Taxation des loyers : le cauchemar des propriétaires

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Le PS propose de taxer les revenus locatifs. Les propriétaires tremblent.

” On doit taxer davantage les revenus locatifs “, lance le président du PS Paul Magnette dans les colonnes du journal Le Soir. La proposition, qui figure dans le programme du parti socialiste, vise les ” multi-propriétaires “. Pour éviter de ” sanctionner les citoyens qui ont placé leurs économies dans un immeuble “, le PS propose de taxer les loyers de manière progressive, et d’exempter d’impôt une première tranche des revenus locatifs.

En attendant, les propriétaires tremblent. La taxation des loyers ne semble en effet plus être un tabou. La Commission européenne elle-même reproche à la Belgique son système de taxation basé sur le revenu cadastral plutôt que sur les loyers réels. Une modification de ce dispositif fiscal serait une véritable bombe pour la Belgique, terre de petits propriétaires. Trends-Tendances a publié un article sur ce sujet le 5 décembre 2013. Le voici en intégralité.

1. Que demande l’Europe ?

La Commission européenne reproche à notre pays de taxer différemment les revenus immobiliers perçus en Belgique de ceux perçus dans d’autres pays de l’Union. Le contribuable belge qui met en location un immeuble situé en Belgique est taxé sur la base de son revenu cadastral (revenu fictif fixé par l’administration). Par contre, pour un immeuble situé à l’étranger, on prend en compte la valeur locative du bien, c’est-à-dire sa valeur “réelle” sur le marché. Investir dans la brique belge serait dès lors fiscalement plus intéressant qu’investir dans l’immobilier dans d’autres pays de l’UE. Pour la Commission, il s’agit d’une situation discriminatoire, qui est de nature à restreindre la liberté de mouvement des capitaux entre Etats membres. Selon l’avocat spécialisé en fiscalité immobilière Didier Grégoire (CMS DeBacker), l’argument ne tient pas la route : “Lorsque l’on investit dans l’immobilier, le critère essentiel, c’est la localisation du bien, pas la fiscalité”, explique-t-il.

Reste que la Commission européenne a introduit une procédure d’infraction à l’encontre de la Belgique, qui a donné lieu à un avis motivé envoyé en… mars 2012. La Commission y enjoignait le gouvernement belge de modifier sa législation dans les deux mois. Depuis lors, les contacts informels se poursuivent mollement. Mais la Commission semble aujourd’hui se réveiller, suite notamment à une question préjudicielle posée récemment par la Cour d’appel d’Anvers à la Cour de Justice de l’UE, précisément au sujet de cette infraction potentielle à la législation européenne. La Commission paraît déterminée à porter l’affaire en justice. “Vu que nous ne recevons pas beaucoup de signaux positifs de la part de la Belgique, nous pourrions saisir la Cour pour manquement”, prévient David Boublil, porte-parole d’Algirdas ¦emeta, commissaire européen en charge de la Fiscalité. La Belgique ne serait pas le premier pays à se retrouver devant la juridiction européenne pour discrimination en matière de fiscalité immobilière : la France a été assignée en mai dernier dans un dossier similaire.

2. Quelle réponse y apporter ?

Le gouvernement n’est visiblement pas pressé de se positionner sur ce dossier. Il faut dire que pour l’instant, rien ne l’y oblige. Seule une condamnation définitive prononcée par la Cour de justice pourrait le contraindre à modifier le dispositif en vigueur.

Si la plainte qui s’annonce devait malgré tout aboutir à une décision défavorable à la Belgique, quelle réponse apporter à l’Europe ? Pour faire cesser la discrimination, tous les revenus immobiliers doivent être traités de la même manière, qu’ils soient issus d’un bien situé en Belgique ou ailleurs en Europe. En l’absence d’un système similaire au revenu cadastral dans la plupart des pays européens, une seule solution s’impose : la taxation des loyers réellement perçus.

3. Une réforme inscrite dans les astres ?

Le dossier est sensible, très sensible. Au cabinet du ministre des Finances Koen Geens, on assure qu’aucun projet n’est en préparation. A part désormais le PS, aucun parti n’ose d’ailleurs prendre le risque de se prononcer en faveur de cette taxe. Annoncer une telle mesure, c’est en effet s’exposer à une fronde de la part des nombreux propriétaires qui louent leur bien pour arrondir leurs fins de mois. C’est aussi s’exposer au spectre d’une explosion des loyers, voire d’un effondrement du marché immobilier dans son ensemble. “Politiquement, on marche sur des oeufs avec 75 % des Belges qui sont propriétaires”, résume Julien Manceaux, économiste chez ING.

Cela dit, certains signaux montrent que la taxation des loyers réels est plus qu’une simple hypothèse de travail. Premièrement, le caractère obsolète du dispositif actuel. Fixé en 1975, le revenu cadastral, qui n’est indexé que depuis 1991, dépend de la bonne volonté des propriétaires, censés prévenir l’administration du cadastre de toute modification importante apportée au bien (nouvelle salle de bains, extension…). En résultent des situations très disparates, une certaine inégalité entre propriétaires (les immeubles neufs sont proportionnellement plus lourdement taxés) et une déconnexion complète entre d’une part le revenu cadastral et d’autre part la valeur du bien et le loyer réellement perçu. Une réforme permettrait de remettre de l’ordre dans le système.

Deuxième signal annonciateur, la nécessité évoquée par la plupart des partis d’alléger la fiscalité sur le travail, et de la déplacer vers d’autres cibles, notamment le patrimoine, ce qui inclut le patrimoine immobilier. Enfin, troisième signal, la faisabilité de la mesure. Depuis 2007, tous les baux doivent être enregistrés par les propriétaires, ce qui facilite la détermination de la base imposable en cas de taxation des loyers.

4. Qui est concerné ?

Seuls les propriétaires louant en personne physique un immeuble résidentiel sont concernés. La sicafi immobilière et le propriétaire “professionnel” ou constitué en société de management sont en effet soumis à l’impôt des sociétés : le loyer réel qu’ils perçoivent entre dans les bénéfices taxables. Le propriétaire qui met en location un bien utilisé à des fins professionnelles est également imposé sur le loyer réel. Restent les “petits” bailleurs, dont le nombre atteindrait, selon le Syndicat national des propriétaires (SNP), environ 400.000 personnes pour un million de logements.

5. Le scénario catastrophe

Taxer les revenus immobiliers sur la base des loyers réellement perçus s’apparente à un cauchemar pour tous les “petits” propriétaires. C’est mécanique : si demain la taxation ne se fait plus sur un revenu cadastral sous-évalué mais sur le loyer réel, l’impôt dû explosera. Selon certaines estimations du SNP, le lobby des propriétaires, l’augmentation pourrait atteindre 6.000 euros par an par bailleur. Simple supputation, puisqu’on ne connaît ni la base imposable (tout ou partie du loyer ?), ni le taux de taxation, ni les possibilités de déduction.

Reste le scénario digne d’un film catastrophe prédit par un certain nombre de professionnels de l’immobilier. Premier impact en cas d’alourdissement de la taxation sur les revenus immobiliers : “Le propriétaire voudra répercuter cette hausse sur son locataire. Les loyers risquent d’augmenter”, indique Lorette Rousseau, présidente de la Fédération des notaires. “Les loyers en Belgique ne sont pas excessifs. Ils pourraient le devenir”, avertit Olivier Hamal, vice-président du SNP. Autre effet probable : “Les propriétaires ne rénoveront plus leurs biens, la qualité du bâti s’en ressentira”, poursuit Olivier Hamal. “Une hausse de la taxation aura pour effet de réduire le rendement du produit locatif”, ajoute Paul Houtart, vice-président de l’IPI, l’Institut professionnel des agents immobiliers. Un rendement brut qui n’est déjà pas fameux, puisqu’il se situe entre 3 et 5 % d’après nos interlocuteurs.

Mais le pire est à venir : “La taxation des loyers réels aura un effet catastrophique. Certains propriétaires vendront leur immeuble, ce qui provoquera une baisse de l’offre de biens locatifs et une augmentation des loyers”, assure Olivier Carrette, administrateur délégué de l’Upsi, la fédération des professionnels de l’immobilier (promoteurs, investisseurs…). “Beaucoup de bailleurs privés vont se retirer au profit de bailleurs professionnels, qui imposeront des loyers plus élevés”, renchérit le notaire et député bruxellois MR Olivier de Clippele.

Ce chamboulement fiscal pourrait même avoir un effet dévastateur sur l’ensemble du marché immobilier : “Les apports d’épargne vers l’investissement immobilier, qui ont connu une forte croissance depuis la première moitié des années 1990, risquent de diminuer si la fiscalité devient moins attractive. A un certain point, cela peut déstabiliser le marché. Si les investisseurs se détournent de la brique, la croissance des prix peut devenir nulle voire négative”, signale Julien Manceaux, économiste chez ING. “L’impact sur les prix de l’immobilier ne sera pas énorme, rétorque de son côté Paul Houtart (IPI). C’est un fantasme entretenu par les banques : elles prédisent que l’immobilier va s’écraser pour ne pas perdre l’épargne des Belges, auxquels elles offrent pourtant des rendements très faibles.”

L’ombre de la taxation des loyers réels fait cependant souffler un véritable vent de panique du côté des bailleurs. “Nous conseillons à nos membres de bloquer leurs investissements dans l’immobilier. Tant que nous n’aurons pas de clarification sur ce dossier, nous estimons que le risque est trop important”, confie Olivier Hamal, vice-président du SNP.

6. Le scénario vertueux

Certains experts pensent que la taxation des loyers réels peut représenter une opportunité pour les propriétaires, pour le secteur immobilier dans son ensemble, voire pour les caisses de l’Etat. C’est le cas de Didier Grégoire, associé chez CMS DeBacker et spécialiste de la fiscalité immobilière. Selon lui, il faut “aménager” le dispositif pour qu’il soit fiscalement avantageux pour le propriétaire qui entretient correctement son bien. L’idée est de taxer entre 40 et 50 % du loyer réel et, en contrepartie, de permettre la déduction de 40 à 50 % des charges supportées par le propriétaire pour rénover son immeuble. “C’est bénéfique parce que le propriétaire sera poussé à faire des travaux, ce qui aura un impact positif sur la qualité des biens”, avance Didier Grégoire. De plus, le bailleur qui rénove son bien devra faire appel à des entrepreneurs agréés, afin de pouvoir présenter au fisc des factures déductibles. “Cela engendrera des recettes de TVA et poussera les entrepreneurs à engager du personnel déclaré plutôt qu’à travailler au noir. C’est un cercle vertueux”, souligne Didier Grégoire. “Ce sera plus clair, mais ce sera plus cher. Si vous voyez ce que je veux dire…”, estime de son côté le notaire et député bruxellois Olivier de Clippele (MR), avec une allusion appuyée à une prétendue “efficacité” du travail au noir.

7. Les chausse-trapes

Le jour où la taxation des loyers réels se précise, le gouvernement devra veiller à éviter quelques embûches supplémentaires.

Les immeubles vides. S’il est taxé sur le loyer réel, le propriétaire qui ne loue pas son bien ne sera théoriquement pas taxé. Cela pourrait favoriser la spéculation immobilière et la multiplication des immeubles vides. Une solution serait de prévoir une taxation minimum, qui pourrait être basée sur… le revenu cadastral, qui restera par ailleurs d’application pour les propriétaires occupant leur propre bien.

Les baux non enregistrés. Pour échapper à l’impôt, certains propriétaires seront tentés de ne pas enregistrer leur bail. Une astuce qui pourrait s’avérer difficile à contrôler.

Le mécano fiscal belge. Réformer la fiscalité sur les revenus immobiliers devrait amener à remettre toute la fiscalité immobilière à plat, plaident plusieurs experts, qui soulignent la forte taxation qui touche globalement le secteur. Problème : l’Etat fédéral n’a plus toutes les cartes en main. Les droits d’enregistrement, de succession et de donation sont désormais de compétence régionale, de même que, bientôt, la déduction des intérêts sur les emprunts hypothécaires. Impossible par exemple de compenser une hausse de l’impôt sur les revenus immobiliers par une baisse des droits d’enregistrement, à moins d’obtenir l’accord des régions sur ce sujet délicat. Rappelons que la Région wallonne vient d’augmenter les droits d’enregistrement sur certaines tranches…

8. Le grand soir fiscal

Clairement mise sous le tapis par les partis, la taxation des loyers réels devrait resurgir à l’occasion du grand nettoyage de printemps prévu après les élections de 2014. La plupart des formations politiques se sont déclarées en faveur d’une grande et ambitieuse réforme fiscale, censée alléger la (lourde) fiscalité frappant le travail. Nul doute que les patrimoines, tant financiers qu’immobiliers, seront dans le viseur des décideurs.

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