Bières de Leffe: les arguments de la plainte et la réponse

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Que contient la plainte américaine contre AB Inbev, qui reproche à la Leffe de n’être pas brassée en abbaye, comme l’emballage le suggère ? La procédure en nom collectif (class action) estime le litige à plus de 5 millions de dollars.

Le document de 51 pages qui détaille l’accusation portée par un citoyen américain, Henry Vasquez, contre AB Inbev, est fort intéressant. Il a été déposé devant une juridiction de Floride pour obtenir l’ouverture d’une class action au sujet de la bière Leffe. L’accusation expose les procédés utilisés pour, estime le plaignant, faire croire que la Leffe est brassée en abbaye par des moines, “alors qu’elle est en réalité produite en masse dans un complexe industriel automatisé” indique l’argumentation. Le document, défendu par le cabinet Colson Hicks Eidison, à Coral Gable en Floride, est par ailleurs fort détaillé, précis et illustré.

Une adresse trompeuse

Il s’agit bien sûr de la Leffe vendue aux Etats-Unis. La marque est importante pour AB Inbev car il s’agit d’une bière premium, vendue un peu plus cher que la pils standard, jouant clairement sur l’image des abbayes et des moines. Le document détaille tous les éléments que le plaignant estime trompeurs. Il fait référence aux étiquettes “qui ont été créées pour tromper les consommateurs en leur faisant croire que la bière est brassée dans une abbaye en utilisant les mots “Abbey Ale” et “Abbaye de Abbey of Leffe”, une image de l’abbaye (…) et “Anno 1240″, qui implique que la bière a été brassée dans cette abbaye depuis cette date.”

Autre élément : les étiquettes ne mentionnent pas vraiment le lieu de production. Mais l’indication : “Brewed by N.V. INBEV BELGIUM S.A., B-1070 BRUSSELS, FOR BR. ABBAYE DE LEFFE N.V./S.A. PLACE DE L’ABBAYE 1, B-5500 DINANT, BELGIUM”. Aucune de ces adresses n’est le lieu de brassage. “B 1070 Brussels est juste une abréviation pour l’adresse du quartier général d’AB Inbev Belgium. L’adresse complète est Industrielaan 21 Boulevard Industriel 1070 Brussels, Belgium”. La seconde est l’adresse de l’abbaye de Leffe où la bière “n’est pas brassée ; elle est brassée en masse à l’usine Stella Artois de Louvain”. En fait l’élément le plus précis est “product of Belgium.”

Que fait la concurrence ?

En proposant une analyse d’étiquettes de bières d’abbaye concurrentes, la plainte montre qu’il y a moyen de faire autrement. “De manière très différente, des concurrents d’AB Inbev utilisent des labels honnêtes qui indiquent correctement que ces produits sont des “Abbey style ale” (des bières de type d’abbaye), et pas des ales brassées en abbaye.” Parmi les bières présentées figurent une “Brother David’s triple” de Californie ou une Lozen Boer provenant de Belgique.

L’argument de la plainte ? Certains consommateurs “n’auraient pas acheté et/ou payé une prime pour une bière Leffe s’ils avaient connu ces fausses représentations (“false representations”).

Une étiquette différente de celle acceptée par le Tabacco Tax and Trade Bureau

Le document accuse même AB Inbev d’avoir trompé le Tabacco Tax and Trade Bureau (TTB) à qui il a présenté des étiquettes qui ne sont pas identiques à celles utilisées pour les bières vendues dans le commerce. L’étiquette enregistrée par la TTB ne comportait pas la mention de l’adresse de l’abbaye citée plus haut.

AB Inbev rejette l’accusation

AB Inbev conteste en bloc les arguments. Le groupe nous a envoyé la réaction suivante : “Leffe dispose d’un fier héritage brassicole belge et est actuellement toujours brassée avec soin et selon la tradition, suivant un accord avec l’Abbaye Notre-Dame de Leffe. L’Union des Brasseries belges fournit des directives afin de certifier qu’une bière est une bière d’abbaye belge et Leffe répond aux critères. Nous sommes convaincus que les étiquettes Leffe sont exactes et défendront vivement notre société contre cette affaire judiciaire.”

Le dépôt de la plainte ne garantit pas, toutefois, qu’une procédure de class action sera lancée. Un jury devra décider s’il y a lieu d’ouvrir une action en nom collectif (class action) dont le montant d’ indemnisation pour tous les particuliers concernés serait supérieur à 5 millions de dollars. Ce type de procédure définit le profil des personnes potentiellement concernées par l’action qui pourront bénéficier des éventuels dommages qu’un tribunal ou qu’un settlement définirait. AB Inbev a déjà fait l’objet de class action pour des raisons voisines avec le Beck’s beer et la Kirin Ichiban Beer, et a accepté de dédommager les consommateurs dans les deux cas. Les plaintes portaient sur le fait que ces bières n’étaient nullement brassées en Allemagne pour le Beck’s ou au Japon pour la Kirin, mais aux Etats-Unis. Certains consommateurs s’estimaient trompés sur l’origine, même si, pour la Kirin, le lieu de brassage américain était indiqué sur l’emballage, en petits caractères. Toutes ces procédures ont été lancées en Floride, de même que celle sur la Leffe. Une procédure similaire est peu probable en Belgique, où les actions en noms collectifs sont peu encouragées, pour éviter une dérive à l’américaine. Aucun particulier ne peut en initier une, seule des organisations comme Test Achats, les mutualités ou la Ligue des familles ont cette capacité.

Notons qu’en Belgique la notion de bière d’abbaye ne signifie nullement que la boisson soit obligatoirement produite sur un site religieux et/ou par des communautés religieuses. C’est uniquement le cas des bières dites trappistes. Les Leffe ne sont plus produites par l’abbaye depuis sa fermeture à la Révolution française. La bière actuelle est la conséquence d’un accord négocié par la communauté religieuse qui s’est réinstallée dans les lieux au début du siècle dernier avec un brasseur d’Overijse, absorbé à présent dans le groupe AB Inbev.

Robert van Apeldoorn

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