à tout le moins évident qu’un choix existait dans la manière de régulariser. L’utilité d’amnistier les capitaux prescrits provenait de la volonté personnelle des contribuables d’obtenir une plus large immunisation pénale. Seule la dernière régularisation, actuellement en cours, impose dans une certaine mesure une régularisation “conditionnée” (renversement de la charge de la preuve) des capitaux fiscalement prescrits au taux de 36%.

En somme, jusqu’à l’été 2016, une obligation de régulariser en tout état de cause les capitaux fiscalement prescrits n’existait pas, sauf peut-être dans un Bureau de Gand.

La vocation première d’une procédure d’amnistie fiscale n’est pas de sanctionner les contribuables repentis

Néanmoins, comment vont réagir les contribuables qui, faisant confiance en l’Etat belge, ont procédé de bonne foi à une des formes de DLU ? Y a-t-il un risque pénal qui provient de cette notification globale aux autorités répressives ? Nous ne le pensons pas. En effet, le droit pénal est jalonné de différents garde-fous qui protègent les citoyens contre des abus. Pensons, par exemple, à l’impossibilité d’imposer une double sanction ou une double procédure lorsqu’une première sanction définitive fut imposée. Or, il ne faut pas oublier que chaque régularisation comporte une sanction liée au payement d’une majoration qui est de nature répressive (puisque l’indemnisation du Trésor est acquise par le payement de l’impôt éludé). De même, on ne peut ignorer que la procédure de régularisation comporte des dispositions d’immunisation pénale. Enfin, le délit de blanchiment, infraction principale retenue par l’ISI dans le cadre de sa décision de notification aux autorités judiciaires, ne s’applique pas automatiquement. Il faut prouver que tous les éléments constitutifs de l’infraction sont bien présents en distinguant bien, d’une part, l’infraction sous-jacente et, d’autre part, l’infraction de blanchiment proprement dite. Malgré une preuve facilitée, il ne suffit pas de qualifier un comportement de blanchiment pour entrainer la condamnation de 61.000 personnes.

En conclusion, les magistrats rappelleront, comme ils l’ont fait dans d’autres affaires tels KBLux ou Citibank, que l’objectif du droit pénal n’est pas d’être le remède d’une carence des autorités administratives ni le moyen ultime – coercitif – pour obtenir, sur base de la peur de cette épée de Damoclès, un résultat médiatiquement satisfaisant en multipliant les transactions.

En cela aussi, la vocation première d’une procédure d’amnistie n’est pas de sanctionner les contribuables repentis mais bien de permettre à l’économie belge de se nourrir de ces capitaux régularisés afin de permettre une croissance économique favorable à tous.

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