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Faire sortir la Grèce de l’euro, un jeu dangereux à 270 milliards

On tente encore de trouver un accord sur le problème grec. Un sommet européen pourrait se tenir ce dimanche. Mais Athènes et ses créanciers jouent un jeu très dangereux. Un jeu qui pourrait coûter des dizaines milliards d’euros aux contribuables européens.

L’horloge tourne inexorablement. Désormais, à moins d’un rapprochement miraculeux ce week-end des positions de la Grèce, du Fonds monétaire international et des autorités européennes, on s’achemine vers un défaut grec à la fin du mois, ce qui signifierait une sortie de la Grèce de l’euro. Certains s’en réjouissent. Ils devraient plutôt s’en inquiéter.

Une erreur de diagnostic

Pour le comprendre, un petit rappel est nécessaire. La cause du problème grec est connue depuis longtemps mais n’a jamais été acceptée par la BCE, le FMI et l’Europe : on s’est simplement trompé de diagnostic. La Grèce souffrait d’un problème de solvabilité (son business model était déficitaire, avec un fisc inopérant).Or, l’Europe et le FMI ont agi comme s’il s’agissait d’un problème de liquidités (comme si la Grèce ne trouvait plus à se financer dans le marché). Les Grecs étaient incapables de dégager des marges suffisantes pour assumer leurs dettes, et on leur a prêté davantage ! Parallèlement, on a voulu qu’ils dégagent en cinq ans, alors que toute la zone euro était en crise, des surplus primaires faramineux, ce qui a eu pour effet de sabrer brutalement dans les dépenses publiques et de remonter l’impôt à des niveaux qui ont asphyxié une économie grecque déjà moribonde. Résultat : malgré une austérité brutale (la masse des pensions est passée de 33 milliards en 2010 à 22 milliards d’euros en 2014, le chômage des jeunes atteint 55%), le ratio dette/PIB n’a pas baissé et évolue toujours aux alentours de 175% du PIB.

Ce qui a changé, en revanche, c’est qu’on a détruit d’énormes capacités productives. Le PIB du pays s’est contracté de 25% depuis 2008 et la croissance ne redémarre pas. Cette année, la BCE table sur 0,5%. Pire : l’avenir est déjà fortement hypothéqué. Le système bancaire ayant implosé, les investisseurs ont déserté l’économie du pays, qui continuera donc de perdre des capacités dans le futur. La potion administrée à la Grèce lui a sans doute fait perdre 10 à 20 ans. On comprend ce qu’il y a de futile et d’aberrant de pinailler aujourd’hui sur la possibilité de dégager un surplus primaire (un surplus hors charges d’intérêt) cette année de 1% plutôt que 0,75%. Mieux : on exige de la Grèce que ses finances publiques dégagent un surplus primaire de 2,5% en 2017 et 3,5% en 2018. Le seul pays qui ait réussi un tel exploit depuis la seconde guerre mondiale est … la Belgique. Celle de Jean-Luc Dehaene et du plan global. Mais nous avons pu réaliser cette performance avec une économie en bonne santé et dans un environnement économique mondial porteur…

Une seule solution : restructurer

Le problème étant posé, quelles sont les solutions ? Le gouvernement grec pourrait plier et accepter de nouvelles mesures d’austérité. Mais on l’a vu plus haut, abaisser encore les pensions de 10% pour trouver 2 milliards d’euros supplémentaire ne résout rien à moyen terme : réduire le pouvoir d’achat des pensionnés abaisse la demande intérieure, appauvrit encore un peu plus le pays, constitue un suicide politique pour le gouvernement d’Alexis Tsipras et au final, ne sert à rien : le ratio dette-PIB ne bougera pas.

Il n’y a qu’une solution : restructurer la dette. La restructuration peut prendre plusieurs formes : soit un “haircut” sur la dette ou un échange des titres existants pour des titres plus longs assortis de taux plus bas. Soit une sortie totale de la zone euro, qui ferait que les créanciers soient remboursés en drachmes plutôt qu’en euros. Soit une sortie partielle de la zone euro : la Grèce créerait une monnaie pour ses échanges intérieurs et conserverait l’euro pour rembourser sa dette. Cette dernière solution, cependant, ne résout pas en soi le problème de la dette publique et aggraverait sensiblement la situation de l’économie.

Reste la pire des hypothèses : un défaut “bête et brutal” qui s’accompagnerait d’une sortie chaotique de la Grèce de la zone euro serait terrible pour le pays qui se retrouverait en dehors de l’Eurosystème, dont les banques seraient vidées de leurs dépôts, qui subirait une forte hausse des prix des produits importés, et ne bénéficierait pas des avantages d’une dévaluation. La Grèce n’a pas de grandes industries exportatrices.

Faire sortir la Grèce de l’euro, un jeu dangereux à 270 milliards

Au vu de tous ces éléments, à quel jeu jouent donc les créanciers de la Grèce ? On a l’impression que beaucoup de politiques européens estiment que c’était une erreur d’avoir fait entrer le pays dans la zone euro et le poussent finalement vers la sortie. C’est d’ailleurs ce qu’avait dit clairement Luc Coene devant le parlement wallon voici quelques semaines. “Franchement, avait-il affirmé, je trouve que ce serait une bonne chose qu’on laisse la Grèce partir, parce que si on va faire des efforts pour la maintenir, on va être continuellement soumis à des pressions de son côté pour mettre tout en question” Et l’ancien gouverneur de notre Banque nationale avait ajouté que si la Grèce devait sortir de la zone euro, l’événement serait positif parce qu’il donnerait un signal fort aux pays qui auraient la tentation d’assouplir leurs réformes.

Toutefois, il y a quatre dangers que ce point de vue semble ignorer. Le premier, c’est d’oublier pourquoi on avait fait entrer la Grèce malgré ses pauvres résultats économiques. C’était pour solidifier une jeune démocratie qui gardait encore en mémoire les stigmates du régime des colonels. Rejeter la Grèce aujourd’hui en dehors de la zone euro aurait donc un impact symbolique et politique déplorable.

Le deuxième, est que la sortie de la Grèce signifierait un échec politique terrible pour l’entièreté de la zone euro. Elle ouvrirait la possibilité d’autres sorties futures. Le troisième est que si la zone euro se montre incapable de résoudre un problème qui ne pèse que 2,5% du PIB de son PIB, elle sera d’autant plus impuissante à trouver une solution si d’aventure, un poids lourd comme l’Italie (au hasard) éprouvait de graves problèmes financiers.Cette absence de volonté politique de créer une zone unitaire et de mettre en oeuvre les moyens et la gouvernance nécessaires est d’ailleurs très bien perçue par les marchés, qui ne se réjouissent pas du tout de la possibilité d’un Grexit. Sans compter qu’un Grexit, et c’est le dernier danger, ferait très mal financièrement à tous les Européens. Les Etats-membres de la zone euros sont exposés au risque grec à hauteur de 270 milliards d’euros environ : 200 milliards d’euros proviennent des prêts et des garanties qu’ils ont octroyés à la Grèce, directement ou via le MES (le fonds de secours européen). Au moins 40 milliards supplémentaires sont constitués par la dette que la Banque de Grèce a concédé à l’égard des autres banques centrales de l’Eurosystème. Cette dette est simplement le reflet que les banques grecques perdent de plus en plus de sources de financement. A cela s’ajoutent encore une trentaine de milliards d’euros d’obligations grecques que la BCE détient en portefeuille. Bref, c’est une question à 270 milliards d’euros (dont grosso modo 10 milliards pour la Belgique) qui doit être résolue avant la fin du mois. Et c’est aussi pour cela qu’un Grexit paraît terriblement dangereux.

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