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Le gaz de schiste américain en Europe… grâce à Poutine?

L’annexion de la Crimée par Moscou a suscité un torrent d’indignation, mais l’Europe n’a pas été beaucoup plus loin. Les plus lucides avaient compris qu’en aucun cas la Russie ne pouvait envisager de perdre cette péninsule stratégique au profit d’un Etat se rapprochant de l’Union européenne. Les plus réalistes – on se contentera de les qualifier de la sorte – savent que l’Europe dépend trop du gaz russe pour jouer les matamores face à un fournisseur aussi vital. Il n’y a guère que les Pays-Bas et la France qui pourraient assez facilement se passer de ces calories sibériennes. Le gaz n’est du reste pas seul en cause : pour le pétrole et le charbon aussi, la Russie représente grosso modo 30 % des importations de l’Union.

Comment atténuer cette dépendance, alors même que plusieurs pays tournent le dos au nucléaire ? La réponse se trouve, en partie du moins, à Washington ! Quand il est apparu que les Etats-Unis voyaient leur production gazière exploser grâce au gaz de schiste, le débat s’est installé outre-Atlantique : faut-il conserver cette énergie abondante pour soi, de manière à maintenir son prix très bas et ainsi booster la compétitivité de l’industrie ? Ou l’exporter à des prix plus élevés, mais en atténuant l’avantage compétitif actuel du pays ? Le débat n’est pas seulement économique : la législation américaine interdisant pratiquement l’exportation de gaz et de pétrole, hormis vers le Canada ou le Mexique, des décisions politiques doivent intervenir.

Le débat en question s’est évidemment ravivé ces dernières semaines. A défaut d’envoyer les marines sur place, les Etats-Unis ne pourraient-ils pas utiliser l’arme énergétique pour faire pression sur la Russie ? Plusieurs groupes de lobbying, surtout républicains, pressent le président Obama d’agir en ce sens. Il s’agit en particulier d’autoriser la construction d’un nombre accru de ports destinés à exporter du gaz liquéfié. Ils sont aujourd’hui six, dont un seul déjà en construction : celui de la société Cheniere Energy, situé en Louisiane, qui sera opérationnel à la fin 2015. Le gaz américain en Europe, ce n’est donc pas pour demain. D’autant que si une volonté politique se manifeste aujourd’hui d’utiliser l’arme énergétique en faveur de l’Europe, en riposte à la Russie, les entreprises américaines du secteur sont d’abord tentées par le plus lucratif marché asiatique, où le prix est sensiblement plus élevé. Autre écueil : sentant poindre la menace à moyen terme, Gazprom a légèrement abaissé le prix de son gaz en Europe. En accentuant ce mouvement, le groupe russe pourrait menacer la rentabilité des exportations américaines.

De toute manière, la problématique reste entière à court terme. C’est ici qu’intervient le pétrole : les réserves stratégiques américaines sont pléthoriques, alors même que la dépendance du pays est aujourd’hui moindre. Washington pourrait aisément vendre plus d’un demi-million de barils par jour pendant deux ans. Pas de quoi supprimer la dépendance du Vieux Continent à l’égard de la Russie, mais suffisant pour peser sur les prix. Or, si l’Europe a besoin de l’énergie russe, Moscou a tout autant besoin de ses revenus pétroliers et gaziers, et ceci de préférence à leur niveau actuel ! Le 12 mars, Washington annonçait la “vente test” de 5 millions de barils de pétrole tirés de ses réserves stratégiques. Un petit signal… En attendant le gaz de schiste américain. Et peut-être européen ? Aussi vrai que la Crimée pourrait bien changer la donne également de ce côté-ci de l’Atlantique.

GUY LEGRAND, Senior writer

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