Comment éviter que les riches fuient la Belgique ?

Image d'illustration © Reuters

Le week-end dernier, l’annonce du déménagement vers la Suisse du Belge le plus riche, Alexandre Van Damme, a fait grand bruit. Nous avons abordé le sujet avec Luc De Broe, une autorité belge en matière de droit fiscal international, et d’autres spécialistes.

Alexandre Van Damme a-t-il senti venir l’orage ? Le descendant de l’une des familles brassicoles actionnaires d’AB InBev a-t-il déménagé vers la Suisse par crainte de l’un ou l’autre impôt sur la fortune dans son propre pays ? Ou le déménagement de Van Damme est-il plutôt motivé par un sentiment d’insécurité ? Nous ne le saurons probablement jamais avec certitude.

Il ne faut jamais instaurer un impôt sur la plus-value sans le lier d’emblée à une exit tax

C’est en tous les cas de l’eau au moulin des opposants à l’impôt sur la plus-value sur actions tel que souhaité par le CD&V. “Ce que je trouve incompréhensible, c’est que dans la proposition très détaillée du CD&V, deux pages pleines recto verso avec de nombreuses exceptions, il n’est nulle part question d’une ‘exit tax’. Un impôt sur la plus-value, il ne faut jamais l’instaurer sans le lier d’emblée à une exit tax”, nous explique Luc De Broe, professeur à la KU Leuven, associé auprès du bureau d’avocats Laga, et spécialiste en droit fiscal international.

Exit

De Broe souligne qu’il est toujours indispensable d’examiner les impôts sur la fortune dans un contexte international. Selon De Broe, il ne faut pas sous-estimer la mobilité des riches particuliers. “Souvenez-vous que les Français et les Hollandais fortunés ont subitement fui vers notre pays, lorsque la France et les Pays-Bas ont instauré une sorte d’impôt sur la plus-value. Depuis lors, la France et les Pays-Bas ont remédié à ce problème avec une exit tax. Tous les autres pays qui ont par la suite instauré l’une ou l’autre forme d’impôt sur la plus-value ont tiré les leçons du passé et ont, dès le départ, combiné cet impôt à une exit tax.”

Comment fonctionne une telle exit tax ? “Si vous déménagez, on examine alors l’accroissement d’actions entre la date d’achat et la date de départ vers l’étranger”, explique De Broe. “Si vous déménagez vers un pays n’appartenant pas à l’UE, vous devez dans ce cas simplement payer un impôt sur la plus-value réalisée au cours de la période où vous avez habité dans notre pays. Si vous déménagez vers un pays au sein de l’Union Européenne, c’est un peu plus compliqué. Une taxation ‘conservatrice’ sur cette plus-value est alors déterminée au moment de votre départ. Cette taxe n’est toutefois perçue qu’au moment où vous vendez vos actions – à l’étranger.”

De Broe: “La Cour de Justice de l’Union Européenne a déjà jugé à plusieurs reprises qu’un tel impôt n’est pas en contradiction avec la libre circulation du capital ou le libre droit d’établissement, à condition qu’il ne doive pas être payé immédiatement lors du départ. C’est difficile à suivre, mais dans l’UE, il y a un échange des données et une assistance administrative lors de la perception des impôts. Dans un pays comme la France, cela se déroulera probablement plus facilement que dans des pays comme Chypre ou la Grèce. En tous les cas, avec un tel impôt sur l’exit, vous freinez les comportements de contournement .

Autres mesures

Les autorités publiques et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ont planifié d’autres mesures, ces dernières années, pour contraindre les multinationales et les grosses fortunes à payer leur part équitable des impôts. Ces mesures fonctionnent-elles ? “Un certain nombre d’affaires ont été mises en mouvement au niveau international”, indique De Broe. “L’échange des rulings aura probablement le plus grand impact sur les Belges fortunés ayant des holdings à l’étranger. A partir de 2017, ces rulings ou accords seront échangés avec le fisc, et les pays pourront donc vérifier entre eux quels sont les bénéfices exonérés et quels frais peuvent être déduits des bénéfices. Les stateless income, ou les revenus qui ne sont imposés dans aucun pays, pourront ainsi être détectés et les pays pourront éventuellement aussi réclamer leur part d’impôt sur ces revenus.”

Les pays peuvent très bien s’engager rapidement vis-à-vis de l’OCDE, mais ils doivent ensuite traduire les accords dans la législation

Une autre importante mesure est l’échange automatique des données entre les pays concernant les comptes et les assurances. “Une centaine de pays se sont engagés à échanger les données par le biais du common reporting standard (CRS) de l’OCDE. Même des centres financiers notoirement réputés de paradis fiscaux, comme Singapour, Hong Kong, les Emirats Arabes Unis et le Qatar, y ont adhéré”, explique De Broe.

“On ne sait bien sûr pas si ces pays fourniront effectivement ces données au fisc belge. Prenons l’exemple d’un Belge ayant un compte à Hong Kong au nom d’un trust. Tant que Hong Kong ne signe pas les instruments internationaux nécessaires et/ou n’a pas de législation locale qui autorise de vérifier qui est le bénéficiaire final de ce trust, cet échange de données ne fonctionnera pas. Les pays peuvent très bien s’engager rapidement vis-à-vis de l’OCDE, mais ils doivent ensuite traduire les accords dans la législation. Vous ne pouvez également pas rassembler ces données et les transmettre manuellement. Il faut donc investir en IT, en personnel, etc. Ce n’est qu’alors que l’échange international fonctionnera également dans les faits.”

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