Start-up: Deliveroo VS Take Eat Easy, qui sera le plus rapide ?

© takeeateasy.be

En quelques mois, la livraison de repas est devenue l’un des domaines les plus “hot” des start-up techno. Les entrepreneurs qui s’y spécialisent lèvent des fonds à tour de bras. Mais les concurrentssont nombreux. Et voraces.

Leur vélo sportivement enfourché et affublés d’un gros sac à dos, ils sont de plus en plus nombreux à arpenter les rues de notre capitale pour apporter, en un temps record, le festin d’une génération de jeunes branchés urbains qui veulent bien manger, sans cuisiner ni se déplacer. “Ils”, ce sont ces cyclistes qui se mettent à disposition de start-up très en vue comme la belge Take Eat Easy ou l’anglaise Deliveroo. Nées il y a maximum trois ans, elles se sont rapidement hissées en tête des jeunes entreprises qui voient l’argent des investisseurs couler à flots. Car le marché de la livraison à domicile excite les passions et les investisseurs y voient un nouvel eldorado. L’allemand Rocket Internet, par exemple, est en train de constituer un véritable empire mondial de la livraison de repas version 2.0, à grands coups d’acquisitions et de prises de participations. Cet empire, il l’a baptisé Global Online Takeaway Group. Dans son giron, on retrouve de grands acteurs comme Delivery Hero, Foodpanda, mais aussi de plus petites start-up comme Volo ou Take Eat Easy, cette jeune pousse créée par quatre Belges.

La commande sur Internet de repas à livrer, est-ce vraiment neuf ? Non. Mais jusqu’il y a peu, la livraison à domicile passait encore beaucoup par le téléphone, le Web s’étant progressivement ajouté comme un canal supplémentaire. Jusqu’il y a peu, il était surtout possible de se faire livrer une pizza, des sushis, etc. Il s’agissait, dans beaucoup de cas, de grandes chaînes (Pizza Hut, Sushi Shop, etc.) qui avaient mis en place une structure adéquate de livraison, avec leurs propres livreurs. Mais aujourd’hui, à l’ère de la transformation numérique tous azimuts, le Web s’impose comme un game changer. Les nouveaux acteurs du créneau partent à l’assaut de tous les restos qui n’assuraient pas eux-mêmes la livraison. Pour cela, ils jouent la carte du “capitalisme 3.0”, celui des plateformes et des intermédiaires.

Leur méthode ? Ils ne développent pas eux-mêmes l’ensemble de l’activité mais tirent parti de la technologie numérique et des ressources des autres. En gros, ils développent une application qu’ils proposent aux internautes, font appel à des freelances pour la livraison (façon Uber, mais le plus souvent avec des vélos, c’est plus hype) et laissent les restaurateurs gérer l’aspect culinaire. Bref, ces start-up jouent adéquatement les chefs d’orchestre, font les intermédiaires et misent tout sur l’amélioration constante de leurs technologies. Ainsi, Adrien Roose, cofondateur de Take Eat Easy, aime le souligner : “notre application affiche en temps réel au client le temps dans lequel il sera livré. Pour cela, on se base sur la position GPS, la vitesse moyenne de chaque coursier et les informations que nous livrent les restaurants au fur et à mesure”. De son côté, Mathieu de Lophem, qui déploie Deliveroo en Belgique, met l’accent sur les délais de livraison les plus courts (une moyenne de 32 minutes) pour garantir la qualité des plats. Il faut dire que, d’un point de vue technique, le timing est parfait pour développer une start-up active dans la livraison de repas. Toutes les technologies sont au point pour permettre une expérience optimale au client : Internet mobile, smartphone et géolocalisation. Sans compter le mode de vie urbain, également propice : manque de temps, de plus en plus de célibataires et tendance food branchée.

Belges à l’attaque du monde

Sur le marché belge, la star jusqu’ici c’est Take Eat Easy, l’enfant du pays qui a aussi déjà creusé son trou dans la capitale française et a embarqué le géant allemand Rocket Internet dans deux levées de fonds, pour un total de 16 millions d’euros. De quoi lui donner les moyens de (commencer à) s’étendre à l’international. Car depuis le début, la start-up affiche l’ambition de devenir “n°1 en Europe”. Actuellement, la start-up est déjà active dans huit villes en Belgique, France et Espagne. Mais ses ambitions sont grandes ; Take Eat Easy recrute actuellement plus de 70 personnes pour s’attaquer à de nouveaux pays et s’imposer plus en profondeur dans les pays où elle est déjà présente en débarquant dans des villes comme Anvers, Liège, Lille, Lyon, Nantes,… Take Eat Easy fait aussi le pari de la capitale anglaise : Londres. Une stratégie qui peut surprendre car il s’agit d’un marché déjà très mature où s’affrontent de (plus) grands groupes comme Deliveroo mais aussi Just Eat. D’autant plus étonnant que la firme belge a rapidement (deux semaines après son lancement seulement) jeté l’éponge en Allemagne, un autre marché assez mature. Pour Adrien Roose, “Londres est LE marché important en Europe et il n’y a, là-bas, qu’un seul acteur sur notre modèle (livraison de plats de restaurant, à vélo, Ndlr)”. Le jeune CEO fait le pari que Take Eat Easy puisse y devenir un “n°2 fort”, en étant “plus qualitatif”.

En réalité, c’est la course à la taille. “Tout doit aller très vite”, consent Mathieu de Lophem. Les start-up du créneau de la livraison veulent être le plus présentes possible et attirer un maximum de consommateurs. C’est non seulement indispensable pour séduire les investisseurs dont elles ont besoin puisque, pour croître et s’imposer, elles sont en levée de fonds constante. Mais en plus, afficher le maximum d’adhérents est essentiel pour tendre vers la rentabilité car il s’agit d’un business de volume. En effet, même si les spécialistes de la livraison prélèvent une commission de 30 % sur l’addition, elles en déboursent environ la moitié dans les frais de livraison, avant même de pouvoir envisager de couvrir tous les frais (back office et marketing).

Un début de guérilla à Bruxelles

Quant au marché belge, il devient aussi très actif. Dans le cadre de son développement international, Deliveroo a posé ses bagages à Bruxelles où elle vient chatouiller Take Eat Easy. Cette dernière a d’ores et déjà dû réagir en abaissant ses tarifs de livraison de 3,5 à 2,5 euros pour s’aligner sur sa concurrente anglaise. Elle a aussi diminué le prix minimum de commande de 20 à 15 euros. Car si ce n’est pas officiellement “la guerre” entre les deux start-up, la concurrence est réelle, tant entre elles qu’avec les autres acteurs de la livraison de repas à Bruxelles (Resto-In et Pizza.be).

Par conséquent, c’est la ruée sur le marketing : affichage en rue, publicités dans la presse… et même un tram relooké, tant pour Take Eat Easy que pour Deliveroo. Bien entendu, la lutte acharnée pour la visibilité continue sur le Web : réseaux sociaux, pub sur Spotify, achats de mots-clés sur Google, etc. Ce marketing tous azimuts fait grimper en flèche le coût d’acquisition de chaque client. “Il est vrai que le coût d’acquisition des utilisateurs est assez élevé, admet Charles Van den Bogaert, responsable marketing chez Deliveroo à Bruxelles. Mais c’est surtout vrai au début car il faut se faire connaître.” Ensuite, “les acteurs de la livraison comptent sur la récurrence pour rentabiliser ce coût élevé, analyse un investisseur spécialisé dans l’univers start-up. Un exemple : imaginons qu’un nouveau client coûte 20 euros à une start-up. Si on estime qu’en moyenne un utilisateur commande cinq fois par an, le coût peut être amorti en une année”. Bien sûr, ni Take Eat Easy ni Deliveroo ne communiquent sur le coût d’acquisition de leurs utilisateurs.

Sur Google, la guerre des mots-clés fait rage. Certains acteurs vont même jusqu’à enchérir sur les noms des concurrents pour apparaître quand les internautes font une recherche : encore au mois d’octobre, en cherchant le site de Take Eat Easy, nous tombions sur une pub pour pizza.be… Tout aussi étonnant : le groupe Foodora (propriété de Rocket Internet), inactif en Belgique (pour l’instant), s’est offert le nom de domaine delivero.be (avec un seul o). De sorte à ce qu’un surfeur qui commet une faute de frappe en cherchant Deliveroo atterrit chez lui. Pour l’instant, sans grand dommage, puisque l’adresse est redirigée vers Foodora.de (en Allemagne), mais le jour où la start-up sera active sur notre marché, ce genre de pratique risque de poser problème.

“Winner takes all”

Les acteurs de la livraison de repas veulent à tout prix maintenir leur place sur ce créneau porteur. Tant pour séduire le public que les investisseurs. Il ne fait en effet aucun doute qu’un mouvement de concentration aura lieu dans les prochains mois ou les prochaines années. Et certains observateurs se disent persuadés que des acteurs comme Take Eat Easy se feront tôt ou tard racheter intégralement ou fusionneront avec d’autres start-up au sein d’un grand groupe comme Rocket Internet.

Du côté de la start-up, on se concentre sur la croissance internationale et le développement du business et l’on n’évoque pas de revente ou de fusion. Adrien Roose (Take Eat Easy) admet toutefois que sa start-up est en procédure de levée de fonds. “Si tout va bien, on peut imaginer que Take Eat Easy lève 50 millions d’ici 2016”, analyse un spécialiste. Car, comme le disent les Américains : winner takes all. Cela signifie qu’il faut être le premier… et le n°1 pour emporter l’essentiel du marché. Une bonne partie du business consiste à signer avec les (meilleurs) restaurants. Car ceux-ci vont logiquement préférer travailler avec un seul acteur de livraison. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans la capitale française, c’est la course pour tenter de signer quelques grands chefs et faire le buzz. Ce n’est pas encore le cas à Bruxelles, mais vu la bataille que se livrent Deliveroo, Take Eat Easy et les autres, cela ne saurait tarder.

UNE BULLE ?

Ces 18 derniers mois, les start-up de la food tech auraient levé pas moins de 1,75 milliard de dollars, selon une étude de CB Insights. C’était avant la levée de fonds à 100 millions de Deliveroo, tout récemment. Inutile de préciser que, pour pas mal d’observateurs, plane le spectre d’une bulle. Car les marges sont faibles vu les frais de livraison et les investissements marketing assez importants. Quand on l’interroge sur ce point, Adrien Roose, cofondateur de Take Eat Easy, ne se montre pas inquiet. “Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une bulle. Il s’agit d’un domaine où il est assez facile de calculer la valorisation de l’entreprise. On sait, en effet, prédire combien de fois les gens vont commander ou prévoir avec une certaine précision les revenus, le chiffre d’affaires et la marge. Les multiples sont donc élevés mais pas totalement fous. Ce qu’il faut admettre, c’est une légère survalorisation sur les marchés privés, ce qui pose une difficulté : celle de faire passer les start-up sur les marchés publics.”

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