Consommation: le retour des choix réfléchis?
Se serrer momentanément la ceinture, c’est une chose, mais les prix élevés de l’énergie et des produits alimentaires pourraient aussi avoir des conséquences structurelles sur le comportement des consommateurs. Du moins certains…
Le niveau élevé des tarifs de l’énergie est un véritable casse-tête pour beaucoup d’entre nous. La guerre en Ukraine ne fait qu’aggraver la situation et pousse les prix des produits alimentaires à la hausse. Dans une enquête réalisée par Ipsos fin mars, la moitié des participants disaient épargner sur les frais de chauffage. Quatre sur dix essayaient de réduire leurs dépenses en alimentation et en vêtements. Les dépenses en cafés et restaurants (38%), loisirs (34%) tels que cinéma et parcs d’attractions, et en voyages (31%) étaient limitées.
Se serrer momentanément la ceinture est une chose mais cette situation risque-t-elle de modifier de façon structurelle nos habitudes de consommation? Frederic Vermeulen, professeur d’économie à la KULeuven, nuance: “Même si les prix restent élevés à moyen et long terme, il ne faut pas s’attendre à de grands changements. L’alimentation et l’énergie sont des besoins fondamentaux dont l’élasticité de prix est limitée. Autrement dit, des hausses n’entraînent pas de facto une diminution sensible de la demande.
A court terme, il est donc vraisemblable que le pourcentage du budget alloué à ce type de produits augmente puisque le consommateur aura naturellement tendance à rogner sur d’autres produits. Ceux de luxe, principalement.”
Effet rouge à lèvres
Confirmation de Malaika Brengman, professeure de comportement du consommateur à la VUB, qui rappelle toutefois combien le consommateur peut aussi se laisser guider par ses émotions. “En temps de crise, l’homme consomme aussi pour se sentir mieux. C’est le fameux effet lipstick. Après les attentats du 11 Septembre, les ventes de rouge à lèvres ont explosé ainsi que les dépenses pour quantité d’autres menus plaisirs. De la même manière, nombreux sont les consommateurs qui attendaient avec impatience la fin de la pandémie pour se faire à nouveau plaisir. C’est ce qu’on appelle le revenge spending. Ceux qui ne sont pas encore véritablement dans le besoin ne sont pas près d’annuler leurs projets de voyages ou d’achat de luxe.”
Quid si l’inflation perdure? “Le raisonnement est le même, du moins en ce qui concerne la part des postes de dépenses dans le budget global, assure Frederic Vermeulen. Ceci dit, le risque de changement au sein des catégories est réel. Les consommateurs se mettront en quête de panneaux solaires et d’alternatives moins énergivores. Du côté de la production également, des changements sont à prévoir. La Russie et l’Ukraine sont les greniers à grain du monde. Par exemple, si l’importation de ces pays diminue, la culture de variétés céréalières locales pourrait redevenir financièrement intéressante et de nouveaux produits pourraient voir le jour. La crise du pétrole des années 1970 a conduit à la création de modèles de voitures nettement plus sobres.”
Malaika Brengman corrobore. “La consommation consciente, telle que les vêtements de seconde main et l’agriculture locale, était déjà une tendance bien établie. Ce genre de tendance a souvent une dimension non financière également, par exemple la prise de conscience accrue des problèmes climatiques ou des conditions de travail dans lesquelles les produits sont fabriqués. Mais une inflation persistante peut avoir un effet accélérateur.”
Prix durablement élevés
Les prix resteront-ils élevés? Ceux de l’énergie, certainement, affirme Johan Albrecht, professeur d’économie à l’UGent. “C’est tout sauf une onde de choc de courte durée. La hausse des prix n’est pas due uniquement à l’invasion de l’Ukraine mais à un concours de circonstances qui trouvent leur origine dans la pandémie principalement et qui risquent bien de perdurer.”
Le prix du gaz est resté stable voire en légère baisse pendant 10 ans, rappelle Johan Albrecht: “Après la crise du pétrole des années 1970, le gaz, moins polluant que le charbon, coïncidait parfaitement avec les stratégies de diversification. La préoccupation accrue pour le climat rendait le secteur attrayant. La multiplication des producteurs et des fournisseurs a donc eu pour effet d’accroître l’offre et de faire baisser les prix.”
Mais la crise du coronavirus a tout chamboulé. “L’année 2020 a été catastrophique pour le secteur. Quantité de projets et d’investissements ont été supprimés. Mais la mise à l’arrêt de l’économie a été bien plus courte que prévu et quand la demande mondiale d’énergie est repartie à la hausse, l’offre n’arrivait pas à suivre. A cela s’ajoutent quelques phénomènes météorologiques extrêmes en Amérique et en Asie. Le quadruplement du prix du gaz par rapport à l’an dernier est donc dû à la combinaison inédite de l’invasion russe et de plusieurs facteurs structurels.”
Danger pour l’horeca et le tourisme
Pour mettre un terme à sa dépendance du gaz russe, l’Europe doit relever un défi de taille, celui de l’énergie abordable, poursuit Johan Albrecht: “Mais nous ne cueillerons les fruits de cette politique que dans quelques années.”
D’autant qu’à ses yeux, la comparaison avec la crise du pétrole des années 1970 ne tient pas totalement la route, “A l’époque, il n’y avait pour ainsi dire qu’un seul problème majeur: la crainte d’une diminution structurelle de la production pétrolière au Proche-Orient, tempère Johan Albrecht. A la cherté actuelle de l’énergie s’ajoutent d’autres problèmes économiques, comme la déficience des chaînes d’approvisionnement, le manque d’investissements en 2019 et 2020, la pénurie générale de matières premières. Si le consommateur se met à épargner de façon structurelle sur les dépenses non indispensables, l’horeca et le secteur touristique risquent de replonger. Il est possible de transformer cette crise en opportunité mais il faut aussi veiller à ce qu’elle ne devienne pas trop pénible à court terme.”
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