Daniel Bacquelaine: l’homme qui réforme “sans avoir l’air d’y toucher”
La pension à 67 ans, c’est le dossier politique pourri par excellence. Et pourtant, alors que la crédibilité de plusieurs de ses collègues vacille, le ministre des Pensions égrène les réformes avec une légitimité renforcée au fil des mois. Mais quel est donc le secret de Daniel Bacquelaine ?
Ce soir-là, c’était un public de spécialistes. Des comptables, des assureurs, des responsables de ressources humaines invités par le bureau de consultance BDO. Devant un tel parterre, Daniel Bacquelaine peut dérouler sa maîtrise du sujet, citer le montant des pensions minimales à la virgule près et jongler avec les piliers de pension. Le lendemain, il sera, tout aussi à l’aise, devant une section locale du MR, un groupe d’aînés ou une autre association. Depuis un an, Daniel Bacquelaine expose ainsi ses réformes deux à trois fois par semaine. Chronophage mais il aime ça. “Je suis aussi professeur, ça doit venir de là”, sourit-il. En l’occurrence, ce médecin a formé des confrères à la mésothérapie en Belgique mais aussi à l’Université d’Aix-Marseille.
Quand il a été désigné ministre, quand il a appris qu’il serait l’homme chargé de défendre le recul de l’âge légal de la pension, l’évidence s’est imposée à lui. “Pour démonter les simplismes fréquents en cette matière, il n’y a qu’une solution : expliquer, réexpliquer et expliquer encore, résume Hervé Bechoux, bras droit de Daniel Bacquelaine depuis une quinzaine d’années et désormais son secrétaire de cabinet. La rencontre directe avec les gens, cela reste le meilleur moyen de faire passer le message.” Avant de se lancer dans cette interminable tournée de conférences, il a toutefois pris le temps de bosser ses dossiers avec l’obstination d’un étudiant en blocus. Pas question de disserter publiquement sans maîtriser le sujet jusque dans ses moindres détails. Une ligne de conduite dont certain(e)s de ses collègues auraient sans doute bien fait de s’inspirer…
“Généralement, ça se passe très bien, reprend Koen Peumans, le porte-parole du ministre. Les gens comprennent la nécessité des réformes entreprises. Quand il y a des contradicteurs syndicaux dans la salle, le ministre ne se démonte jamais. Il fournit toujours des réponses précises et chiffrées.” Une seule fausse note dans l’opération : une attaque au ketchup lors d’une conférence, peu après l’épisode du “paquet de frites” pour Charles Michel au Cercle de Wallonie. Mieux vaut en rire. Car, oui, Daniel Bacquelaine sait rire. D’ailleurs, on vous le confie, il a même inséré quelques clins d’oeil amusants dans le “Powerpoint” qui accompagne ses conférences.
La pension à points, c’est la révolution
Cela sert à cela aussi les rencontres directes avec la population : casser ou à tout le moins compléter une image publique un peu trop lisse, un costume de notable conservateur plutôt vieille France. Lors de la conférence à laquelle nous avons assisté, un interlocuteur lui demande : “si vous pouviez partir d’une page blanche, quel modèle de pension dessineriez-vous ?”. “Mais je pars d’une feuille blanche”, rétorque du tac au tac Daniel Bacquelaine, en évoquant le projet de “pensions à points” qui collera de beaucoup plus près à la carrière effective des gens, au lieu de s’enfermer dans la rigidité des statuts de salariés, d’indépendants et de fonctionnaires. Une révolution dans le petit monde des pensions à la belge. Tout comme la fusion, qui devrait être opérationnelle en avril, entre les principaux services administratifs des Pensions. Pour info, pendant ce temps, il y a toujours cinq TEC wallons et une couple régionale pour les chapeauter…
“Sans avoir l’air d’y toucher, c’est un ministre qui réforme et dont les décisions auront véritablement de profonds impacts sur la société, confirme le député Ecolo Georges Gilkinet, qui ferraille souvent avec lui en commission des Affaires sociales. Il a boulotté ses matières et s’est bien installé dans son rôle de ministre, même si je suis très fâché contre ses réformes qui vont fragiliser beaucoup de personnes, en particulier les femmes.” Retenons ici le “sans avoir l’air d’y toucher “. Daniel Bacquelaine avance à pas assurés, obstinés, mais surtout feutrés. Cette méthode force le respect, à défaut de pouvoir toujours susciter l’adhésion. “C’est le prototype du parlementaire à l’ancienne, analyse Alain Gerlache, décodeur de la communication politique à la RTBF. J’utiliserais à son égard un mot très rare dans la politique actuelle : c’est un homme affable. Il a un côté grijze muis (souris grise) comme on dit en Flandre. Il ne fait pas de vague, il ne cherche pas les sunlights, il bosse et joue la carte d’une sorte de bon sens. Cela l’a aidé à construire sa crédibilité. Il apparaît comme un ministre légitime, même aux yeux de ses adversaires.” A nouveau, un effet-miroir un peu cruel pour quelques collègues…
Un discours comme une démonstration mathématique
Est-il vraiment sans aspérité, une sorte de “saint Daniel Bacquelaine” ? Lui-même, libre-penseur convaincu, n’approuverait pas l’expression. Plus sérieusement, Georges Gilkinet invite à ne pas se tromper sur le personnage. Derrière une certaine bonhomie ou une “force tranquille” (pas sûr que l’homme apprécie cette référence à François Mitterrand…), Daniel Bacquelaine, dit-il, “manie le sophisme avec talent”. Les discours du ministre des Pensions sont construits comme des démonstrations mathématiques – “c’est un matheux, ça aide dans cette matière”, confirme Hervé Bechoux – et des raisonnements logiques visant à conclure aux bienfaits de la réforme des pensions.
Sa thèse : pour conserver le budget dans les clous et répondre aux défis du vieillissement, il faut soit augmenter les cotisations sociales et donc le coût du travail ; soit réduire le montant des pensions, déjà parmi les plus faibles d’Europe ; soit reculer l’âge de la pension, l’option dès lors la moins catastrophique. “Il omet systématiquement une quatrième piste, celle du financement alternatif, décortique Georges Gilkinet. En refusant de toucher à l’enveloppe, il doit alors revoir les droits terriblement à la baisse. Le gentil Daniel Bacquelaine se présente comme un sauveur de la sécurité sociale, alors que ses réformes la fragilisent beaucoup.” “Il suit scrupuleusement sa feuille de route et mène ses réformes avec conviction, renchérit le député socialiste Frédéric Daerden, mais toujours dans son optique très libérale. Il montre de la bienveillance à l’égard des milieux proches comme les indépendants ou les assureurs, mais ne se tracasse pas trop des effets sociétaux plus larges de ses réformes sur les plus faibles ou sur les femmes notamment. Il ne développe pas de vision transversale de sa politique.”
Après 20 ans de vie parlementaire, dont 15 comme chef de groupe, Daniel Bacquelaine sait a priori comment y faire face aux députés. “Malgré son évidente envie d’avancer, c’est un ministre qui prend soin de ne pas bousculer abusivement les pratiques du Parlement”, salue Frédéric Daerden. Il regrette toutefois que – “par mauvaise foi ou méconnaissance technique de cette matière complexe” – le ministre se laisse parfois aller à “quelques inexactitudes pour justifier ses choix idéologiques”. Il ne serait en outre guère enclin à intégrer une remarque de l’opposition dans ses projets. “Certes, il nous écoute, concède Georges Gilkinet, mais c’est surtout pour saisir l’élément à reprendre et à caricaturer pour mieux contre-attaquer.” Une stratégie bien connue de son ami Didier Reynders, ce dernier épiçant volontiers ses répliques d’une dose de cynisme ou de fiel. Ça, ce n’est pas le style du ministre des Pensions, toujours soucieux de son costume de gentleman.
Le débat contradictoire, Daniel Bacquelaine l’a en fait déjà vécu en amont dans son cabinet ministériel. “Son chef de cabinet (Hugues Vlemincq), c’est son sparring-partner, sourit Hervé Bechoux. Ils débattent beaucoup entre eux. Daniel a toujours été très attentif aux remarques, aux arguments de ses collaborateurs. Et même quand vous n’arrivez pas à le convaincre, vous réalisez plus tard qu’il a repris l’un ou l’autre élément de votre raisonnement.” Après, effectivement, il sera très compliqué pour l’opposition d’infléchir encore ses positions.
Bien plus populaire qu’on ne le pense…
S’il est relativement préservé des polémiques, s’il est perçu comme légitime, Daniel Bacquelaine n’en est pas devenu populaire pour autant. La plupart des nouveaux ministres MR ont bondi dans les classements des différents baromètres. Pas lui. Evidemment, défendre la pension à 67 ans, cela ne suscite pas l’enthousiasme des foules. “Il refuse systématiquement de participer aux émissions de divertissement, il veut absolument rester dans le costume de l’homme politique sérieux, sans chercher à devenir une star de la politique”, constate Koen Peumans. Il pourrait compenser par une petite pique bien sentie à l’arrivée au conseil des ministres. Mais non, il préfère laisser ce soin à Didier Reynders.
Alors, définitivement peu populaire Daniel Bacquelaine ? Par acquit de conscience, jetons un oeil sur les voix de préférence des élections réelles plutôt que sur les baromètres des instituts de sondage. Surprise : en 2014, Daniel Bacquelaine a réalisé le deuxième score de Wallonie, derrière l’inaccessible Elio Di Rupo. Dans la province de Liège, il a devancé Willy Demeyer, alors que le score général du MR est 5 % en dessous de celui du PS. Beaucoup d’hommes et de femmes politiques “populaires” se seraient satisfaits d’un tel résultat. Ajoutons aussi que depuis 1992, il est reconduit comme bourgmestre de Chaudfontaine, progressant encore au scrutin de 2012.
L’antithèse de Jacqueline Galant
En 2011, dans la course à la présidence du MR, il a fait mieux que challenger Charles Michel en récoltant 45 % des suffrages, un score bien au-delà de toutes les prévisions. “Lui qui n’aime pas la personnalisation et les attaques directes, il était pourtant presque à contre-emploi dans cet affrontement face-à-face, estime Alain Gerlache. Je pense que les gens retiennent que ses positionnements correspondent à son tempérament et non à une stratégie. Il est en accord avec lui-même et, dès lors, ses propos sonnent vrai. Ça détonne un peu dans ce monde politique actuel où l’on fait chaque jour la course à la petite phrase.”
Un tempérament naturel certainement mais aussi le fruit de l’expérience. Des déclarations agressives peuvent vous revenir en boomerang dans la figure, quand un discours précis et charpenté conforte une stature ministérielle. “Daniel Bacquelaine, c’est vraiment l’antithèse de Jacqueline Galant, conclut Alain Gerlache. Elle suscite le clash et cela lui retombe dessus. Il a aussi évité tout excès de personnalisation. A la SNCB, on parle du ‘plan Galant’ mais on dit ‘la réforme des pensions’, sans nécessairement y accoler le nom du ministre. ”
Lors des prochaines élections législatives, en 2019, Daniel Bacquelaine aura 66 ans. On se permet de douter qu’il applique alors sa réforme à lui-même en décidant de prendre sa retraite. Quand on a attendu si longtemps un premier mandat ministériel, on a légitimement envie de voir ce que l’électeur, le seul vrai juge en démocratie parlementaire, en a pensé. Quitte à travailler au-delà de 67 ans.
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