Remi de Montgolfier, “general manager” d’Ericsson Belux: “Sans la 5G, les entreprises belges risquent un déficit de compétitivité”

© Photos PG/Dann

Les retards pris dans le dossier de la 5G inquiètent le nouveau patron belge de l’équipementier télécoms Ericsson. Remi de Montgolfier prévient: les start-up, les PME et les grands groupes industriels ont besoin de tester rapidement le potentiel de cette nouvelle technologie mobile. Sous peine d’être distancés.

S’il défend si ardemment la 5G, c’est parce que c’est son business. Mais le patron de l’équipementier télécoms Ericsson en Belgique et au Luxembourg veut aussi faire passer un message au monde politique : cette technologie mobile de nouvelle génération, qui promet des vitesses ultra-rapides et des capacités décuplées, est un véritable accélérateur d’innovations, à côté duquel la Belgique ne peut pas passer.

TRENDS-TENDANCES. Depuis son retrait du marché du smartphone, votre entreprise est moins connue du grand public. Que fait Ericsson en Belgique ?

REMI DE MONTGOLFIER. Ericsson en Belgique, c’est environ 350 personnes. Nous gérons les réseaux mobiles de deuxième, troisième, quatrième générations pour les opérateurs ( Proximus, Orange, Base, Ndlr) qui ont décidé de sous-traiter une partie de leur activité. Un réseau mobile, c’est comme le lait sur le feu : il faut s’assurer continuellement que les équipements tournent dans des conditions optimales. Il faut aller sur site pour réparer les antennes, faire des mises à jour logicielles, s’assurer que la qualité est au rendez-vous, pour que l’abonné final ait la couverture, la qualité et les débits qu’il attend.

Quelle est votre part de marché en Belgique ?

Environ 60 % du trafic mobile belge est opéré par Ericsson. Quand les gens twittent, envoient des mails, partagent des messages sur le réseau mobile, ils passent par nos outils. Nous fournissons des solutions logicielles et des services aux opérateurs. Par contre, sur l’accès lui-même, c’est-à-dire les antennes, nous n’avons pas de présence à ce jour. Ce marché est aux mains des équipementiers chinois. Un des objectifs principaux qui m’ont été assignés lors de ma nomination, c’est de gagner des parts de marché sur ce segment.

Les normes d’émission bruxelloises ne permettent pas le déploiement de la 5G.

Comment expliquer cette domination des équipementiers chinois, Huawei et ZTE, qui trustent le marché belge depuis plusieurs années ?

Il faut demander aux opérateurs pourquoi ils les ont choisis. Ce qui est important aujourd’hui, c’est que nous avons une belle carte à jouer avec la 5G. Dans le monde, à peu près 40 réseaux 5G sont déjà commercialement ouverts aux clients : aux Etats-Unis, en Corée, en Australie, au Moyen-Orient… Le premier réseau européen est arrivé en Suisse, où nous étions les premiers à l’inaugurer avec Swisscom. Il y a aussi un embryon de réseau 5G à Londres. Sur ces 40 réseaux, nous en fournissons 24. On voit que ça commence à décoller.

Pour l’instant, ce sont des réseaux de petite taille, concentrés sur les grandes villes.

En Corée, il y a déjà plus de quatre millions d’abonnés en neuf mois. Quand la 4G y avait été lancée, il avait fallu plus d’un an pour arriver au même nombre d’abonnés. Il y a une appétence des clients pour la 5G. Aux Etats-Unis, plus de 40 villes ont accès à la 5G – et Ericsson couvre plus de 70 % de ce marché. C’est un déploiement assez massif. En Europe, Swisscom vient d’atteindre son objectif : plus de 90 % de la population suisse est couverte par la 5G, alors que la Suisse n’est pas le pays le plus simple à équiper, vu sa topographie. Depuis 2015, nous avons livré plus de 4 millions d’équipements compatibles 5G. Nous sommes prêts. Y compris pour la Belgique.

Les problèmes de Huawei, accusé d’espionnage et boycotté par les Etats-Unis, peuvent-ils vous aider à gagner des parts de marché ?

Ce type de situation, ce n’est jamais une bonne nouvelle. Au niveau mondial, nous sommes pour une concurrence ouverte et transparente. Tous ces problèmes géopolitiques créent du doute, de l’incertitude. Ce n’est jamais bon pour les investissements.

Jouez-vous la carte de l’entreprise européenne, de confiance, par rapport à un acteur chinois plus controversé comme Huawei ?

Plus de 40 % de nos employés sont basés en Europe, 60 % de notre recherche et développement est située en Europe, nous avons des chaînes de production en Europe… Ericsson est un acteur européen. Mais nous ne communiquons pas plus que ça sur cette réalité parce que nous sommes sur un marché mondial. Ce n’est donc pas forcément une carte que nous voulons jouer. Notre positionnement, c’est notre leadership et notre maturité sur la technologie 5G. Cela dit, c’est une bonne chose que la confiance et la sécurité deviennent de vraies questions sociétales. La 5G, c’est la colonne vertébrale de notre société de demain. Des secteurs aussi sensibles que le transport, la santé, l’énergie, la police, etc., s’appuieront sur cette technologie. C’est donc une bonne nouvelle que les pouvoirs publics s’intéressent à la sécurité des réseaux télécoms.

Remi de Montgolfier,
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Pourquoi la Belgique a-t-elle besoin de la 5G ?

La 5G va soulager les réseaux 4G. D’après une étude d’Agoria ( la fédération belge de l’industrie technologique, Ndlr), le réseau 4G existant va saturer à Bruxelles d’ici 2022. La 5G apportera de la capacité, de la performance et des débits dans les centres-villes, où nous allons atteindre une certaine limite, parce que la consommation d’Internet mobile explose : en Belgique, on parle d’une augmentation de plus de 70 % d’une année à l’autre ! La 5G va également améliorer la latence ( temps de réaction, Ndlr) des réseaux mobiles, ce qui permettra par exemple d’utiliser des casques de réalité virtuelle avec un haut niveau de performance.

Le consommateur final va-t-il réellement voir la différence ? La 4G offre déjà des performances considérables, notamment au niveau du streaming vidéo.

Quand on a lancé la 3G puis la 4G, certains disaient que cela ne servirait à rien. Au final, ce sont YouTube et Netflix qui ont fait le succès de cette technologie. Télécharger un film en haute définition prend quelques minutes en 4G. En 5G, ce sera quelques secondes. Nous ne sommes pas encore capables aujourd’hui d’imaginer les futurs usages, parce que nous sommes encore bridés par la technologie actuelle. Mais nous savons déjà qu’un certain nombre d’entreprises pourront remplacer leurs connexions fixes et certaines technologies sans fil comme le wifi ou le bluetooth, par la 5G.

Quels types de tests avez-vous déjà fait dans l’industrie ?

A Aix-la-Chapelle, nous travaillons avec des entreprises qui développent des véhicules autonomes, des transpalettes par exemple, dont les déplacements peuvent être totalement automatisés grâce à la 5G. Autre exemple : sur une chaîne de montage, les robots sont assez onéreux aujourd’hui, parce qu’il faut mettre de l’intelligence dans chaque robot. Avec la 5G, la latence est tellement courte que l’on peut créer toute une flotte de robots commandés par une intelligence décentralisée dans le cloud.

Les offres commerciales 5G ne seront probablement pas lancées avant 2022.

A quoi cela sert-il ?

Le robot n’est plus qu’un robot ” pneumatique “, il est donc beaucoup moins cher. Cela diminue le coût de la chaîne de production. Cela pourrait même permettre de ramener en Belgique des activités qui ont été délocalisées dans des pays à moindres coûts. Nous appliquons ce principe au sein d’Ericsson. L’entreprise est occupée à créer une nouvelle chaîne de production aux Etats-Unis. En l’automatisant grâce à la 5G, la différence de coûts par rapport à l’Asie du Sud-Est est largement amoindrie. Nous faisons la même expérimentation à Tallinn, en Estonie. C’est très intéressant, parce que cela nous permet de relocaliser des chaînes de production au plus près des besoins de nos clients.

Vos clients aujourd’hui, ce sont les opérateurs télécoms. A l’avenir, les groupes industriels qui utiliseront la technologie 5G vous assureront-ils aussi des revenus ?

Un des défis de la 5G, c’est de créer un nouvel écosystème avec les opérateurs, les industriels, les fabricants de puces, les fabricants d’appareils, etc. Nous essayons d’être des facilitateurs. C’est ainsi que nous avons créé un campus 5G à Hasselt, où nous mettons notre technologie à disposition des start-up, des entreprises et des universités pour travailler avec nous sur les usages de demain.

Les enchères pour les fréquences 5G ne sont pas encore lancées. Les entreprises belges commencent-elles à s’impatienter ?

Sans les fréquences, on ne peut pas faire grand-chose. Le frein se situe du côté du régulateur, l’IBPT, qui est mandaté par le politique. Les enchères sont prévues fin 2020, début 2021. Il n’y a pas d’agenda précis sur la 5G, c’est problématique. Cela n’incite pas les opérateurs à investir, et on les comprend.

Quels types de problèmes les retards pris dans l’installation de la 5G risquent-ils de poser ?

Si les fréquences ne sont disponibles qu’en 2020-2021, il faudra encore le temps de construire les réseaux. Cela veut dire que nous n’aurons probablement pas d’offre commerciale intégrant la 5G avant 2022. Or, les réseaux 4G risquent de saturer en 2022. Ce sera donc un vrai problème pour le grand public.

Et pour les entreprises ?

Les entreprises ne peuvent pas se permettre de prendre un, deux ou trois ans de retard au niveau technologique. Celui qui digitalise le plus vite son business prend une longueur d’avance, il peut faire rapidement des gains de productivité. Avec la 4G, pendant que l’Europe essayait de réfléchir aux cas d’usage, les Etats-Unis ne se posaient pas la question et déployaient la technologie au niveau national. Des sociétés comme Google, YouTube ou Facebook ont été littéralement boostées par la 4G, parce qu’elles ont été les premières à l’expérimenter, ce qui leur a permis de comprendre ce qu’elles allaient pouvoir en faire. En Belgique, la 5G peut aussi aider nos champions locaux. C’est une plateforme d’innovation. Et l’innovation conduit à la compétitivité. La 5G est une boîte à outils pour les start-up, les entreprises, les industries, les administrations, etc. Plus tôt ces acteurs auront accès à cette technologie, plus tôt ils pourront imaginer de nouvelles applications.

Avec les normes d’émission actuelles, la 5G peut-elle être déployée à Bruxelles ?

Non. Aujourd’hui, on peut faire des expérimentations à petite échelle, mais on ne peut pas faire de la 5G avec du débit et des performances significativement supérieures à la 4G.

Pour s’adapter aux normes actuelles, la solution n’est-elle pas de déployer plus d’antennes ?

Effectivement. Quand le seuil est très bas, votre antenne émet dans un rayon plus restreint. Pour pallier cet inconvénient, il faut rajouter des sites d’antennes. Or, acquérir de nouveaux sites dans un environnement urbain est compliqué et prend du temps. Ce n’est donc pas la panacée.

Ecolo, qui est monté au gouvernement bruxellois, n’est pas vraiment en faveur de la révision des seuils d’émission.

Il ne faut pas perdre de vue la réalité : je ne pense pas qu’on puisse vivre aujourd’hui sans smartphone. Cela ne veut pas dire qu’on peut faire n’importe quoi. Mais il faut prendre en considération l’intérêt de la Belgique. Pour moi, celui-ci passe par la compétitivité de ses entreprises parce que, derrière, c’est de l’emploi et de la richesse nationale.

Repères

– 1998. Ingénieur télécoms chez Alcatel

– 2000.Solutions managers chez Nokia

– 2005.Global account manager chez Nokia Siemens

– 2010.Head of sales chez Nokia Siemens

– 2012.VP Sales chez Ericsson

– 2019. General manager Belux chez Ericsson

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