Faut-il avoir peur de la pension à points?
La réforme du système des pensions divise fortement patrons et syndicats. Le gouvernement parviendra-t-il, malgré tout, à déposer un projet de pension à points sans relancer la grogne sociale à quelques mois des élections ?
La FGTB a brandi l’ultimatum : elle menace d’organiser des actions de protestation, y compris des grèves, si le gouvernement maintient son projet de pension à points. Le syndicat qualifie cette réforme de ” loterie “, car elle ne permet pas à un travailleur de connaître le montant futur des points et donc de sa pension. ” Il ne s’agit pas d’un système à points, s’insurge la FGTB, mais bien d’un système ‘à trous’ : un gouvernement pourra décider de geler la valeur de vos points pendant des années pour combler d’éventuels trous dans le budget. ”
Les partenaires sociaux n’ont pu avancer sur la question de la pension à points. Le dernier rapport du Comité national des pensions, transmis au ministre à la mi-janvier, est éloquent à cet égard : il juxtapose les arguments des uns et des autres, sans parvenir à relever des points de convergence. La balle est donc le camp du ministre des Pensions Daniel Bacquelaine. Il déposera prochainement une proposition concrète sur le sujet. En attendant, évaluons les critiques les plus fréquentes à l’égard de ce concept de pension à points.
1. La pension à points, c’est une loterie.
La critique syndicale repose sur un élément incontestable : personne ne peut dire aujourd’hui quelle sera la valeur d’un point de pension en 2025, quand le système sera mis en place. Elle sera fixée chaque année selon une formule intégrant le salaire moyen de référence, la durée de référence des carrières et un taux de remplacement. Ces paramètres évolueront notamment en fonction de l’espérance de vie et de la soutenabilité financière du système. D’où un élément aléatoire et, en tout cas, soumis aux choix des futurs gestionnaires. Et, de fait, une imprévisibilité quant au montant de la pension future.
Or, les citoyens veulent connaître ce montant. Ils le montrent en se ruant sur le site mypension.be, qui vous délivre un chiffre au centime près, en brut et en net. ” Cela donne l’illusion d’un montant garanti, mais c’est une fausse illusion, objecte Pierre Devolder, professeur de statistiques à l’UCL et membre du comité académique des pensions. Le système peut être revu à tout moment, selon n’importe quels critères. Le modèle que nous proposons fixe, lui, des règles de calcul explicites et objectives. Les paramètres sont connus, le modèle est en ce sens plus prévisible. Certes, personne ne peut prédire quelle sera exactement l’espérance de vie en 2050, il y a donc une dose d’incertitude. Ce risque démographique doit-il être assumé par les seuls actifs ou également en partie par les retraités ? C’est un choix de société. ” L’incertitude est toutefois limitée car le ministre des Pensions Daniel Bacquelaine assure que la valeur des points ne pourra jamais être révisée à la baisse. “Mais elle pourra être gelée comme le gouvernement a gelé l’index”, lâche Anne Léonard, secrétaire fédérale de la CSC.
Dégager des moyens supplémentaires n’est en rien incompatible avec une réforme du système des pensions.
Si cette incertitude inquiète les représentants des travailleurs, le monde patronal salue en revanche l’idée d’un mécanisme d’ajustement automatique des pensions et/ou des carrières de référence à l’évolution d’une série de paramètres connus. ” En soi, nous ne sommes ni en faveur ni contre la pension à points, souligne Marie-Noëlle Vanderhoven, conseillère Pensions à la FEB. Mais si la réforme est construite avec une faculté d’adaptation aux réalités objectives de demain, nous trouvons cela intéressant. Comme nous trouverions intéressant qu’elle permette d’avancer vers une harmonisation entre les régimes, vers un système plus équitable entre tous les citoyens. ” Ce dernier point n’est pas gagné, car il impliquerait de rogner sur les avantages actuels des fonctionnaires en matière de pension. Il se pourrait donc que la valeur d’un point de pension diffère selon les statuts professionnels.
2. La pension à points, c’est une voie pour contourner l’enjeu prioritaire : la hausse des plus petites pensions.
Les pensions moyennes en Belgique s’élèvent aujourd’hui à 1.181 euros pour les hommes et 882 euros pour les femmes. C’est évidemment insuffisant pour vivre décemment et c’est pourquoi les syndicats veulent revaloriser les pensions. La FGTB a fixé un chiffre sur cette revalorisation : porter la pension minimum de 1.212 à 1.500 euros.
Ce chiffrage appelle trois remarques. D’abord, le niveau moyen des pensions reflète la durée moyenne des carrières. Elle est à peine de 32,6 ans en Belgique (chiffre 2016 d’Eurostat), soit trois ans de moins que la moyenne européenne. Si, demain, les Belges travaillent un peu plus longtemps, le montant des pensions s’améliorera, réforme ou pas. Ensuite, la question de la pension minimale n’est pas antinomique de celle de la pension à points. Le système peut parfaitement intégrer un seuil plancher parmi les paramètres de calcul (ce n’est toutefois pas prévu à ce stade). Enfin, une récente étude du Bureau du Plan a montré que le système à points favoriserait les travailleurs peu qualifiés, ne bénéficiant que d’une très petite pension. Il y aurait donc une sorte de rééquilibrage parmi les retraités.
Depuis le début de la législature, les pensions minimales ont été relevées de 98 euros mensuels pour les salariés et de 159 euros pour les indépendants (avec une carrière de 45 ans).
3. La pension à points, c’est un instrument pour allonger les carrières.
Sur ce point, il n’y a pas de discussion : ” La pension à points intègrera les différentes réformes déjà adoptées et qui visent à retarder le départ à la retraite”, confirme le cabinet de Daniel Bacquelaine. C’est l’élément central de l’équilibre financier durable des pensions légales. Trois ans de plus au travail, c’est trois ans de plus en cotisant et trois ans de moins en percevant les allocations.
Ce point est tellement central que les syndicats craignent de voir la carrière de référence (qui entre dans le calcul de la valeur des points de pension) rallongée au fil du temps pour des raisons budgétaires. Et comme les travailleurs âgés peinent à trouver leur place sur le marché du travail, cela réduirait de facto le montant de leurs pensions. ” La réforme des pensions n’est qu’un élément du puzzle, convient Pierre Devolder. Il faut réduire les incitants à quitter plus tôt, mais il faut aussi agir en parallèle sur le marché du travail. ” La réforme devrait prévoir des corrections actuarielles pour les personnes qui choisiront de partir à la pension avant l’âge légal. La logique voudrait alors d’y ajouter des bonus pour celles et ceux qui continueront à travailler au-delà de l’âge de référence.
La solution pourrait venir de la pension partielle, qui devrait être reprise dans la réforme du gouvernement fédéral : si à 63 ans, vous avez accumulé 40 points de pension, vous pourrez décider d’activer 10 ou 20 de ces points et de continuer à travailler pour le solde. Cela permet un atterrissage en douceur de la carrière professionnelle, tout en continuant à capitaliser quelques points de pension supplémentaires. Cet ” atterrissage ” peut être mis à profit pour du tutorat, de la transmission du savoir et faciliter ainsi l’intégration des jeunes travailleurs, autre grosse faiblesse du marché du travail dans notre pays. ” Le système des points apporte plus de responsabilités et aussi plus de liberté aux gens, précise-t-on au cabinet du ministre des Pensions. On peut prendre des risques au cours de son parcours ou s’accorder une année sabbatique et compenser plus tard en accumulant des points. ” La réforme en projet se base en effet sur la notion de carrière plutôt que d’âge légal qui agirait comme un couperet.
4. La pension à points, c’est un artifice pour réduire les dépenses.
Dans le nouveau modèle, la valeur du point pourra évoluer en fonction de la soutenabilité du système. Cela ne signifie pas que les pensions deviennent une variable d’ajustement du budget de l’Etat mais bien que le système doit être autosuffisant. “Lorsque le gouvernement Di Rupo a réduit l’enveloppe ‘bien-être’ de 40%, ce n’était rien d’autre qu’une adaptation des crédits de la sécurité sociale, notamment pour les pensions, liée à la situation économique, commente le cabinet Bacquelaine. Nous ne sommes pas favorables à ce genre de pratique. Il faut garantir aux travailleurs une certaine sécurité par rapport aux droits qu’ils ont constitués.” Le défi est de maîtriser l’augmentation prévue des dépenses. Les différentes réformes entreprises depuis 2014 rabotent la progression attendue du budget des pensions à concurrence de près de 2 % du PIB à l’horizon 2060, selon les analyses du comité d’étude du vieillissement.
” On part du financement et on adapte ensuite les besoins, regrette Anne Léonard. Le financement va être le point de départ pour déterminer ensuite le niveau de pensions. Cela devrait être l’inverse, il y a tant de besoins à couvrir. ” Pour elle, c’est clair, la philosophie de la pensions à points, ” c’est bien de mener des économies dans le secteur des pensions “. Elle redoute d’autant plus qu’elle voit fleurir en parallèle les dispositifs de réduction de cotisations sociales, voire d’exonération totale pour les 500 premiers euros mensuels dans certains secteurs. Et comme le système des pensions doit être autosuffisant, on risque à terme de compenser la perte de recettes en rognant sur les dépenses. ” On ne peut pas continuellement réduire le financement de la sécurité sociale et exiger ensuite que les pensionnés en paient le prix “, s’insurge Anne Léonard.
Du côté gouvernemental, on rétorque évidemment que ces politiques de diminution de cotisations contribuent à la création d’emplois (on vous épargne ici la querelle statistique sur le nombre effectif et la qualité de ces emplois). D’où des recettes fiscales supplémentaires pour l’Etat, y compris pour le système de pensions, et en même temps des points de pension pour les personnes remises à l’emploi.
5. La pension à points, c’est une matière d’éluder le débat sur le financement des pensions et, plus largement, de l’Etat.
C’est finalement l’élément décisif. A l’inverse du gouvernement et des employeurs, les syndicats ne placent pas l’avenir des pensions dans un débat à enveloppe fermée et suggèrent, au contraire, des financements complémentaires. ” La pension à points, ce n’est jamais qu’un véhicule, explique Anne Léonard. Pour nous, l’essentiel, c’est que les prémices soient bien posées et que l’on sache quel contrat social nous voulons par rapport à nos pensions. Continue-t-on à laisser la fraude fiscale prendre de l’ampleur alors que des besoins sociaux importants ne sont pas couverts ? ” La FGTB prône, elle, l’instauration d’une taxe sur le patrimoine. ” On a bien créé un impôt de crise pour tous, est-il inconcevable de dire que ceux qui ont des biens contribuent un peu plus aujourd’hui ? “, a déclaré le secrétaire général Robert Vertenueil dans les colonnes de L’Echo.
La commission nationale des pensions ne s’est pas prononcée sur l’hypothèse d’un financement complémentaire qui relève, selon elle, d’un ” choix politique “. En tout état de cause, dégager des moyens supplémentaires n’est évidemment en rien incompatible avec une réforme du système des pensions.
Le recours au financement alternatif existe déjà. Il assure 31 % du coût annuel des pensions des salariés (41 % pour les indépendants), selon une étude publiée par le mouvement des aînés Eneo en juin dernier. Le gouvernement parie sur l’allongement des carrières pour limiter le recours au financement alternatif. ” Je ne suis pas certaine que cela suffira pour compenser la progression du nombre de retraités attendue pour les prochaines années, commente Marie-Noëlle Vanderhoven. On peut s’inquiéter de la valeur du point dans la réforme. Mais selon moi, ce qui devrait surtout inquiéter, c’est que l’on n’ose pas revoir le régime des pensions et que, dans 10 ans, on constate tout simplement qu’on ne peut plus le payer. ” C’est pourquoi elle plaide pour un travail en parallèle sur les deuxième et troisième piliers afin de répartir la charge sur les générations en combinant les pensions par répartition et par capitalisation.
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