Drieu Godefridi

Ryanair: ‘Croit-on réellement que l’Irlande est une république bananière?’

Drieu Godefridi PhD (Sorbonne), juriste et auteur

Je suis conscient du caractère malaisé de la défense d’une compagnie, Ryanair, sur laquelle une bonne partie de la presse européenne “tape” depuis de longues années…

Pourtant, les plus récentes actualités me poussent à adopter cette posture délicate: dans le conflit qui oppose Ryanair – entre autres – à ses pilotes, je n’aurai pas le ridicule de prendre parti, mais je suggère que l’on prenne en compte le point de vue, aussi, de la compagnie.

De quoi parle-t-on ? D’une compagnie de droit irlandais qui prétend soumettre aux droit et forum irlandais ses travailleurs, pilotes y compris. Rien de très choquant de prime abord, sauf que bien entendu les droits sociaux des travailleurs sont plus importants dans différents pays du continent européen qu’ils ne le sont en Irlande.

En se soumettant aux droit et forum belges ou français, les pilotes de la compagnie irlandaise gagneraient davantage d’argent et se verraient automatiquement offrir une série d’avantages légaux, dont ils ne jouissent qu’imparfaitement sous l’empire du droit irlandais.

S’il s’était agi d’une compagnie basée en Roumanie, Moldavie ou une autre région dont les salaires sont dix fois moins importants qu’en Belgique ou France, il n’y aurait même pas de débat, tant il serait choquant de voir des pilotes occupant le ciel européen rémunérés 500 euros quand les pilotes d’Air France le sont 10.000 euros.

Si les Européens possèdent aujourd’hui la liberté de voyager à bas prix, c’est à des compagnies comme Ryanair qu’ils le doivent

Mais il s’agit ici de l’Irlande, pays qui, je le rappelle, est réellement celui de la compagnie en question. Nous parlons ici de pilotes qui sont rémunérés – on ne va pas détailler le barème – en moyenne 7.000 euros par mois, et parfois bien davantage. Sept mille euros par mois: convenons qu’une telle rémunération les situe objectivement très au-dessus de la moyenne salariale belge ou française. Quant à leurs avantages sociaux annexes, croit-on réellement que l’Irlande est une république bananière ? Ne voit-on pas ce qu’il y a de contraire au principe même du marché européen, à l’esprit européen en fait, dans cette façon de traiter le droit irlandais comme on le ferait d’un pays sous-développé pratiquant une forme moderne d’esclavage ?

Si les Européens possèdent aujourd’hui la liberté – car c’est bien de cela qu’il s’agit: la liberté, dans son sens le plus réel et précieux – de voyager à bas prix, de se rendre à Venise, Budapest, Prague et d’embrasser tous ces lieux de la culture européenne, à des tarifs abordables, c’est à des compagnies comme Ryanair (et d’autres !) qu’ils le doivent. Voudrait-on en revenir à l’époque, pas si reculée, où ces voyages étaient le privilège d’une certaine élite, bourgeoise et administrative ? Mesure-t-on qu’un vol vers Venise coûtait il n’y a pas si longtemps l’équivalent de 1.000 euros, quand il en coûte de nos jours le dixième ?

Bien sûr, la corporation des pilotes, comme celle des aiguilleurs du ciel, est puissante. Il n’est pas jusqu’à d’anciens pilotes de la Sabena qui ne prennent la plume pour défendre les revendications des pilotes Ryanair… Une solidarité qui ne manque pas d’ironie, quand on se souvient de la faillite de la Sabena, et du rôle joué à l’époque dans cette débâcle par la gourmandise et l’intransigeance du syndicat des pilotes.

Je ne prétends pas trancher ici la question de droit. Seulement en appeler à une forme de modération quand on juge notre partenaire irlandais, son droit, et la compagnie Ryanair, qui à elle seule a probablement mieux contribué à augmenter la liberté effective des Européens – celle de voir le monde – que tant d’autres entreprises ou mesures gouvernementales.

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