Marco Van Hees, le trublion des Finances
Fonctionnaire au ministère des Finances, syndicaliste, journaliste à ses heures, Marco Van Hees est aussi un auteur iconoclaste qui n’hésite pas à égratigner son propre patron, le ministre Didier Reynders, ainsi qu’un certain establishment belge.
Facétieux, Marco Van Hees. Voilà comment, de prime abord, on pourrait qualifier ce quadragénaire à la fois réservé et doté d’un humour décapant. Le regard malicieux et le sourire en coin, petites lunettes rondes et barbe de trois jours, il ne rate en effet jamais une occasion de plaisanter. On en viendrait presque à oublier qu’il est inspecteur des impôts. Ne vous fiez pourtant pas aux apparences. Car sous ses dehors accommodants, le personnage ne perd pas pour autant sa rigueur professionnelle. “A côté d’une liberté d’expression des agents du fisc qui est reconnue, il existe un devoir de réserve, rappelle-t-il d’emblée. Je ne parle donc jamais des dossiers des contribuables que je traite.” Nous voilà prévenus. Pour les indiscrétions, on repassera.
Atypique mais visiblement sérieux. Tel est donc Marco Van Hees. Un peu à l’image de cette double vie qui voit ce Bruxellois d’origine, ayant élu domicile à Carnières, profiter d’un horaire à mi-temps au service “Impôts des sociétés”à Mons pour pouvoir faire d’autres choses à côté. Délégué syndical CGSP, il donne par exemple des formations sur les matières fiscales. Surtout, ce licencié en sciences politiques (ULB) aime écrire. “Ecrire me passionne, explique-t-il. J’aime intéresser le lecteur à certaines matières rébarbatives en les rendant compréhensibles par le bais de l’humour. Et puis, cogiter quotidiennement sur des jeux de mots improbables est quasiment un vice chez moi !”
Militant d’extrême gauche
Ses jeux de mots, Marco Van Hees les couche régulièrement sur le papier de l’hebdomadaire Solidaire, proche du Parti du Travail de Belgique (PTB). Une formation politique dont il est par ailleurs membre et sous la bannière de laquelle il s’est présenté aux dernières élections européennes. Sans succès. Par ailleurs, il est l’auteur d’une série d’ouvrages défendant une autre vision de l’économie dont C’est pas nous, c’est eux. Les fondements idéologiques de l’anti-tiermondisme (1990 – tiré de son mémoire de fin d’études) ; La fortune des Boël (2006) ; Didier Reynders, l’homme qui parle à l’oreille des riches (2007) ; Le Frankenstein fiscal du Dr Reynders (2008) et plus récemment Banques qui pillent, banques qui pleurent. Dans ce dernier livre, publié comme les autres aux éditions Aden, au titre et à la couverture qui illustrent bien le caractère ironique de sa plume, Marco Van Hees enquête sur les pratiques commerciales qui ont permis aux banques de réaliser, ces dernières années, de plantureux profits “en cambriolant les clients, le personnel et l’Etat”, affirme-t-il, soulignant au passage que “s’il est dit que le client est roi, les banquiers doivent être des républicains convaincus”.
Chiffres et témoignages à l’appui, il fustige la vague de privatisation de nos institutions financières, et montre aussi comment cet enrichissement s’est opéré, selon lui, de façon légale mais aussi, parfois, de façon tout à fait illégale. Le tout avant de raconter leur terrible chute et de plaider pour la création d’une banque publique “au service des gens et non au service du fric” : une Fritibanque, sur le modèle de la banque néo-zélandaise Kiwibank. “Pendant plus de 130 ans, la CGER a fonctionné sans la moindre intervention de l’Etat, remarque-t-il. Par contre, 10 ans à peine après être passée sous le giron de Fortis, elle a dû faire appel aux pouvoirs publics sous peine d’être déclarée en faillite.” Et dire qu'”elle a été créée en 1865 par Walthère Frère Orban, un ministre des Finances… libéral”, ajoute-t-il.
Partisan mais crédible
Le lecteur l’aura compris, les propos du “petit” fonctionnaire de Mons ne sont pas vraiment du genre consensuel. Non, son style est plutôt direct. Engagé. Et ses pamphlets débouchent généralement sur une thèse : créer une banque publique, instaurer un impôt sur la fortune, supprimer les intérêts notionnels, etc. D’où la question : Marco Van Hees est-il vraiment crédible ? Lui qui n’hésite pas à ricaner sur son site Internet – www.frerealbert.be – des “riches”, comme Albert Frère dont “les holdings paient moins d’impôts que sa concierge” ou des Lippens lorsqu’ils cèdent via la Compagnie du Zoute la réserve naturelle de Knokke en titrant son texte Les rapaces quittent le Zwin… le tout compilé dans un Guide du richard. A ses détracteurs, il rétorque que ses articles, tout comme ses ouvrages dont certains s’attaquent vertement au ministre des Finances – il préfère dire “de la Finance” ou “des banquiers” – Didier Reynders, n’ont jamais fait l’objet de la moindre attaque en justice. De même qu’il affirme n’avoir jamais été ni sanctionné ni censuré par son administration. “En réalité, je ne vise pas la personne de Didier Reynders en tant que telle dans mes livres. Plutôt sa politique fiscale. D’autres ministres des Finances avant lui ont pratiqué le même genre de politique. Il n’a par exemple pas inventé les centres de coordination.”
Il faut dire aussi que Marco Van Hees sait de quoi il parle. Entré au ministère des Finances voici bientôt 20 ans, après avoir travaillé pendant deux ans à l’ancienne CGER, il a une bonne connaissance du monde bancaire et des subtilités de notre système fiscal. Ce qui lui permet de livrer dans ses bouquins des analyses documentées et didactiques sur des sujets aussi variés et ardus que la QFIE (quotité forfaitaire d’impôt étranger), la fraude fiscale, le secret bancaire, les centres de coordination, les intérêts notionnels, l’amnistie fiscale, l’impôt sur la fortune, la progressivité de l’impôt, etc. Ainsi dans Banques qui pillent, banques qui pleurent, il estime que les quatre plus grandes banques belges ont été soumises, en 2006, à un taux d’imposition moyen de 6,87 % sur un bénéfice de 7,1 milliards d’euros. “Voici le quarté dans l’ordre : Fortis Banque (3,02 %), Dexia Banque Belgique (4,96 %), ING Belgique (7,28 %), KBC Bank (15,78 %). Et ce, sachant que le taux officiel de l’impôt des sociétés est de 33,99 %.”
Autre exemple : au moment du conflit social chez InBev en début d’année, un rapide calcul lui a permis d’estimer le montant des intérêts notionnels dégagés par le centre de coordination du brasseur louvaniste. “Un chiffre qui a été repris par la presse et à la suite duquel les députés Alain Mathot et Marie Arena ont déposé un projet de loi réformant le mécanisme des intérêts notionnels”, avance-t-il.
Un petit-déjeuner avec Elio Di Rupo
A vrai dire, ce n’est pas la première fois que Marco Van Hees inspire les milieux de gauche. Il y a trois ans déjà, son brûlot anti-Reynders (Didier Reynders : l’homme qui parle à l’oreille des riches), édité en 2007 avant les élections législatives, avait retenu l’attention dans les cénacles du parlement. Ainsi, la sénatrice Joëlle Kapompolé (PS) reconnaît y avoir à l’époque puisé plusieurs arguments de sa proposition de loi visant à réformer les comptes d’épargne.
Quelques mois plus tard, toujours en cette même année 2007, Elio Di Rupo en personne le conviait à partager le petit-déjeuner à son domicile montois.Non pas parce que ce dernier révélait dans son livre que Didier Reynders aurait bénéficié de l’hospitalité d’Albert Frère dans sa somptueuse villa de Marrakech. Mais bien parce qu’il passait en revue les actions menées par le ministre, de la réforme fiscale de 2001 à la vente des bâtiments de l’Etat en passant par la DLU et les intérêts notionnels. Des réformes qui ont surtout profité, selon Marco Van Hees, aux grosses fortunes du pays. “Peut-être Elio Di Rupo était-il à l’époque en recherche d’un positionnement du PS sur le terrain des intérêts notionnels ?”
Actuellement, avec Banques qui pillent, banques qui pleurent, Marco Van Hees est fort demandé pour faire des exposés pour le compte de différentes organisations telles que la FGTB ou Attac. D’Arlon à Comines en passant par Morlanwelz. Tout comme la RTBF, Télémoustique et La Libre Belgique se sont intéressés à lui à l’occasion de la sortie du livre en début d’année. Bref, cette activité d’écrivain polémiste lui vaut aujourd’hui une certaine reconnaissance publique. Qui visiblement ne l’émeut guère. “Si je peux par moments avoir des airs de grande gueule, j’ai généralement tendance à relativiser les choses”, conclut-il imaginant déjà un prochain livre sur un certain Albert Frère.
Sébastien Buron
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