Qui est vraiment Michèle Hirsch ?

Grande gagnante du procès KB Lux, l’avocate remporte une nouvelle belle victoire dans le cadre de l’affaire des sociétés de liquidités, obtenant l’acquittement du prince Henri de Croÿ. Redoutable pénaliste, cette femme de conviction occupe une place à part au barreau de Bruxelles. Celle d’une icône collectionnant les combats judiciaires hors du commun.

Michèle Hirsch. Le nom de cette avocate bruxelloise ne vous dit rien ? C’est que vous n’avez pas bien suivi cette fameuse affaire KB Lux. Une saga judiciaire qui lui colle à la peau depuis une quinzaine d’années. Dans ce dossier, c’est elle qui a assuré la défense de Damien Wigny, l’ancien patron de la KB Lux, à l’époque filiale luxembourgeoise de la banque flamande Kredietbank (aujourd’hui KBC).

Convaincue que le juge Leys et ses enquêteurs n’ont pas respecté les règles de loyauté en matière d’instruction pénale, elle a mené, avec son confrère Adrien Masset, l’armada d’avocats des plaignants. Avec succès puisque l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bruxelles, le 10 décembre dernier, a acquitté tous les inculpés.

Une des rares pointures féminines du barreau Damien Wigny ne doit certainement pas regretter de l’avoir choisie au milieu d’une liste de pénalistes concoctée par l’ancien cabinet De Bandt, van Hecke et Lagae (devenu aujourd’hui Linklaters), dont la KB était un fidèle client, pour le défendre. C’est grâce à elle qu’il ne sera donc pas poursuivi, ainsi que les 13 autres prévenus dans le cadre de ce dossier KB Lux, considéré comme l’une des plus grosses affaires de fraude fiscale présumée que la Belgique ait connue.

De quoi renforcer encore un peu plus le statut de pointure du barreau bruxellois de Michèle Hirsch. Même si, modeste dans ses propos, l’intéressée ne voit pas les choses sous cet angle. “Cette victoire est d’abord celle de mon client, Damien Wigny, argumente-t-elle. C’est lui qui a mené ce long combat contre l’injustice, faisant preuve d’un courage extraordinaire. Notamment lors de son arrestation en 1997, lorsque je suis devenue son avocate. Sans sa ténacité et sa confiance, je n’aurais jamais pu mener avec lui ce long combat contre l’injustice.”

Ah, l’injustice ! Michèle Hirsch martèle, comme à son habitude, maniant les phrases bien senties comme d’autres la langue de bois. “Je ne supporte ni la tricherie ni l’opacité du silence, poursuit-elle. La détention de quelqu’un dans des conditions qui me paraissent injustes, cela m’est insupportable.” Et d’insister, paraphrasant l’ancien bâtonnier Jakhian : “Lorsque la justice se met en situation d’être jugée, la société est en danger de mort. Cela reflète assez bien ce que j’ai ressenti dans cette affaire KB Lux.”

De tous les combats contre l’impunité Grande dame du barreau ? L’affaire KB Lux n’est effectivement pas sa première grande victoire. Avocate chevronnée, pénaliste formée à l’ULB, spécialisée en droit pénal des affaires, droit pénal international (notamment en matière de compétence universelle), droit des victimes, droit pénal européen et droit pénal de l’environnement, Michèle Hirsch possède bien d’autres faits d’armes à son actif. Et pas uniquement sur le terrain des affaires financières, on l’aura compris.

En 30 ans de barreau, les multiples facettes de son talent l’ont d’abord menée à se distinguer dans des procès totalement étrangers au monde du business. Des rescapés du génocide rwandais aux femmes battues en passant par les enfants victimes de violences sexuelles. Sans oublier certaines affaires retentissantes liées au monde politique.

A cet égard, on se souviendra qu’avec la défunte Anne Krywin, elle a défendu un ancien ponte du PS bruxellois, Merry Hermanus, dans le procès Agusta-Dassault. Mais aussi l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, Edith Cresson, lorsque celle-ci était commissaire européenne, et l’Etat d’Israël dans le cadre de la plainte devant la justice belge contre l’ancien Premier ministre en fonction Ariel Sharon. “Une grosse affaire, se souvient Michèle Hirsch. La loi de compétence universelle a changé après notre intervention.” C’était une affaire également très médiatique, qui, comme d’autres auparavant, ne lui a pas valu que des commentaires positifs. A cause de l’ego et de l’opportunisme que lui prêtent certains ? Cette femme que l’on dit chaleureuse n’est pourtant ni une militante ni le docile maillon d’un réseau ou d’une communauté. “Je n’accepterai jamais de faire partie d’un club qui m’accepterait comme membre”, rétorque-t-elle, citant Groucho Marx. D’accord. Mais “elle peut tout de même se montrer agaçante dans la mesure où elle veut toujours avoir le dernier mot”, juge un ténor du barreau.

Aussi crainte que respectée Qu’importe ! Me Hirsch n’a pas peur de son ombre. Elle ose prendre des risques, dit-on. Et rend ses confrères prolixes lorsqu’il s’agit de la décrire. Opiniâtre et loyale sont les termes qui reviennent le plus souvent dans la bouche de ses confrères avocats qui la connaissent bien. “Au barreau, elle est aussi crainte que respectée”, lâche l’un d’entre eux. C’est aussi une personnalité très émotive qui ne se confie pas facilement. “Une travailleuse doublée d’une femme de feeling”, commente un autre de ses pairs.

D’où lui vient cette empathie qui la place d’instinct du côté des victimes ? En grande partie de son histoire familiale et de ses parents déportés. Née d’une mère assistante sociale et d’un père connu pour être l’un des tout premiers thérapeutes familiaux européens, elle aurait voulu être psychanalyste. Mais après une année de médecine, elle bifurque vers le droit : “C’était écouter les gens ou parler à leur place”, dit-elle en fille d’immigrée, avant d’ajouter qu'”en combattant l’injustice, je me reconstruis”.

La suite, ce sont les premiers pas dans le métier au cabinet de l’avocat Jules Wolf, un ancien résistant. Elle y alterne causes sociales, difficiles voire carrément désespérées, avant d’ouvrir une parenthèse en tant qu’assistante à l’université. Professionnelle ambitieuse, très attachée aux droits de l’homme, par ailleurs favorable à la dépénalisation de la prostitution libre, Michèle Hirsch s’illustre alors assez vite sur le terrain des dossiers sensibles. On la retrouve ainsi dans les dossiers Spartacus, des prostituées de Bruxelles ou l’affaire de la champignonnière, pour ne citer que ceux-là.

De fil en aiguille, elle fonde son propre cabinet, avec sa s£ur Carine, spécialisée en droit bancaire et financier. Une association qui ne compte aujourd’hui que des femmes, “engagées au fil des rencontres”, confie Michèle Hirsch. On y travaille beaucoup en équipe. Et cela fonctionne. Avec des affaires financières qui font de plus en plus l’objet de poursuites pénales, le département “droit pénal financier” ne chôme pas. “Il arrive que les grands cabinets de la place nous confient certains aspects de leurs dossiers pénaux”, avance Michèle Hirsch fièrement.

Est-ce cela qui fait courir Michèle Hirsch, cette mère de trois enfants à la cinquantaine animée par le refus du paraître? Un besoin de reconnaissance ? Sans aucun doute. Un insatiable besoin de réussite ? Oui, mais surtout aux yeux d’un certain establishment qui ne l’a pas toujours ménagée, mais où elle est, aujourd’hui, aussi crainte que respectée. Tout en étant imprévisible, en ce sens qu’on peut, paraît-il, difficilement entrevoir sa stratégie à l’avance. Quand on vous disait que Me Hirsch était une avocate pas comme les autres…

SÉBASTIEN BURON

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content