Xiaomi, le fabricant de smartphones qui ne veut pas faire (trop) de profit

Alvin Tse, responsable marketing de Xiaomi pour le marché européen " Notre modèle est celui de la vente directe aux consommateurs. " © photos PG

La marque chinoise débarque officiellement en Belgique. Sa stratégie axée sur les prix les plus bas peut-elle déstabiliser le trio Samsung-Huawei-Apple ?

Xiaomi vient d’annoncer son arrivée officielle sur le marché belge. Le fabricant chinois poursuit son implantation sur le continent européen, entamée voici un an environ. Avec un certain succès, puisque Xiaomi est parvenu en peu de temps à devenir le troisième plus gros vendeur de smartphones sur le marché espagnol, le quatrième sur le marché italien et le cinquième sur le marché français.

Le fabricant chinois est l’une des marques les mieux positionnées pour venir titiller la domination du trio gagnant Samsung-Huawei-Apple (voir graphique ” Un marché partagé “). En 2018, Xiaomi a vendu 118 millions de smartphones dans le monde. Très forte en Chine, mais aussi dans de grands pays comme l’Inde ou l’Indonésie, l’entreprise est désormais la quatrième force du marché mondial du smartphone, avec 8,7% de parts de marché, selon le consultant spécialisé IDC.

Tarifs agressifs

Sa stratégie est entièrement focalisée sur les prix les plus bas. C’est ce qu’a voulu démontrer Xiaomi lors de son lancement officiel sur le Benelux, organisé à Amsterdam. A grands renforts d’effets sonores tonitruants, la marque chinoise a tenu à souligner que chacun de ses appareils était vendu à un tarif très agressif par rapport à la concurrence. Le Mi9, son smartphone positionné sur le segment ” haut de gamme “, démarre à 449 euros. Soit 200 à 300 euros de moins que les flagships des principaux acteurs du marché (Samsung Galaxy S10, Huawei P30, iPhone X d’Apple).

” Le positionnement de Xiaomi est assez clair : de bonnes spécifications à des prix moins chers “, observe Grégoire Tack, directeur commercial de Fnac-Vanden Borre. Les deux enseignes proposent déjà depuis quelques mois les appareils de Xiaomi. ” Ça décolle correctement “, avance Grégoire Tack, qui ne révélera pas les chiffres de vente.

Xiaomi a fait une première percée discrète sur le marché belge, pendant laquelle le fabricant chinois s’est contenté de proposer ses appareils sur des sites de vente en ligne comme Bol.com ou Coolblue. Ensuite, les contacts avec des magasins spécialisés comme Fnac, Vanden Borre ou Krëfel ont été établis. Xiaomi est désormais également présent chez Cora ou encore dans la chaîne de magasins d’électronique Exellent. Par contre, pas de trace de la marque chez Media Markt, un acteur pourtant incontournable en Belgique. Les discussions sont en cours, mais elles n’ont pas encore pu aboutir : ” Leur business model nous interpelle, nous nous posons quelques questions. Leur stratégie pour l’Europe n’est pas clarifiée pour le moment “, nous explique Sven Degezelle, country manager Belux de Media Markt – Saturn.

Xiaomi, le fabricant de smartphones qui ne veut pas faire (trop) de profit

Vente directe

Contrairement aux autres grands fabricants de smartphones, Xiaomi ne travaille pas encore en direct avec les revendeurs. Des grossistes jouent le rôle d’intermédiaire entre la marque et les magasins. Pour le Benelux, c’est la société Tekpoint qui a été désignée comme revendeur officiel. ” Media Markt est un client très exigeant “, avance Mark Schwarzgorn, CEO de Tekpoint. La chaîne de magasins veut évidemment s’assurer une marge suffisante sur la vente des appareils, tout comme le grossiste Tekpoint. Les discussions achoppent probablement sur cette épineuse question financière. Mais au-delà, c’est tout le modèle de distribution de Xiaomi qui est mis en cause par Media Markt : ” En Chine, ils ont un modèle de vente directe où le retailer est exclu de la chaîne “, remarque Sven Degezelle. ” Notre modèle est celui de la vente directe aux consommateurs “, confirme Alvin Tse, responsable marketing de Xiaomi pour le marché européen.

Le Mi9, positionné sur le segment
Le Mi9, positionné sur le segment ” haut de gamme “, démarre à 449 euros.

Ce n’est évidemment pas le genre de modèle qui arrange les grandes enseignes. Mais cela cadre avec la volonté affichée par Xiaomi de s’affranchir des circuits traditionnels de distribution. La marque a choisi de bâtir sa notoriété en ligne. Elle aime insister sur sa communauté de ” fans “, essentiellement des millennials férus de technologie qui apprécient les prix plancher pratiqués par Xiaomi. Lors de son lancement sur le marché Benelux, la marque avait pris soin d’inviter quelques dizaines de ces ” fans ” pour assurer les applaudissements dans la salle.

Marketing en ligne

Créée en 2010, Xiaomi cultive une image de jeune challenger prêt à bousculer les codes, quitte à snober les canaux traditionnels du marketing. La marque estime ne pas avoir besoin de s’afficher sur des panneaux publicitaires géants, ni de multiplier les spots télé ni d’acheter des pleines pages de pub dans les journaux. ” En Chine, notre budget marketing est de… zéro yuan. Tout se passe sur les réseaux sociaux “, assure Alvin Tse. Difficile d’imaginer cependant que les conversations au sujet de la marque s’initient spontanément sur les réseaux sociaux. Pour animer et stimuler sa communauté de ” fans “, la firme passe aussi par l’intermédiaire de certains influenceurs, qui ne travaillent probablement pas tous bénévolement…

Une chose est sûre : la démarche marketing est très différente de celle de ses trois concurrents bien établis. Pas sûr que ce genre de stratégie soit la plus adaptée à un marché comme la Belgique, qui reste relativement conservateur. Par comparaison, les dirigeants de Huawei ont choisi une autre voie pour attaquer – avec succès – le marché belge (lire l’encadré ” Huawei peut-il inspirer Xiaomi ? “).

En Belgique, l’e-commerce est à la traîne par rapport aux autres pays européens. Les ventes en magasin restent primordiales pour atteindre une part de marché significative. Soigner ses relations avec les distributeurs sera un des défis de Xiaomi dans les mois et les années à venir. Tant Apple que Samsung et Huawei ont développé des comptoirs spéciaux au sein des magasins spécialisés, afin de présenter avantageusement leurs appareils. Si Xiaomi ne le fait pas, ses smartphones resteront alignés en rayon à côté des marques les moins attractives (LG, Sony, Nokia, Motorola, etc.), qui se contentent aujourd’hui de ramasser les miettes.

” Les petites marques se partagent 15% du marché. Au sein de celles-ci, de plus en plus d’acteurs chinois apparaissent, comme Oppo ou Honor (une marque qui dépend de Huawei, Ndlr). Xiaomi a les moyens de s’imposer, mais tout dépendra de la qualité de ses produits et de son approche commerciale “, estime Grégoire Tack. Si Xiaomi ne consent pas des investissements conséquents dans le marketing, le directeur commercial de Fnac-Vanden Borre doute que la marque puisse décoller et convaincre le grand public.

Pour acquérir une certaine visibilité sur le marché belge, Xiaomi devra aussi conclure des partenariats avec les opérateurs. Leurs réseaux de boutiques restent des portes d’entrée importantes pour les clients belges. Et les offres conjointes (abonnement mobile + smartphone) peuvent être de belles campagnes de promotion pour les marques.

Du côté de Proximus, on affirme ne pas avoir eu de contact avec Xiaomi : ” C’est encore un peu flou “, souligne Vincent Vanderstraeten, responsables des devices chez Proximus. Il s’interroge sur la stratégie de Xiaomi : ” Si nous nous engageons avec une marque, c’est sur le long terme. Nous attendons de voir si leur arrivée en Belgique n’est pas un effet d’annonce. Mais nous les prenons au sérieux, il ne faut certainement pas les sous-estimer. Ils ont les moyens de bousculer un marché qui est assez figé aujourd’hui autour de trois acteurs dominants “, pointe Vincent Vanderstraeten.

Trottinettes, valises et aspirateurs

Xiaomi est déjà un acteur qui compte sur le marché des produits technologiques. En 2018, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 23 milliards d’euros, en hausse de… 52% sur un an. Les ventes de smartphones représentent 65% des revenus du groupe. Mais Xiaomi possède une gamme de produits extrêmement diversifiée. L’entreprise se spécialise dans les appareils connectés. Elle vend, en vrac, des trottinettes électriques, des capteurs d’humidité, des ventilateurs, des bracelets fitness de type Fitbit, des aspirateurs, des chaussures de sport ” intelligentes “, des valises, des casques audio, des enceintes connectées, des rasoirs électriques, etc.

Tous ces appareils se connectent via une application unique pour smartphone. Xiaomi revendique 150 millions d’appareils connectés dans le monde. ” Notre objectif est de connecter 70% de la population mondiale “, lance avec aplomb Alvin Tse, responsable marketing de Xiaomi pour le marché européen. La stratégie de l’entreprise est d’inonder le monde avec des produits connectés vendus à des prix très agressifs : ” Nous voulons construire un écosystème de produits. Ensuite, nous pourrons proposer des services payants à nos clients pour tirer profit de cet écosystème “, explique Alvin Tse.

Le type de service payant que l’entreprise pourra proposer n’est pas encore très clair. Mais l’idée principale qui anime Xiaomi est de rentabiliser ses investissements dans la vente de logiciels plutôt que dans la vente de produits. Le fabricant chinois s’est même fixé une étonnante ligne rouge : Xiaomi refuse de dégager plus de 5% de marge nette sur la vente de ses appareils ! Ce marqueur financier fait évidemment partie de la posture marketing de la marque, qui tient à montrer qu’elle n’est pas là pour ” tondre ” ses clients. Reste qu’une société qui s’engage à ne pas faire (trop) de profits, ce n’est pas banal.

Huawei peut-il inspirer Xiaomi ?

En quelques années à peine, le fabricant chinois Huawei s’est imposé en numéro deux du marché belge du smartphone, avec environ 20% de parts de marché. Et ses ambitions sont encore plus élevées : ” Notre objectif est de devenir numéro un d’ici deux ans. Pour cela, nous devons dépasser les 30% de parts de marché “, assène Allen Yao, responsable de la division consommateurs de Huawei en Belgique et au Luxembourg.

Xiaomi peut-il s’imposer aussi vite que son grand frère chinois ? Des similitudes existent entre les deux entreprises. A ses débuts, Huawei s’est aussi positionné avec des appareils de qualité à bas prix. Huawei n’était sans doute pas aussi agressif que Xiaomi, mais le fabricant veillait à proposer des tarifs plus accessibles que les leaders du marché. Au fur et à mesure que Huawei a grappillé des parts de marché, l’entreprise a eu tendance à s’aligner sur la concurrence.

Par contre, Huawei a voulu dès le début se fondre dans le moule du marché belge, très fort orienté sur les ventes en magasins physiques : ” Nous investissons dans des relations fortes avec les chaînes spécialisées comme Media Markt, Vanden Borre ou la Fnac, mais aussi avec les opérateurs et leurs boutiques. Dans tous les magasins, nous développons des espaces dédiés à nos produits premium. C’est important pour notre image de marque “, explique Allen Yao.

Pour s’implanter sur le marché belge, Huawei a constitué des équipes locales. Le fabricant a une fameuse longueur d’avance sur Xiaomi : Huawei est présent depuis 15 ans en Belgique, via son activité de fournisseur d’équipement télécoms pour des opérateurs comme Proximus : ” Au fil du temps, nous avons appris à mieux connaître le marché belge “, souligne Allen Yao. Près de 300 personnes travaillent pour Huawei en Belgique, dont 200 pour son département recherche et développement.

Pour le moment, Xiaomi n’a pas réellement engagé d’équipe dédiée au marché belge. Seules quelques personnes basées à Amsterdam gèrent le Benelux, et l’entreprise sous-traite la vente de ses produits à un grossiste. Le patron de Huawei en Belgique ne semble pas inquiet de cette nouvelle concurrence chinoise : ” Pour réussir, Xiaomi aura besoin de temps et devra s’appuyer sur des équipes locales fortes pour comprendre le marché belge, comme nous l’avons fait “, estime Allen Yao.

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