“Travaille plus vite ou dégage”: le quotidien des usines textiles au Cambodge

© Samer Muscati / Human Rights Watch

Heures supplémentaires non payées, pression constante, rythmes de production impossibles à tenir et discriminations perpétuelles: voici les conclusions d’un rapport accablant publié mercredi par Human Rights Watch. Voyage dans les coulisses des usines de textile cambodgiennes.

Pour ce rapport de 140 pages intitulé “‘Work Faster or Get Out’: Labor Rights Abuses in Cambodia’s Garment Industry”, Human Rights Watch a passé au crible 73 usines. Des usines dans lesquelles l’organisation a constaté des conditions de travail déplorables. Les ouvriers interrogés parlent notamment de cadences et de quotas insoutenables. “On devait faire des heures supplémentaires. On ne pouvait pas dire non“, confie un travailleur d’usine. “Même quand on allait aux toilettes, ils nous pressaient de revenir“. Pas de pause, des journées souvent très longues, les salariés n’ont d’autre choix que d’accepter, au vu des pressions qu’ils subissent. Si ils refusent, les gérants de l’usine réduisent leur salaire, ou les mettent à la porte : un licenciement facilité par le recours systématiques à des contrats courts. Les petites mains de l’industrie textile au Cambodge ne connaissent pas le contrat longue durée, et c’est bien là le problème. Ils sont embauchés pour quelques mois, renouvelables ou non, selon le bon vouloir du patron.

Les femmes, premières victimes des abus des dirigeants

Les femmes sont particulièrement touchées, victimes de nombreuses discriminations. Mieux vaut ne pas être enceinte par exemple. Preap Vanna (pseudonyme), employée au ventre arrondi dans l’une de ces usines, raconte : “les managers m’appelaient au bureau et me criaient ‘si tu es enceinte et que tu n’es pas capable de travailler alors tu devrais démissionner’. Ils m’appellent presque tous les jours“.

Dans ces usines de sous-traitance sont fabriqués des produits destinés à de grandes marques internationales, comme H&M ou Gap.
Dans ces usines de sous-traitance sont fabriqués des produits destinés à de grandes marques internationales, comme H&M ou Gap.© Samer Muscati / Human Rights Watch

Une loi stricte, mais une application en demie-teinte

Selon Aruna Kashyap, membre de Human Rights Watch, ces conditions de travail très dures ne seraient pas dues à une quelconque faille dans la loi cambodgienne, au contraire assez développée sur le sujet. Mais si théoriquement tout semble fonctionner, en pratique, la situation serait toute autre. Les inspecteurs du travail seraient depuis longtemps sujets à des dysfonctionnements. “Ils n’ont pas vraiment utilisé leurs pouvoirs pour appliquer la loi, et les entreprises n’ont pas été inquiétées parce qu’elles ne respectaient pas cette loi du travail“, nous dit Aruna Kashyap. “Le gouvernement cambodgien assure qu’il prend très au sérieux les violations, poursuit-elle, mais les antécédents montrent qu’il y a une certaine négligence“. Si la spécialiste a pu observer quelques timides améliorations l’an dernier, comme une hausse du nombre d’usines amendées, elle assure que d’autres réformes seraient nécessaires pour protéger les travailleurs.

Face à l’inactivité relative de l’Etat, les travailleurs tentent de faire entendre leur voix à travers les réseaux syndicalistes. En vain. Les responsables des usines, comme l’explique Aruna Kashyap, “utilisent tout un panel de stratégies anti-syndicats“. Menaces ou pots de vin, tous les moyens sont bons pour pousser les leaders fraîchement élus à la démission. Pour éviter que d’autres ne développent ce goût de la rébellion, ils proposent des contrats de plus en plus courts. Les employés n’ont ainsi même plus le temps de se sentir engagés, de bâtir un esprit d’équipe.

Le départ vers les usines se fait à 6h30 du matin. Les trajets sont souvent très longs.
Le départ vers les usines se fait à 6h30 du matin. Les trajets sont souvent très longs.© Samer Muscati / Human Rights Watch

Armani, Adidas, H&M, Gap, Marks and Spencer ou encore Joe Fresh démasquées

Dans ces conditions, difficile pour les travailleurs de faire valoir leurs droits. A moins que les entreprises qui sous-traitent leur production à ces usines ne fassent pression. D’après Aruna Kashyap, il est très difficile de dire précisemment qui sont les 200 et quelques marques concernées, car celles-ci communiquent rarement le nom de leurs fournisseurs. Certaines, démasquées, ont été nommées dans le rapport : Armani, Adidas, H&M, Gap, Marks and Spencer ou encore Joe Fresh.

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Ces firmes ont été contactées à plusieurs reprises, comme nous l’explique Aruna Kashyap. “On leur a écrit deux séries de lettres (…) pour leur donner l’opportunité de s’engager avec nous sur la base de nos recommandations“. Des copies du rapport leur ont également été envoyées avant sa publication. Pour Aruna Kashyap, la première chose que ces marques peuvent faire, c’est communiquer avec leurs fournisseurs, notamment sur “la mauvaise utilisation des contrats à court terme“. Elles doivent aussi “se responsabiliser“, et mettre en place des moyens efficaces à disposition des travailleurs pour que ces derniers puissent les mauvais traitements. Certaines firmes ont d’ores et déjà amorcé une tentative. C’est le cas d’Adidas, qui a introduit une clause écrite contre les mesures de rétorsion en octobre 2014. Un premier pas dont l’efficacité “reste encore à prouver“.

Quant au consommateur, la manière pour lui la plus efficace d’agir contre l’exploitation des travailleurs dans ces usines textile selon Aruna Kashyap, serait de “demander à toutes ces marques de rendre leur liste de fournisseurs publique“. “Cela aiderait les travailleurs, les syndicats, et les avocats du travail” affirme-t-elle. Adidas et H&M ont accepté de publier ce document, tout comme Marks and Spencer s’est engagé à le faire d’ici 2016. Reste à convaincre les centaines d’autres marques restantes à faire de même…

Perrine Signoret

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